Chronique

Le (non) respect du secret médical

L’absence d’un collaborateur pour cause de maladie est le plus souvent imprévue. Dans le meilleur des cas, le collaborateur malade rattra­pe son retard lors de son retour et son supérieur n’a qu’un petit travail administratif à fournir. Bien souvent par contre, cette absence surchar­ge le reste de l’équipe, demande un effort d’organisation ainsi qu’un suivi administratif.
 

Si l’absence se prolonge ou se répète, la situation professionnelle risque de devenir tendue et la relation avec les collègues et le responsable hié­rarchique se dégrade pour aboutir dans certains cas à une attitude franchement hostile envers l’employé. En effet, quoi de plus naturel que d’en vouloir au collaborateur malade qui est à l’origine de cette situation désagréable? D’autant plus s’il s’agit d’un «low performer», d’une personne aux compétences sociales peu développées ou d’un membre d’une minorité quelconque. Le souci du taux d’absentéisme et l’aberration d’une évaluation individuelle pour un travail collectif ne sont pas non plus étrangers à la ge­nèse de ce genre de situations.

Les collaborateurs en sont parfaitement conscients. La plupart du temps, ils présentent spontanément un «diagnostic acceptable» lorsqu’ils annoncent leur absence. S’ils ne le font pas, il n’est pas rare d’entendre un collègue ou le supérieur hiérarchique poser la question aussi compréhensible que non­professionnelle: «Mais qu’est-­ce que tu as?». On rencontre aus­si des situations où le département des ressour­ces humaines demande au service de santé de l’entreprise de se renseigner auprès du médecin traitant du collaborateur «s’il est vraiment ques­tion de maladie».

Pourquoi? Que font-­ils de ces informations? Vont-­ils traduire le diagnostic en capacités con­servées afin d’adapter la place de travail et ainsi faciliter le retour au travail du collaborateur? Mieux encore, vont-­ils vérifier si la maladie est due à des conditions de travail néfastes pour la santé et, le cas échéant, les améliorer? Ou bien, s’agit­-il plutôt de curiosité personnelle déguisée en attitude professionnelle? Montrer aux colla­borateurs malades que l’on se sent concerné par leur état de santé n’implique en aucun cas de connaître leur diagnostic. Incontestablement, nous sommes tous des experts de la santé, à ceci près que l’expertise en question se limite à notre santé.

De plus en plus souvent, les services de santé d’une entreprise, ou comme l’a montré le cas de COOP (1), les cadres,sont utilisés à des fins de coercition envers les collaborateurs malades. Sous le couvert d’un soutien, les services de san­té de l’entreprise sont parfois mandatés pour appeler l’employé à son domicile dès le premier jour d’absence, alors que contractuellement, le collaborateur n’est pas tenu de présenter un jus­tificatif. Etant donné que la préparation d’une tisane et la course à la pharmacie ne font pas partie de mandat, il est fort à parier qu’il s’agit simplement d’une mesure de persuasion peu subtile afin que l’employé réfléchisse à deux fois avant de se porter malade. Comment oser dire à une infirmière qui téléphone de la part de l’employeur, que l’on ne souhaite pas lui parler de ses problèmes de santé, que l’on tient à la séparation entre sphère privée et activité profes­sionnelle?

Le secret médical, est, rappelons-­le, essen­tiellement le secret du patient et ses implications légales ne se limitent pas aux seuls soignants. Parfois, l’interprétation pour le moins souple des contraintes légales en entreprise fait oublier que la transgression des règles de la part de l’employeur est également suivie de consé­quences, c’est-­à­-dire, d’une perte de producti­vité à long terme. Si l’on s’appuie sur le concept de gestion de la santé en entreprise, la collabo­ration avec des spécialistes de la santé au travail, dans le respect des rôles professionnels et leur cadre légal intrinsèque, s'impose.

(1) COOP est accusée de consigner les données médicales de ses employés sur le «formulaire d’entretien de retour d’un congé maladie». Information révélée dans l’émission «On en parle» RTS 1 du 12.9.2013.
 

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Lisa Langwieser, infirmière spécialisée en santé au travail et formatrice d'adultes, travaille depuis plusieurs années pour diverses entreprises en Suisse romande. Titulaire d'un diplôme en santé publique, elle porte un intérêt particulier au domaine de la migration, tant dans le contexte de l'entreprise qu'au niveau de la formation. D'origine allemande, Lisa Langwieser travaille actuellement comme infirmière consultante en santé au travail en entrprise et comme formatrice dans le secteur des soins et de la santé.

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