Débat

Le contrat fixe, un modèle en voie de disparition?

Le travail temporaire a le vent en poupe. Les contrats à durées indéterminées jouent pourtant un rôle important dans notre société. Qu'en sera-t-il à l'avenir? Nos experts en débattent. 

Heinrich Hempel - Avocat et partenaire chez Schiller Rechtsanwälte SA 

D'un point de vue juridique, les emplois fixes ne sont pas un modèle en voie de disparition. La plupart des contrats ayant pour objet une prestation de travail continuent d'être conçus comme des contrats de travail, généralement à durée indéterminée. Le droit du travail et le droit de la sécurité sociale favorisent en outre la qualification juridique de contrat de travail, soit des contrats ayant pour objet des prestations de travail.

Ainsi, les contrats avec des freelancers sont régulièrement qualifiés de contrats de travail du point de vue des assurances sociales et du droit civil. Les nouveaux acteurs de l’économie des plateformes – comme Uber – doivent également s'attendre à être traités juridiquement comme des employeurs. Les possibilités juridiques d'employer des collaborateurs indépendants sont donc limitées. Le droit du travail autorise certes un aménagement flexible des contrats de travail, comme des horaires de travail flexibles ou une limitation de la durée des contrats de travail.

Mais la protection sociale impose des limites. Ainsi, les dispositions de protection contre le licenciement ne peuvent généralement pas être contournées par une succession de contrats fixes de courte durée (appelés contrats en chaîne). L'employeur qui veut éviter de recourir à un emploi fixe serait donc bien avisé d'examiner attentivement la forme juridique du contrat et les risques encourus. Un contrat de travail peut toutefois aussi être conclu pour un faible taux d'occupation. En revanche, le droit du travail laisse de nombreuses libertés aux travailleurs de la génération Z qui ne veulent pas s'engager. Ils sont libres de résilier un contrat à durée indéterminée en respectant les délais convenus ou légaux. Et s'ils quittent leur emploi avant la fin, ils ne doivent pas s'attendre à des sanctions draconiennes, au grand dam des employeurs.

Monika Bütikofer - Senior HR Manager, Webhelp Schweiz SA

Nous aimons tous la liberté, mais encore plus la sécurité. Soutenu par des institutions sociales, assuré contre toutes sortes d'événements, avec la promesse que le salaire sera sur le compte bancaire à la fin du mois: l'emploi fixe offre de nombreux avantages, du moins jusqu'à aujourd’hui. Il est clair que les pandémies, les crises et les changements sociétaux actuels montrent que nous devons changer de mentalité. Il se peut que l'emploi fixe au sens traditionnel soit devenu poussiéreux. Les différents événements de ces dernières années et la pénurie actuelle de main-d'œuvre peuvent faire germer de nouvelles idées.

Tant que les employeurs recherchent désespérément des collaborateurs et que ces derniers ont l’embarras du choix, les deux parties auront toujours intérêt à trouver une solution. Pourquoi s'engager «pour toujours» quand il est possible de faire autrement? Emplois temporaires, contrats à durée déterminée, missions en freelance ou rémunérées à l'heure et bien d'autres formes de travail: les options sont nombreuses. Alors que tout le monde cherche à rester libre, plus personne ne se sent obligé de s'engager à long terme et c’est désormais le plaisir au travail qui a tendance à primer. À court terme, cette situation peut sembler gagnant-gagnant, mais à long terme? Que se passera-t-il si le marché de l’emploi se resserre? Verra-t-on revenir l'emploi fixe à l'ancienne, où les deux parties se mettent d'accord: «Nous savons ce que nous apportons l'un à l'autre – pour le meilleur et pour le pire». Les employés mettront cette période de job-hopping sur leur CV sur le compte de la période difficile et du changement.

Mais qu'en est-il de la durabilité, de l'assurance qualité et du fameux coût occasionné par cette rotation permanente des collaborateurs? Le changement permanent, la gestionnite aigüe qui en découle et ces transformations à la chaîne laissent des traces – des traces de souffrance et d'usure sur ces humains qui restent en poste pour assurer le suivi. Ces personnes qui occupent un poste fixe traditionnel réparent constamment les dégâts causés par les ouragans modernes qui s'abattent sur une entreprise. Il faudrait calculer et planifier clairement les coûts de ces fondamentaux de l’organisation, qui favorisent le maintien d'un emploi fixe à l'avenir pour les deux parties. Rien n'est plus constant que le changement.

Michael Egger - Conseiller en entreprise chez erfolgszeiten.at

L'époque où les collaborateurs travaillaient dans la même entreprise de l'apprentissage à la retraite est majoritairement révolue – de même, la «biographie professionnelle normale» appartient au passé. Pourtant, le salariat reste la forme d'activité professionnelle la plus fréquente dans l'espace DACH (Allemagne, Autriche et Suisse). Une personne active peut choisir la manière dont elle veut travailler. C'est principalement une question de possibilités et de liberté personnelles. Cela signifie: formation, compétences et conditions financières. L'idée de liberté se rapporte en revanche à l'indépendance, au développement de ses propres idées ou au travail autonome.

Toutefois, cela n'est possible que si la volonté et la confiance du supérieur sont au rendez-vous et qu'il n'y a pas de micro-management. Ce qui a changé, c'est la question de savoir si quelqu'un souhaite être employé et sous quelle forme. Travailler à domicile, si oui, à des jours fixes ou à des jours flexibles à choisir, ou un emploi à temps partiel? Une activité indépendante à temps partiel et un emploi? La pandémie a ouvert un nombre énorme d'opportunités. Néanmoins, il y aura toujours des personnes qui devront rester employées à temps plein dans le secteur de la santé, de l'industrie ou des transports et de l'hôtellerie pour faire tourner l'entreprise. Mon expérience montre en outre qu'il y a des jeunes de 24 ans qui peuvent diriger une entreprise avec succès, tout comme des personnes de 40 ans qui échangent leur statut d'indépendant contre un emploi salarié sûr.

Ceux qui disent que l'emploi fixe est un modèle dépassé pensent probablement aussi que tous les jeunes ne veulent travailler qu'à temps partiel et n'ont pas besoin de stabilité et de sécurité dans un monde volatile. Le fait est que de nombreuses personnes démissionnent actuellement, changent de secteur d'activité ou se mettent à leur compte. Par exemple parce que le salaire était trop bas ou que le sens de l'activité a disparu. C'est pourquoi les «entretiens de maintien» sont aussi importants que le recrutement. Les entreprises qui ne réfléchissent pas à des horaires de travail flexibles, à de nouveaux groupes cibles, à des personnes qui changent d'orientation professionnelle ou à des temps de recrutement plus rapides risquent d'être évincées du marché parce qu'elles ne trouvent plus d'employés.

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