La frontière s’agrandit entre gestionnaires et développeurs
Fustiger les actrices et acteurs du HRM en leur intimant d’augmenter leurs compétences est démodé. Car au fil des ans, cette profession a subi des transformations profondes. Elle s’est scindée en spécialités dont certaines exigent des profils de personnalité en contraste avec celui de l’administratif.

Il y a vingt ans, il suffisait de connaître le Code des obligations, les dispositions du droit du travail et les assurances sociales pour compléter les savoirs du comptable qui voulait se consacrer à la gestion du personnel. Souvent ces personnes – du point de vue de leur profil de personnalité – étaient des piliers de l’entreprise doués d’un en-tregent certain et d’une connaissance du terrain construite au cours d’une longue permanence dans la même entreprise.
Depuis, la réalité s’est infiniment enrichie: caisses de pensions, expatriés, reporting, compliance, assessments, recruiting, talent retention, total compensation, performance management, HR-Marketing, et maints autres mots clés, autant de spécialisations qui viennent charger la palette de compétences exigées du DRH.
Une partie des formations en RH offertes s’en tiennent à cette vision alors que d’autres empoignent l’idée du Capital Humain, terme à la définition assez floue. On attribue à Bill Gates cette boutade: «Je ne comprends pas sur quoi se base la bourse pour estimer la valeur de mon entreprise, car la très grande partie rentre tous les soirs à la maison.» Ce qui n’appartient pas à l’entreprise, cela a-t-il un sens de le considérer comme un capital?
La composante séduisante de la notion de capital humain est que, si une telle chose existe, il faut en prendre soin, il faut l’entretenir et la déployer de façon à en tirer le meilleur parti. Pour rendre l’idée, le professeur Yves Emery de l’IDHEAP démontrait un jour aux chefs de service d’une municipalité, que celle-ci dépensait chaque année plus pour l’entretien d’un camion-poubelles que pour l’entretien de la compétence et de l’efficacité des collaborateurs qui le conduisent.
En poussant la réflexion plus loin, on imagine bien que le capital humain a une composante collective. Ce ne sont pas seulement les talents individuels qui comptent, mais la performance de teams entiers et l’interaction harmonieuse de nombreux teams entre eux.
A cet endroit, on quitte définitivement les aspects administratifs et juridiques pour avancer sur le terrain de la psycho-sociologie. De nombreuses techniques existent pour le teambuilding, l’analyse et le pilotage de culture organisationnelle, l’alignement des valeurs individuelles et de celles de l’entreprise.
Question: faut-il empiler ces compétences d’action au-dessus du chargement déjà bien lourd de la gestion des ressources humaines? Au risque de former des moutons à cinq pattes, car les profils de personnalité du gestionnaire et du facilitateur de processus sont bien différents, peut-être incompatibles.
Cette discussion se répercute sur les formations offertes pour la profession. Certaines font l’amalgame entre les aspects de gestion et ceux de prestations de services à la ligne ayant trait aux aspects psycho-sociologiques et de développement alors que d’autres formations font nettement la différence (voir encadré).
Ainsi, le professeur Peter Meyer, directeur du Centre Human Capital Management de la Zürcher Hochschule Winterthur, estime: «On a avantage à bien départager les activités de type gestionnaire de celles de développement et de facilitation. Les premières cherchent à réduire la complexité pour rendre gérables des processus somme toute triviaux, alors que les autres prennent justement appui sur la complexité pour rendre plus adaptables les collaborateurs, les teams et les organisations dans lesquels ils travaillent.» Et son Centre offre les deux filières: Human Capital Management pour les aspects gestionnaires et Human Systems Engineering pour les aspects de prestations de services de facilitation et de développement.
Intéressant aussi de constater que le seul MAS (Master of Advanced Studies) offert en Suisse romande pour le domaine des RH «Human Systems Engineering» a été massivement envahi par la ligne: plus de 50% des effectifs sont ingénieurs responsables de projets, cadres supérieurs ou directeurs d’entreprises. Si on enlève ceux qui sont actifs dans la formation, le coaching, le conseil ou dans les tâches de facilitation, les participants provenant des RH strictu sensu sont une minorité.
Pertinente la formulation d’un participant: «Dans ma formation d’ingénieur, nous n’avons pas bénéficié ne serait-ce que d’une seule leçon sur le teamwork, alors qu’il est clair pour tout un chacun qu’un ingénieur ne fait rien tout seul. Ici j’apprends tout ce dont j’ai besoin, sans que le programme soit surchargé de notions RH ou management.»
A moins qu’une personne active dans les RH désire apprendre un nouveau métier, tout porte à croire qu’il n’est pas nécessaire de rajouter plus de tâches et de compétences aux RH, le cahier de charges de cette fonction étant bien assez rempli. Par contre, la ligne récupérera une partie des tâches et des fonctions qu’on voulait fourguer aux RH, c'est-à-dire le pilotage des cultures et de l’efficacité des organisations qui composent une entreprise. Et elle se formera en conséquence.