Conseils pratiques

Le lanceur d'alerte, un colibri organisationnel

Et si le lanceur d'alerte était le colibri de l'organisation? Vous savez ce minuscule oiseau qui souhaitait -légende amérindienne- éteindre un gigantesque incendie. Coup de projecteur sur le lanceur d'alerte, le whistleblower en franglais qui lui, comme le petit oiseau, cherche à faire sa part.

Dans l’opinion publique, les lanceurs d’alerte cristallisent tous les maux: fouilles poubelles et justicier à deux balles pour les uns, à licencier; éthicien honorable pour les autres, à promouvoir. Or le cadre légal européen tend aujourd’hui à les accréditer, voire à les protéger. Ainsi les whistleblowers ont le vent en poupe et leur souffle a déjà atteint Genève qui est désormais dotée d’une loi cantonale.

Du point de vue des bonnes pratiques de gouvernance, il est donc admis aujourd’hui que signaler un acte répréhensible est un comportement attendu de la part des collaborateurs. Et qu’il n’est pas à considérer comme un geste héroïque. Mais dans le même temps, aucune institution ne souhaite favoriser une culture de «justiciers», de la dénonciation ou pire encore de recherches de scoop médiatiques. On le voit, instaurer une culture du colibri n’est donc pas chose aisée.

Prévenir ou dénoncer

Le «lanceur d’alerte» est un collaborateur qui a pointé des irrégularités ou des manquements en les rendant visibles. Le terme lanceur d’alerte est récent. Il a été forgé en 1996 par Francis Chateauraynaud, sociologue et directeur d’études à l’EHESS, École des hautes études en sciences sociales de Paris, et auteur du récent «Alertes et lanceurs d’alerte» (1). Il distingue deux archétypes de lanceurs d’alerte: celui qui veut prévenir et passe le plus souvent inaperçu; et celui qui cherche à dévoiler les problématiques médiatiquement afin de bénéficier d’un effet de notoriété. Dans les deux cas, leurs arguments doivent être rationnels et fondés et leur démarche être inspirée par la «bonne foi».

Les dysfonctionnements possibles dans une organisation couvrent un très large spectre: corruption en tout genre, management toxique, harcèlement, détournement de flux financiers. Imrich Pöthe, spécialiste «anti-corruption» pour le transporteur maritime MSC, constate que «plus de la moitié des dénonciations sont liées au harcèlement sexuel, psychologique, ou à la discrimination.» Mais il nuance: «Cela dépend évidemment du secteur. Il peut s’agir souvent aussi de violation de règles ou de lois, comme la fraude, le vol, la corruption, le manque de protection des données ou une menace pour la sécurité publique.»

Tendre vers la qualité totale

Comme énoncé préalablement, deux postures, repérées par Francis Chateauraynaud, semblent être à l’œuvre dans les comportements des whistleblowers. Ceux qui préviennent et ceux qui dénoncent.

La dénonciation exige une preuve matérielle et une documentation ad hoc. L’alerte, en revanche, enclenche un processus d’objectivation, des recherches et finalement une enquête interne. Les motivations des uns et des autres peuvent être également se sourcer dans des terrains différents. Nos différentes expériences montrent qu’un lanceur d’alerte authentique serait mû en premier lieu par le bien commun, par le souci de bien faire, par une forme de moralité professionnelle, œuvrant dans l’intérêt de son employeur et porté par un cortège de valeurs puissantes. Alors que la logique de la dénonciation se rapproche davantage de la rupture, de la disruption et de la vengeance. Quoi qu’il en soit, comme le souligne Imrich Pöthe: «Il s’agit surtout de préserver l’employeur de conséquences juridiques ou réputationnelles si le problème ou le sujet d’alerte n’est pas traité dans un délai raisonnable.» Kirsten Bourcoud, psychologue du travail et consultante senior pour Vicario Consulting observe qu’«une entreprise peut espérer que les problèmes se règleront d’eux-mêmes, et qu’il est possible de les écarter tant qu’ils ne sont pas trop gênants; mais ce faisant, elles prennent le risque, bien évidemment, que la problématique enfle». Ou plus délicat encore que la presse soit alertée. Autant de risques qui plaident pour l’implémentation d’un processus adéquat permettant de recueillir des plaintes, des observations, des remarques, de façon anonymisées via une plate-forme numérique externe. 

Sont-ils protégés par la loi?

En une soixantaine de pays, selon Transparency International France, les lanceurs d’alerte sont protégés par des textes législatifs. Mais pas en Suisse. Il n’existe en effet actuellement pas de loi fédérale. Seul le canton de Genève a statué sur le sujet et s’est doté d’un texte, en 2021, qui protège les lanceurs d’alerte au sein de son administration, du Parlement, du pouvoir judiciaire, des hautes écoles, des institutions de droit public, et des autorités communales.

Il apparaît donc d’autant plus délicat, pour un lanceur d’alerte suisse, de s’adresser en interne, sachant qu’il n’existe pas de cadre fédéral pour l’entourer et qu’il pourrait s’exposer à des pressions, voire à des représailles, dans tous les cas à une fragilisation de sa position.

S’appuyer sur un organisme externe

Francis Chateauraynaud lui-même, dans l’ouvrage précité, souligne «la dimension potentiellement kafkaïenne» du recours en premier lieu à un interlocuteur interne ou un supérieur hiérarchique. D’où la pertinence pour une entreprise, de pouvoir s’appuyer sur un organisme externe pour le signalement et recueil d’alertes. Vicario Consulting a notamment mis en place, en fin d’année dernière une plateforme professionnelle qui permet de signaler toute irrégularité. «Nouer un partenariat avec un tiers externe autour du whistleblowing montre également le souci éthique et déontologique assumé par ces entreprises, leur volonté d’ouverture et d’exemplarité», note Kirsten Bourcoud.

Si l’on comprend bien les enjeux liés aux multinationales ou plus simplement aux grandes entreprises, peut-on aussi estimer qu’un tel dispositif est utile dans de plus petites structures? Oui, selon Imrich Pöthe: «Il y a effectivement des alertes émises aussi dans les plus petites organisations, confirme-t-il. Et souvent, les collaborateurs ont davantage le réflexe d’informer la direction, ou le département des RH. Mais peu d’entreprises de taille modérée ont un système dédié, pragmatique et professionnel».

(1) Francis Chateauraynaud: Alertes et lanceurs d’alerte, éd. Que sais-je?, 2020

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Stéphane Haefliger est psychosociologue de formation, membre de direction du cabinet Vicario Consulting et chargé de cours régulier dans les universités romandes. Il est également l’auteur de: DRH et Manager, levez-vous! Vie et mort des organisations, Editions EMS, Paris, 2017.

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