La recherche en actions

Le management par le sens, mirage ou nouveau graal?

Depuis quelques années, le management par le sens fait parler de lui dans la recherche en sciences de gestion et en psychologie du travail (1). Il figure comme l’un des outils proposés par les consultants pour accompagner le changement et faire face aux paradoxes dans les organisations (2). Les décideurs et les managers regardent de près ces nouvelles pratiques et s’interrogent: s’agit-il d’un effet de mode illusoire ou assiste-t-on à la pierre angulaire du management qui répond aux besoins des jeunes générations?

Le management par le sens est apparu il y a une quinzaine d’années et ne constitue pas, à proprement parler, une discipline unitaire. Il s’agit de travaux de recherche, de méthodes d’intervention et de cadres managériaux qui tentent de développer le sens du travail, chez les salariés comme chez les dirigeants.

L’importance accordée au sens du travail, qui semble supplanter le management par la motivation ou par les compétences, est un phénomène évident. Il a notamment été démontré que les générations actuelles placent le sens au cœur de leurs besoins et revendications. Beaucoup de salariés revisitent le contrat social qui consistait à échanger du temps disponible et des compétences contre une rétribution. Cela ne suffit plus: il faut que le travail ait du sens, qu’il soit porteur, montre une utilité sociale, le tout dans une organisation elle aussi signifiante.

La perte de sens au travail est devenue un leitmotiv en gestion des ressources humaines, illustré par la dénonciation des boulots absurdes (bullshit jobs) et des conséquences de la perte de sens (brown-out) qui sont le désengagement, la perte de santé au travail, les contreperformances et le turnover (3).

Une prise de conscience fait que la dégradation du sens n’est pas abstraite, car elle montre un impact économique et humain fort, en particulier dans des mondes où l’accélération est constante et les transitions nombreuses. Il est fondamental d’avoir une vision sur le sens de son travail pour comprendre quel est sa place dans l’organisation et quel est le cap donné par l’entreprise.

Pour agir, une panoplie de méthodes a été déployée. Elles passent d’abord par l’organisation du travail et les règles de gestion. Différents facteurs (4) ont été relevés comme fabricant ou détruisant du sens. Par exemple la communication d’informations: il ne suffit pas d’envoyer des centaines de mails. Les messages pourvoyeurs de sens se distinguent d’abord par leur cohérence, leur utilité, et leur convergence avec ce qu’expriment les salariés.

D’autres exemples managériaux ont été décrits: cohérence entre les valeurs de l’individu et celles de l’organisation, autonomie, climat social positif, possibilité d’utiliser ses compétences, mise en place de politique de reconnaissance, etc. A côté de ces facteurs managériaux, la formation des leaders est aussi pointée. Leadership bienveillant, authentique, habilitant, etc. sont autant de formes qui donnent plus d’autonomie et reconnaissent l’humain comme être pensant et ressentant des émotions. Le sens est alors protégé, préservé et amplifié.

Enfin, le management par le sens est aussi l’affaire de chacun. Différentes actions d’accompagnement et de développement ont été proposées, qui passent par une reconfiguration des postes du travail pour leur donner plus de sens (job crafting) ou par des ateliers de développement du sens du travail; en mobilisant dialogue et méthodologies innovantes, ils permettent aux salariés de s’emparer de ces questions et d’être eux-mêmes des acteurs du changement.

Une question subsiste: s’agit-il d’un leurre ou d’un graal? Tout dépend, en fait, du pilotage du management par le sens. S’il est conçu comme une forme de façonnage coercitif des esprits, inauthentique et sans âme, l’effet sera contreproductif. Le management par le sens mérite un pilotage global qui inclut une démarche sincère, partagée avec l’ensemble des acteurs de l’organisation, pour que chacun. soit ambassadeur du sens dans un monde qui se lézarde parfois et qui a bien besoin de cohérence.

(1) Bernaud, J.-L. (2018). Introduction à la psychologie existentielle. Paris: Dunod.

(2) Autissier, D., & Wacheux, F. (2007). Manager par le sens. Les clés de l’implication au travail. Paris: Eyrolles.

(3) Allan, B. A., Batz‐Barbarich, C., Sterling, H. M., & Tay, L. (2018). Outcomes of meaningful work: A meta‐analysis. Journal of Management Studies. Advance online publication.

(4) Morin, E. (2008). Sens du travail, santé mentale et engagement organisationnel. Santé psychologique, études et recherches, Irsst.

Chroniques «La recherche en actions»

Les chroniques regroupées sous l’intitulé «La recherche en actions» sont rédigées par des enseignants et chercheurs liés aux programmes de formation continue MRHC (Management, Ressources Humaines et Carrière) issus du partenariat entre les 4 universités de Suisse Romande.

Pour toute information complémentaire: mrhc@unige.ch

Coordination des chroniques «La recherche en actions»: Nadine Bagué, responsable pédagogique des Programmes de Formation Continue en MRHC.

 

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Jean-Luc Bernaud est professeur des universités au CNAM Paris et membre du laboratoire CRTD (Centre de Recherches sur le Travail et le Développement). Il intervient dans le MAS Management, Ressources Humaines, Carrières à l’Université de Lausanne. Il mène des travaux et intervient sur le sens du travail et de la vie, le management existentiel et le conseil en carrière.
Contact : bernaud.jl@gmail.com

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