Conseils pratiques

L’arbitrage délicat des RH dans les jeux de pouvoir de l’entreprise

Le rôle et la place qu’occupent les ressources humaines au sein d’une organisation contribuent au bon fonctionnement de celle-ci. Encore faut-il que ce rôle ne se substitue pas à celui du management et que les RH ne prennent pas le pouvoir, parfois laissé vacant, à la place des responsables de ligne.

Il n’est pas rare que les collaborateurs attribuent aux RH un pouvoir qu’ils n’ont pas. C’est ainsi qu’on contactera son responsable RH parce qu’on estime ne pas être assez payé et qu’on se retrouve tout étonné d’apprendre que c’est son supérieur direct qui décide de notre salaire. Ce genre de situations est assez fréquent. Il n’est donc pas inutile de rappeler quel est notre rôle et de préciser les limites de la fonction HR dans la constellation de jeux de pouvoir qui se jouent au sein des entreprises.

Ces jeux de pouvoir abondent dans notre société: pouvoir d’un individu sur un autre, d’une entreprise sur ses concurrentes, d’un régime politique sur ses citoyens. Il n’en va pas autrement dans les organisations où les jeux et enjeux de pouvoir régissent pour l’essentiel les rapports des collaborateurs entre eux, des hiérarchies internes envers leurs collaborateurs, voire d’un département ou secteur envers un autre. C’est par exemple l’éternelle et pour ainsi dire légendaire antagonisme entre les achats et la vente dans le commerce de détail, ou celui entre les administratifs et les créatifs. Au milieu, en quelque sorte, occupant une place à part dans le système, se trouvent les départements des ressources humaines, qui de par leur mission dans l’entreprise se doivent de rester en dehors de ces jeux de pouvoir, sans pour autant les ignorer (ce serait naïveté) ni les encourager (ce serait dangereux pour le fonctionnement général de l’organisation). 

Il est communément admis parmi les professionnels de la fonction RH que son rôle n’est pas de décider, mais de favoriser, par le questionnement, l’expertise, la mise à disposition d’outils, l’analyse, le coaching ou le conseil, la bonne décision. Cette dernière étant bien entendu prise par la hiérarchie qui va assumer ensuite la responsabilité de cette décision. Il paraît sensé de dire que celui qui décide a le pouvoir. Ce qui ne veut pas encore dire que son pouvoir suffit à rendre cette décision exécutoire, le pouvoir n’est pas celui que l’on a, mais celui qu’on veut bien nous donner. Pour y parvenir, il devient nécessaire que le pouvoir s’exerce sous une autre forme, celle du leadership.

Le sociologue et économiste Max Weber a identifié trois fondements de la légitimité du pouvoir: 

  • Le pouvoir traditionnel: fondé sur «les coutumes sanctifiées par leur validité immémoriale»
  • Le pouvoir charismatique: fondé sur «la grâce personnelle et extraordinaire d’un individu»
  • Le pouvoir légal: fondé sur «la croyance en la validité d’un statut légal et d’une compétence positive» 

La notion de leadership, quant à elle, peut se résumer ainsi: 

  • Leadership de soi: le leadership d’une personne sur sa vie
  • Leadership interpersonnel: l’espace de pouvoir que me donne l’autre sur lui-même
  • Leadership organisationnel: pouvoir donné à une personne par le règlement, le statut, la loi.

Le fonctionnement d’une entreprise ne paraît possible qu’à travers une tension permanente entre ces deux formes d’exercice de la gouvernance, tension, ou dynamique, entre pouvoir et leadership.

Les décideurs sont investis, ès fonction, d’un pouvoir légal et d’un leadership organisationnel. C’est ce que leur donne leur statut, leur identité dans l’entreprise qui les paie pour prendre des décisions et pour amener les collaborateurs à les suivre dans ces décisions. La réussite est plus ou moins grande d’un manager à l’autre en fonction de sa capacité ou non de s’investir, de par ses compétences, des autres formes de pouvoir et de leadership, essentiellement du pouvoir charismatique et du leadership interpersonnel.

Il en va autrement des spécialistes de la fonction ressources humaines. En effet, le pouvoir que les collaborateurs leur attribuent est un pouvoir supposé, par assimilation au pouvoir de la hiérarchie avec laquelle la fonction collabore. La fonction ressources humaines a pour mission, en général, dans les organisations où son rôle est compris par le management, de mener à bien un certain nombre de missions importantes pour l’entreprise, telles que le recrutement, le développement et la formation, la rémunération, la gestion du climat social, la fin des rapports de travail. Dans toutes ces thématiques, son rôle n’est pas de prendre, mais de faire prendre les décisions, d’amener le cadre partenaire à se poser les bonnes questions et à apporter les bonnes réponses. Au niveau stratégique, son rôle consiste à proposer des politiques qui permettent à  l’entreprise d’atteindre les résultats souhaités avec ses collaborateurs dans le meilleur climat possible. La décision appartient à la direction générale.

On le voit avec ces brefs exemples, la notion de pouvoir et de leadership, dans la fonction ressources humaines, revêt un sens particulier en ce sens qu’il n’est pas directement exercé, mais qu’il s’exerce par l’intermédiaire de ses partenaires du management.

Comment alors parvenir à obtenir de ce management qu’il prenne les décisions qu’il considère comme les meilleures? Par quels types de moyens faire parvenir le management à son objectif, et cet objectif individuel converge-t-il avec l’objectif collectif de son équipe, voire de l’organisation dans son ensemble?

Le «jeu» des ressources humaines consiste à faire envisager au manager les conséquences de ses décisions. Que se passe-t-il si tu décides ceci, qu’advient-il si tu décides cela? Que se passe-t-il si tu ne fais rien? Au moyen notamment du coaching, il s’agit donc d’amener l’encadrement vers des décisions. Cette manière de procéder, attendue en principe par les directions d’entreprises qui confèrent ce rôle à leurs ressources humaines, permet à ce département de participer stratégiquement à la bonne marche de la société. 
Il est important que les ressources humaines ne prennent pas le pouvoir, mais gardent leur rôle et ne se substituent pas au management. Dans cette substitution réside un risque au sein d’une entreprise, quand les ressources humaines sont réputées prendre des décisions, et donc assumer le pouvoir à la place du management qui se retrouve ainsi dépossédé de ce pourquoi il a été mis en place au sein de l’entreprise.

 

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Texte: Steve Bonvin

Steve Bonvin est actif dans les RH depuis 1997, tout d'abord chez Groupe Magro SA à Sion, et depuis 2000 à la Radio Suisse Romande.

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