La chronique

La chasse aux patrons est ouverte

Après le kidnapping, voici venue l'ère du bossnapping, vous savez cette étrange pratique qui vise à séquestrer votre patron en une prise d'otage vigoureuse afin de négocier vos conditions de travail. La Suisse est jusqu'ici épargnée par ces pratiques barbares. En effet, comme son nom ne l'indique pas, le bossnapping semble une spécialité française. Après la chasse aux sorcières, voici donc la chasse aux patrons. Mais pourquoi voit-on apparaître ces nouvelles formes de violence?

Première raison: un point de vue historique, le pacte social qui explose

La relation entre les travailleurs et le patronat repose historiquement sur une équation sociale bien particulière: les premiers accordent leur force, leur intelligence et leur loyauté à l'employeur. En échange, les seconds s'engagent à leur donner un travail, un salaire et la sécurité de l'emploi. Or ce pacte social est en train d'éclater alors même qu'il résulte d'une «longue histoire» faite de négociation, de lutte syndicale et d'espérance. Ce qui génère des tensions, des peurs et de la révolte. Ce contexte explosif remet donc en mouvement des forces historiques, sociales, économiques qui rallument les feux de la lutte. 

Deuxième raison: un point de vue sociologique, une mécommunication/incompréhension total

Le bossnapping est une stratégie de guérilla ouvrière qui est à l'opposé de la diplomatie de salon. Elle impose de fait un rapport de force. Or ce stratagème est d'une violence symbolique extrême qui démontre en creux que le lien de confiance et de communication minimal entre travailleur et dirigeant est rompu. Pourquoi? A cause certainement de l'incohérence des actes managériaux, les travailleurs ne saisissant pas que l'on puisse les licencier pour faire grimper le cours de l'action. Ils ne comprennent pas qu'un président de Conseil d'administration touche un «golden parachute» alors même qu'il a conduit l'entreprise dans le mur. Cette absurdité, perçue comme telle par leurs yeux, génère un sentiment d'injustice qui s'exprime en une révolte non contenue. C'est donc une stratégie de rupture.

Troisième raison: un point de vue politique, le symptôme d'une mal-gouvernance

A priori, par sa violence intrinsèque, le bossnapping semble un dispositif à l'opposé du dialogue, de la communication, de la médiation ou de la discussion. Mais en réalité, il s'agit plutôt d'un appel à la communication, car généralement le bossnapping apparaît là où le patron-décideur est absent, déconnecté du terrain ou délocalisé à Tokyo, alors que son représentant dans l'organisation n'a aucun pouvoir. 

Quatrième raison: un point de vue symbolique, une guérilla renversante

Concrètement, qu'est-ce que le bossnapping? Il s'agit de la privation provisoire de la liberté du dirigeant. Autrement dit, les travailleurs font peser sur les directions ce qu'eux-mêmes perçoivent dans leur propre relation au travail, souvent ressenti comme «une prison», une «geôle», un espace d'«aliénation», un «enfer». Il s'agit donc d'un puissant retournement symbolique, le dirigeant devenant l'emprisonné et le travailleur l'emprisonneur. Vous prendrez bien un renversé? 

Cinquième raison: et si les réels preneurs en otage étaient les médias?

Osons poser une question dérangeante. Est-ce que le bossnapping aurait-il autant de succès si cette stratégie de rupture n'était pas relayée systématiquement par la caisse de résonnance médiatique? Ce n'est pas certain. Et désormais, l'on attend avec un certain frémissement la prise d'otage d'un patron filmée en directe par un téléphone portable, le tout relayé sur Youtube, lui sur I Phone, le tout diffusé au journal de 20 heures. Du coup l'efficacité du bossnapping est moins dans le fait même de priver le dirigeant de sa liberté que d'occuper un espace médiatique qui dépasse en importance et en résonance le simple théâtre des opérations réelles. 

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Stéphane Haefliger est psychosociologue de formation, membre de direction du cabinet Vicario Consulting et chargé de cours régulier dans les universités romandes. Il est également l’auteur de: DRH et Manager, levez-vous! Vie et mort des organisations, Editions EMS, Paris, 2017.

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