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Le DRH face aux jeux de pouvoir

Les entreprises sont des lieux de pouvoir. Et comme tout lieu de pouvoir, elles génèrent leurs propres tensions, rivalités et jeux d’influence. Faire comme si ces luttes n’existaient pas, c’est prendre le risque d’être écarté. Y plonger sans discernement, c’est perdre. Pour le DRH, la posture est délicate: ni naïf, ni cynique, il lui faut comprendre, décoder et agir en stratège. 

Les frontières floues du pouvoir dans les instances dirigeantes

Les luttes de pouvoir s’installent toujours là où le terrain est flou. Dans les organisations, ces zones grises se nichent aux frontières de l’organigramme: dans les périmètres partagés, les rôles mal définis, les responsabilités diffuses. Les conseils d’administration, les comités exécutifs, avec leurs tensions latentes, en sont l’exemple parfait. Chaque membre y porte une ambition forte, souvent individuelle, parfois dissimulée. Chacun y défend un territoire: un budget, une équipe, une vision... Les règles du jeu sont rarement explicites, les codes implicites, mouvants, souvent contradictoires. Dans cet espace, la stratégie formelle cohabite avec des microdécisions informelles, les prises de position officielles avec les silences calculés. Ce n’est pas une dérive, c’est la nature même de la gouvernance en environnement complexe. 

Refuser de voir, c’est disparaître 

Fermer les yeux sur ces luttes, les balayer d’un revers de main au nom de la coopération ou d’une vision idéalisée de l’unité collective, c’est s’exposer à une lente érosion de son influence. Le DRH qui ne voit rien, qui n’entend rien, qui ne veut pas comprendre les dynamiques d’alliances, devient un figurant. 

Comprendre les luttes de pouvoir ne signifie pas s’y compromettre, cela signifie voir clair et pouvoir agir avec discernement. Il ne s’agit pas de manipuler, il s’agit d’analyser, de repérer les tensions de loyauté, les conflits de périmètre, les ambitions divergentes. Et surtout, de se positionner, car en matière de pouvoir celui qui ne se positionne pas devient un point d’appui pour celui qui manœuvre. 

Vous n’avez pas d’amis dans l’entreprise 

On a des alliés, des partenaires avec lesquels on peut partager temporairement certaines réflexions. Mais les intérêts peuvent diverger, parfois brutalement et les occasions de bascule sont nombreuses: une réorganisation, une fusion d’entités, une redéfinition des priorités stratégiques, un changement de gouvernance, le partage ou la découpe de budgets, ou encore le redécoupage d’un marché géographique ou d’un portefeuille client... Autant de secousses qui transforment un allié en concurrent, un pair en obstacle, un soutien en menace silencieuse. 

Ces retournements ne sont pas des trahisons. Ils sont le produit d’un système instable, où chacun cherche à préserver sa marge de manœuvre et ses propres objectifs. C’est pourquoi les liens, même sincères, doivent être lus à travers une grille stratégique. La loyauté existe, mais elle est conditionnelle. Elle se négocie, s’entretient, se renforce... ou s’éteint. 

Le réseau: l’arme stratégique du DRH 

Dans ce jeu d’alliances, le DRH ne peut compter uniquement sur sa légitimité statutaire. Il doit s’appuyer sur ses réseaux internes et externes. Le réseau, ce n’est pas simplement «connaître du monde». C’est créer des appuis, des relais d’influence. Il offre un double avantage: une lecture stratégique plus large que celle des circuits internes et une capacité d’influence indirecte, souvent décisive dans les moments sensibles. 

Cinq leviers pour manœuvrer dans les luttes de pouvoir:

  • Cartographier les alliances et les rivalités: Observer les dynamiques relationnelles comme un politologue. Identifier qui soutient qui, qui s’oppose à qui et qui gagne quoi si vous perdez.
  • Travailler son positionnement narratif: Construire un discours stratégique. Sa crédibi- lité se construit sur la clarté et la cohérence.
  • Développer une garde rapprochée: Identifier deux ou trois personnes clés, bien positionnées, sur qui s’appuyer en toute confiance.
  • Entretenir des canaux d’information internes et externes fiables: L’information est une ressource précieuse.
  • Jouer le long terme, sans naïveté: Ne pas entrer dans toutes les luttes mais choisir ses batailles. L’influence se joue aussi dans le temps. Elle s’anticipe, se construit, se protège. 

La lucidité comme levier d’impact 

Les luttes de pouvoir ne sont ni des dérives, ni des anomalies. Elles sont constitutives des lieux de pouvoir et de toutes organisations. Les ignorer, c’est se condamner à l’impuissance. Les com- prendre, c’est devenir acteur. Pour le DRH, il ne s’agit pas de devenir un stratège froid ou un mani- pulateur cynique. Il s’agit d’être un leader lucide, capable d’évoluer dans la complexité sans se perdre. 

commenter 0 commentaires HR Cosmos

Romain Chevalot s’appuie sur 20 ans d’expérience en Ressources Humaines et dans l’accompagnement de cadres dirigeants. Fort de ses responsabilités au sein de comités exécutifs, il a développé une perspective unique sur l’analyse des organisations et leurs dynamiques. Diplômé de l’IMD et formé au coaching de cadres dirigeants, il partage aujourd’hui sa vision à travers des missions de conseil et d’accompagnement. 

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Depuis plus de 25 ans, Bernard Radon a collaboré avec plus de 600 cadres dirigeants, construisant une expertise solide dans les domaines du leadership et du management. Auteur reconnu et observateur des luttes de pouvoir au sein des organisations, il propose une réflexion pragmatique et des outils innovants. Son travail met en lumière des perspectives stratégiques, offrant une approche singulière pour ceux qui cherchent à naviguer dans les complexités organisationnelles.

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