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Le mobbing, ce symptôme d’une entreprise malade

Selon un sondage mené en Suisse, 7,6 pour cent des personnes interrogées disent souffrir de mobbing sur la place de travail. Les principaux facteurs invoqués qui empêchent les départements des ressources humaines d’aborder le mobbing sont le manque de volonté de la part de la direction de reconnaître le problème.

En juillet 2004, un cadre supérieur d’une grande banque zurichoise âgé de 56 ans est venu au travail à 8 heures du matin, a tué à coups de pistolet deux de ses supérieurs puis s’est suicidé dans son bureau. Il avait été l’objet d’un mobbing sévère de la part de ses victimes. Deux ans plus tard, la banque a annoncé que tous les employés devaient suivre un séminaire sur la gestion des conflits afin d’éviter des intensifications de violence semblables dans le futur. Il faut le rappeler, le mobbing constitue un risque de gestion important dans les organisations. Il détruit le moral, tue l’esprit d’initiative et crée une entreprise improductive avec un climat de culpabilité, d’angoisse, de paranoïa, de négativité et de productivité réduite. Le point sur le symptôme d’une entreprise malade.

Étendue du problème. En Suisse, les sondages de Jürg Schiffer (2002) montrent que sur 3220 personnes questionnées, 7,6% répondent positivement aux critères du mobbing, ce qui est très élevé par comparaison avec les données internationales disponibles. Un sondage de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail de 2004 révèle que 9% des ouvriers  de l’UE ont souffert du mobbing, soit environ 12 millions de personnes. En Allemagne, on estime à plus de 2 millions le nombre d’employés souffrant des effets et des conséquences du mobbing.

Dans la plupart des cas, le mobbing se passe sur un temps assez long. Le sondage national sur le harcèlement sur la place du travail en Grande-Bretagne a démontré que la plupart des victimes ont subi un harcèlement de plus d’une année et presque 23% sur une période de six à douze mois. En Scandinavie, la durée est de 15 à 18 mois tandis qu’en Allemagne, le mobbing dure habituellement de 29 à 47 mois.

Climat de peur. Le mobbing lui-même est tellement subtil qu’il est difficile à reconnaître, mais ses conséquences sont aisément perceptibles: un surplus de travail, un manque de soutien, un climat de peur et d’insécurité, ce qui provoque des absences pour cause de maladie et un roulement du personnel supérieur à la moyenne. Si le problème n’est pas reconnu, il peut se généraliser dans l’entreprise comme une maladie infectieuse.

Les mobbeurs sont surtout des managers. Le mobbing et le harcèlement moral peuvent être perpétrés par des employés de tous les niveaux, mais les coupables principaux sont les managers. Selon le Trade Union Congress (TUC) de Grande-Bretagne, deux millions de personnes ont été harcelées au travail pendant les six premiers mois de 2006. Les managers en ont été responsables dans 75% des cas. Le TUC propose que le mobbing/harcèlement soit traité comme n’importe quelle autre forme de danger au travail. Une étude de l’Université de Manchester en Grande-Bretagne démontre que 94% des personnes interrogées pensent que les mobbeurs peuvent s’en tirer sans problème et une personne sur six pense que leur employeur encourage une forme de gestion qui inclut du harcèlement. L’étude a également démontré que le mobbing découle d’un style de gestion autocratique comprenant des sanctions sans raison apparente dans un climat de travail négatif ainsi que d’une surcharge de travail et des relations sociales peu satisfaisantes.

En Suisse, diverses sources indiquent que 62 à 85% des mobbeurs sont des managers. Ces chiffres sont confirmés par les statistiques d’autres pays. Une recherche effectuée en Norvège (Einarsen & Skogstad) indique que 49% des harceleurs sont des hommes, 30% sont des femmes et dans 21% des cas, le harcèlement a été commis par des personnes des deux sexes.

Des victimes souvent performantes. Différentes recherches ont montré que les personnes cibles sont généralement plus attrayantes, performantes, compétentes, populaires et réussissent mieux que les autres. Elles sont au-dessus de la moyenne, plus efficientes et meilleures à leur travail que celles qui les harcèlent. En Suisse, les sondages de Jürg Schiffer montrent également que les étrangers sont deux fois plus fréquemment harcelés que les Suisses. Les citoyens à double nationalité sont également plus fréquemment harcelés que les Suisses.

Symptômes subtils. Le mobbing est la cause de sérieux risques de santé et de sécurité. La plupart des gens associent mobbing avec persécution par un groupe de personnes mais, en réalité, la grande partie des activités de mobbing est bien plus subtile. Le mobbing peut prendre la forme d’une tyrannisation, d’une intimidation ou de menaces ainsi que du maintien d’une pression déraisonnable sur le type et la durée du travail.

Les comportements de mobbing typique incluent: avoir des exigences déraisonnables, imposer des buts impossibles à réaliser et des règles restrictives ainsi que forcer les gens à travailler trop longtemps. Ils incluent également une allocation de tâches injustes, une surveillance continue et intrusive, un contrôle continu, une absence de marge de manœuvre dans la programmation des tâches quotidiennes, des ingérences dans les affaires personnelles ou le sabotage du travail, la menace implicite ou explicite d’être licencié ou rétrogradé. Tout ceci résultant d’un environnement de travail oppressif et maussade où les employés ont peur de parler, de remettre en question les décisions, conditions ou comportements.

Des effets destructeurs sur la santé de la victime. Les symptômes peuvent être un mal de tête, le manque de sommeil, des problèmes dermatologiques, la perte de confiance, l’envie soudaine de pleurer, les difficultés de concentration, un système immunitaire diminué, des problèmes gastro-intestinaux, des nausées allant jusqu’aux maladies causées par le stress, l’angoisse et la dépression, les idées de suicide, les maladies cardiaques et, dans les cas extrêmes, le meurtre et le suicide. En Suède, Heinz Lehmann estime que 15% de tous les suicides sont le résultat d’un harcèlement à la place de travail. En août 2006, un banquier privé âgé de 47 ans s’est suicidé dans une salle de réunion au siège d’une grande banque internationale suisse peu après avoir été licencié. Les suicides à la place de travail constituent un indice très clair de mobbing. De plus, le mobbing a un effet dévastateur sur la famille et les amis des victimes. En Suisse, les médias nationaux ont décrit le mobbing à la place de travail, en particulier dans les mondes de la banque et de l’assurance, comme un problème massif.

Aspects légaux. En Suisse, comme dans beaucoup d’autres pays, les demandes de compensation pour mobbing sont basées sur le manque de la part de l’employeur de «prendre soin de manière adéquate de ses employés». Une décision récente de la cour de justice de Zurich a concerné le cas d’une policière qui a été systématiquement harcelée et humiliée par son supérieur et ses collègues pendant une période de deux ans. Elle se préparait à une promotion, mais ne l’a jamais reçue. La cour a accepté le fait qu’elle avait été harcelée et, en 2006, lui a octroyé CHF 6000 de dommages et intérêts. Bien que cette somme soit très modeste, elle prouve que le mobbing existe. L’absence d’aide légale ainsi qu’une législation qui favorise l’employeur rend les poursuites par voie légale contre de grandes organisations très coûteuses et difficiles. Bien que le mobbing constitue un problème important en Suisse, le pays est très en retard par rapport à ses voisins en matière de protection des employés, ce qui est probablement une des raisons pour lesquelles le nombre de suicides et de meurtres à la place de travail est aussi important.

Un procès en Grande-Bretagne, qui a récemment reçu une publicité considérable, est celui de Helen Green contre la Deutsche Bank. Ce cas a attiré l’attention sur les effets catastrophiques du mobbing. Un juge de la haute instance, M. Owen, a estimé que la Deutsche Bank Group Services Ltd était responsable pour deux dépressions nerveuses et un état dépressif chez Helen Green à la suite «d’une campagne de harcèlement sans pitié comprenant des comportements méchants et malveillants ayant pour but de la mettre en état de détresse».

Selon les lois sur la santé et la sécurité au travail en Grande-Bretagne, les employeurs ont un devoir légal d’identifier, d’évaluer et de contrôler tous les risques potentiels de santé et de sécurité à la place de travail. Pour réussir dans leurs dé-marches légales concernant des demandes de compensation pour du stress au travail, les employés doivent prouver que leur employeur savait ou aurait dû savoir que leur traitement à la place de travail pouvait causer une maladie psychiatrique. Helen Green a réussi à démontrer que la tyrannisation subie constituait un harcèlement tel qu’il est défini dans la loi.

Les cas de mobbing/harcèlement ont de meilleures chances d’obtenir un résultat positif en Grande-Bretagne depuis que la chambre des pairs a récemment décidé que les employeurs étaient responsables par procuration, même s’ils estiment ne pas être au courant de la loi de protection du harcèlement pour les actions de mobbing. Le juge Owen a déclaré que le harcèlement dans le département de Helen Green constituait depuis longtemps un problème dont d’autres employés avaient été victimes. Il a décrit la gestion de la banque comme «faible et molle» et ajouté que «les cadres ont collectivement fermé les yeux sur ce qui se passait, sans doute dans l’espoir que le problème se dissiperait». La Deutsche Bank a été condamnée à payer 817000 livres en dommages et intérêts en plus des frais légaux.

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Texte: Dexter Morse

Dr Dexter Morse est directeur de Dexter Morse International SARL, une entreprise qui propose des formations, du coaching et de la consultation en matière de fraude, gestion et question interculturelles. 

Lien: www.dextermorse.com

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