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«La grandeur de l’homme est dans sa décision d’être plus fort que sa condition»

Comment interpréter cette citation inspirée de la pièce «Caligula» d’Albert Camus? L'analyse de Fabien Noir, comédien et consultant.

Dans «Caligula» , Albert Camus philosophe sur l’absurdité et la condition de l’Homme, encourageant celui-ci à contester sa situation dans le but de déboucher sur une révolte positive - l’humanisme. Ce drame intellectuel met en scène Caligula, un tyran victime de sa lucidité sur la réalité du monde, se révolter contre son destin de roi. La citation»La grandeur de l’homme est dans sa décision d’être plus fort que sa condition» n’est pas littéralement exprimée en ces termes, mais elle cristallise l’esprit de la pièce et l’intention de Camus.  Voici quelques extraits prononcés par Caligula pendant cette pièce en 4 actes, qui démontrent son envie d’agir pour une cause et de faire preuve de courage, même si l’usage de son pouvoir et ses agissements sont machiavéliques:

«Ce monde tel qu’il est fait n’est pas supportable. J’ai besoin de la lune, ou du bonheur pou de l’immortalité»
«Ce que je désire de toutes mes forces, aujourd’hui, est au-dessus des dieux.» 
«Je prends en charge un royaume où l’impossible est roi» 
«Je ferai ce siècle le don de l’égalité»
«Crois-tu que deux hommes dont l’âme et la fierté sont égales peuvent, au moins une fois dans leur vie, se parler de tout cœur?»
«Tous les hommes ont une douceur dans la vie. Cela les aide à continuer»
«Tout ce que l’on peut me reprocher aujourd’hui, c’est d’avoir fait un petit progrès sur la voie de la puissance et de la liberté».

Caligula, conscient de sa dérive, entre progressivement dans une phase de lucidité tragique, non sans avoir testé le courage de son peuple et de ses serviteurs: cynisme, manipulation, cruauté. Il les met en œuvre pour démontrer l’absurdité de l’existence et il se rend compte qu'il est allé trop loin. Lors de son dialogue avec Chéréa, un personnage qui incarne la raison, la retenue et la morale, personnage qui l’admire et en même temps désire le tuer, Caligula accepte sa fin: il assume et il reconnaît qu’il ne peut pas réconcilier liberté totale et vie humaine.

Interprétation managériale de l’extrait

Camus affirme que la dignité et la grandeur de l'homme ne se trouvent pas dans la facilité ou l'absence de difficultés, mais dans sa décision de se dresser contre l'injustice et les limites de son existence. En entreprise, l’invitation n’est pas à la rébellion mais au courage managérial et l’ancrage dans une raison d’être régénérative. Avant d’aller plus sur ces concepts, je vous invite à une exploration des mythes entourant le courage:

  • Le courage est héroïque et extrême. Ce mythe sous-entend que le courage est réservé à une minorité, les héros, et que l’acte doit être ample et d’envergure. Il renforce la notion d’élan surhumain qui ne s’active qu’en situations tragiques.
  • Le courage exclut la peur. Ce mythe stipule d’ignorer cette émotion primaire, de ne pas investiguer le message sous-jacent qui la déclenche, de la laisser derrière. Il nous encourage à nous priver d’une information cruciale pour bien agir.
  • Le courage est inné. Ce mythe dresse des portraits archétypaux et binaires: c’est soit avec ou soit sans, et ce dès l’origine. Ce mode de pensée fataliste restreint les potentialités de développement individuelle (ou collective), ignore les ressources internes mobilisables et il est, à mon sens, déshumanisant.

La lecture renouvelée de Caligula m’a incité à une revue des théories liées au courage managérial, et j’en tire quatre 4 grandes catégories auxquelles nous pouvons directement rattacher des comportements ou des compétences professionnels:

Le courage de la vérité

  • Reconnaître et verbaliser les problèmes, échecs et conflits.
  • Pratiquer la transparence, même quand elle dérange.
  • Assumer ses erreurs avec humilité:»Je me suis trompé.»
  • Partager les infos importantes avec l’équipe, même sensibles
  • Être cohérent: dire ce qu’on fait, faire ce qu’on dit.

Le courage de collaborer

  • Aller sur le terrain, écouter, impliquer l’équipe.
  • Adopter un management participatif et délégatif.
  • Faire confiance, même s’il y a des risques d’erreurs.
  • Partager le leadership: décider ensemble.
  • Défendre son équipe auprès des clients et de la hiérarchie.

Le courage d’oser et d’innover

  • Encourager les idées du terrain, souvent orientées client ou amélioration.
  • Créer un climat de confiance qui libère la parole.
  • Supporter les idées auprès de la hiérarchie et oser les mettre en œuvre.
  • Être proactif dans le changement, même dans l’incertitude.
  • Adopter la logique "test and learn": essayer, ajuster, avancer.

Le courage de s’affirmer

  • Entrer en mode de communication assertive
  • S’exposer en exprimant un désaccord ou une vérité difficile.
  • Recadrer un collègue qui ne respecte pas ses engagements ou les valeurs de l’entreprise.
  • Accepter d’être impopulaire quand c’est nécessaire.
  • Prendre des décisions, en équipe ou seul.

Ces types de courage sont interconnectés. La vérité servira de socle pour construire la collaboration, qui elle-même ouvre la voie à l’innovation et aux actes «oser !». L’agrégation du tout renforce un management plus humain et performant, tant au niveau individuel que collectif.

Comment favoriser le courage au travail?

Si je reviens à Caligula de Camus, les idées transmises dans l’œuvre incarnent la prise de responsabilité personnelle (la volonté d’affirmer une position même dangereuse, voire impopulaire), valorisent la liberté intérieure et la dignité (qui peuvent inspirer un management authentique) et elles montrent qu’un individu peut décider de ne pas céder à la peur ou à la pression sociale (choisir la cohérence avec ses convictions même si cela exige du sacrifice.) Explorons 4 pistes pour développer son courage

1. Identifier la peur et agir malgré elle
Nos peurs masquent souvent un manque de courage. Telles des boussoles, elles nous indiquent une direction que nous assimilons à un sommet infranchissable et nous y préférons des chemins détournés. Ce que nous enseigne les divers courants de psychologie, c’est le fameux «petit pas».  La clef réside dans la reconnaissance de ses peurs afin ne pas se laisser manipuler par elles et avancer.

2. Accepter l’inconfort: l’apprentissage passe par l’erreur
Les situations exigeant de prendre notre courage à deux mains sont souvent celles qui nous placent dans une situation inconfortable. Vis-à-vis de nous-même ou des autres. Cela nécessite un passage dans le tunnel de l’inconfort, l’incertitude, l’erreur. Raisonner apprentissage, mobiliser la curiosité aide à accepter cet inconfort passager.

3. Imaginer le meilleur scénario: cela change la perspective
Opposons-lui une perspective résolument positive ou optimiste ! Elle nous aide à mobiliser notre sens de la réalité et à orienter nos actes sur le «meilleur possible»: les étapes possibles pour y arriver sont mieux cernées et l’entrée en relation avec l’extérieur est favorisé.

4. Le moteur du courage: la conviction
«Je le fais parce que j’y crois !» Tout pourrait se résumer à ça simplement, à cet ancrage profond dans nos convictions (valeurs, sens, envie) qui donne la force de dépasser la peur. Un travail introspectif sur son leadership vous aidera à afficher des valeurs claires: audace, droit à l’erreur, innovation, transparence…, des phares pour le courage!

Je ne peux m’empêcher de terminer cet article comme Camus termine Caligula: «Je suis encore vivant!». Et si cette paraphrase devenait la phrase que vous pourriez prononcer après votre prochaine prise de courage?


Ressources complémentaires

Ouvrage de référence: Managers, osez le courage!: Le guide pour trouver sa juste place, Margaux Rambert, Ed. Vuibert (2022)

Podcast:  Courage managérial

TEDx: Le courage s’appuie sur nos ressources

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Fabien Noir

Fabien Noir est comédien consultant, il mets en mouvement les managers et les organisations, pour plus d’adaptation comportementale et stratégique. Lien: ekima.ch

 

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