Innovation

La co-créatrice

A 31 ans, elle prenait les rênes de la conférence internationale Lift, une référence dans le domaine de l’innovation et des technologies digitales. D’abord entrepreneuse, mais également, depuis peu, employée, Sylvie Reinhard dévoile ici son parcours atypique.

Sylvie nous a donné rendez-vous à l’Impact Hub de Zurich. Le lieu est à son image. C’est un espace de co-working, une pépinière de start-ups et d’idées. Nous entrons et une personne nous accueille au bar: «How can I help you?» (Puis-je vous aider?). A notre droite, des personnes attablées travaillent, penchées sur leur laptop. Au fond, un mini auditoire : une présentation est en cours. Sylvie nous accompagne dans la pièce qu’elle a réservée à notre intention. Elle porte un pendentif et une bague en forme de figure géométrique. «C’est imprimé en 3D», dit-elle.
 
Elle a 34 ans. Elle a été nominée par Bilan en 2013 comme comptant parmi les 300 personnes les plus influentes en Suisse, et les 100 top experts du web en Suisse romande (PME Web en 2015).
 
Lorsque nous lui demandons de se décrire, elle répond tout simplement: «Je suis une entrepreneuse. J’aime réaliser des idées». Mais quelle est la recette du succès de cette jeune Suissesse?
 

Un démarrage de carrière par la pratique et non par les diplômes

Son parcours professionnel rappelle certains propos sur la génération Y. Cette fois, ce ne sont plus des on-dit, mais du concret, du vécu. Elle raconte: «J’avais vingt ans. Je m’étais inscrite à l’Uni en littérature. Je me suis demandé si en l’an 2000, une telle décision était judicieuse. C’était juste avant la bulle internet. J’avais envie de profiter de cette vague pour créer mon entreprise. C’est ce que j’ai fait et d’ailleurs, l’entreprise existe toujours. En fait non, j’ai pensé que je devrais devenir millionnaire...» Eclat de rire. Elle ajoute: «De 20 à 25 ans, pendant que mes amis faisaient leurs études, j’ai lancé ma start-up. J’ai suivi en parallèle un executive bachelor en gestion. Lorsque tu veux devenir entrepreneur, il faut bien réfléchir si le fait de faire des études s’impose vraiment comme une nécessité. En plus, ce que je voulais étudier ne s’enseignait pas. Je voulais un mélange d’économie et de culture.» Pas besoin de master pour Sylvie: un bachelor suffira.
 

L’aventure Lift, au cœur de l’innovation et du digital

Lift c’est LA conférence sur l’innovation et les tendances numériques (http://liftconference. com). On y discute des innovations numériques et de l’influence que ces dernières peuvent avoir sur le futur. Depuis 2006, Lift a organisé trente événements et accueilli en tout 15000 participants de quarante pays. La conférence a débuté à Genève et s’est étendue avec les années à la Chine, à la Corée et à la France. Des personnalités phares ont défilé sur sa scène, comme Vint Cerf, un des pères d’Internet et vice-président de Google, Bracken Darrell, CEO et président de Logitech ou Alexis Lloyd, l’une des directrices du laboratoire de recherche et de développement du New York Times. Ce n’est pas seulement une conférence et de ce fait un think-tank. C’est aussi un do-tank. Des projets concrets émergent de ces rencontres. L’initiative Genève ville vivante, mandatée par la Ville de Genève et soutenue par Swisscom, en est un exemple (http://www.ville- vivante.ch). Entre autres résultats: un film qui permet de visualiser les déplacements de personnes dans la ville en suivant leur trace digitale, à savoir l’itinéraire de leur téléphone mobile.
 
Nous lui demandons de nous parler de son parcours à Lift. «Je suis partie à 26 ans à New York pour un congé sabbatique de quelques mois. C’est là que j’ai entendu parler pour la première fois de la conférence Lift. C’est marrant, parce que je croyais qu’elle se déroulait aux Etats-Unis. J’ai contacté le fondateur, Laurent Haug. J’ai été surprise quand il m’a dit que je devais passer le voir la prochaine fois que je me trouvais à Genève. Je me suis engagée comme bénévole pour la deuxième édition. J’ai ensuite été cheffe de projet. Finalement, j’ai repris la direction en 2011. J’ai passé le flambeau en février de cette année, après avoir dirigé plus de 20 éditions de Lift. Je m’occupe encore aujourd’hui de l’édition de Bâle.»
 
L’avenir du monde du travail est un autre thème abordé à Lift. Sylvie se souvient de quelques moments clés... Il y avait par exemple ce collectif berlinois Zentrale Intelligenz Agentur (ZIA), qui prônait le concept de l’entreprise hédoniste. Cette petite entreprise de design d’une dizaine d’employés expliquait comment elle réussissait commercialement et sans chef. Leur secret: avoir comme moteur commun le plaisir, la communication, et miser sur des concepts novateurs, comme le «powerpoint Karaoke». C’était en 2008. La réputation en ligne, présentée par Azeem Azhar en 2010, s’est imposée comme un autre concept marquant. L’entrepreneur anglais a démontré à quel point l’influence en ligne est devenue un facteur clé de recrutement, et comment elle peut être quantifiée par des entreprises. Il y avait en 2011 aussi Jean-Claude Biver, patron de Hublot, qui a parlé d’outils tels que le «bonus d’échec» pour stimuler l’innovation dans l’entreprise au quotidien.
 
Lift China 2014: elle visite la fabrique d’iPhone Foxconn à Shenzhen. Elle est surprise: «Quand ils ont des phases où ils produisent moins, ils mettent ces capacités à la disposition des free-lancers makers. Plus concrètement, ils organisent des appels à projet et soutiennent de cette manière des jeunes entrepreneurs.»

Le numérique

Ce ne sont pas les diplômes qui l’ont aidé à faire carrière, mais bien le digital. «Sans internet, je ne serais pas la personne que je suis. Je n’aurais jamais pu faire la carrière que j’ai faite sans les réseaux sociaux», déclare-t-elle. Cependant, elle semble les utiliser de manière modérée et ciblée. Elle se connecte de préférence pendant les pauses, lorsqu’elle est en chemin, ou durant certains événements. Elle utilise les réseaux sociaux d’abord pour faire de la veille thématique. Cela lui permet d’identifier des personnes de référence dans un domaine et de les contacter. Il est important pour elle de ne pas accorder trop d’importance au digital. C’est un canal de communication et un outil parmi d’autres. Le face à face et les médias classiques restent incontournables. Elle ajoute: «Twitter, c’est une bulle, évidemment. Il est important de faire cohabiter les différents mondes. Il faut continuer à lire les blogs, les journaux, etc. En tant que spécialistes du digital, nous avons aussi la responsabilité d’amener les non-spécialistes à bord.»
 

La co-création, principe de leadership incontournable

Elle travaille depuis peu à 50% pour le fonds de développement Engagement Migros en tant que coach et cheffe de projet. Elle est aussi devenue... employée. Il lui semble que les structures du monde des organisations n’ont pas beaucoup évolué. Les modes de gestion du personnel restent top down. «D’accord, il y a certaines personnes qui vont au travail et font ce qu’on leur dit de faire. En revanche, d’autres veulent participer, s’identifier à la vision de l’entreprise, comprendre le pourquoi qui se cache derrière certaines décisions. Aujourd’hui, on est habitué à trouver des informations sur internet, à donner son avis. Du moins, ma génération se comporte ainsi.»
 
Elle croit en l’open innovation à la co-création. D’après elle, il ne faut pas en avoir peur. Toutes ses expériences à Lift ont démontré que cela fonctionne et que c’est bénéfique: «Cela prend du temps, c’est du travail mais, aujourd’hui, on n’a pas le choix. Dans le cadre du CEVA, nous avions organisé pour l’Etat de Genève un atelier de co-création autour du thème: Comment utiliser la culture numérique dans les espaces publics. C’était incroyable de voir s’apaiser les tensions entre les parties prenantes, tandis que des idées naissaient. En fin de compte, la co-création permet de vivre le changement de manière pro-active. C’est nettement plus positif que de le subir.»
 

Et elle?

Ce qui la booste au quotidien ? La curiosité, l’adrénaline, aller de l’avant, sortir de sa zone de confort. «Quand je présente une idée devant les autres, je m’expose. Je n’ai d’ailleurs jamais vu une seule personne qui, en montant sur la scène à Lift, n’avait pas une montée d’adrénaline. Il ne faut pas avoir peur. Il faut oser et tenter son coup. Prendre des risques, c’est gratifiant et l’échec n’est pas grave.» 
 

Bio express

  • 1980: naissance à Neuchâtel
  • 2000: maturité, Gymnase de Neufeld à Berne
  • 2001: création de la start-up Dreamlab Technologies
  • 2006: sabbatique à New York et Berlin
  • 2007: rejoint Lift Conférence comme associée gérante
  • 2014: lancement de la Swiss Digital Alliance
  • 2015: passage du flambeau lors du 10ème anniversaire de Lift, rejoint le fond de développement Engagement Migros

 

 

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