La chronique

Le nouveau monde

Si l’année 2020 est comparable à la conduite automobile, je crois que nous avons passé la majorité du temps à circuler hors chaussée goudronnée. Même lorsque nous reprenions les rassurantes routes balisées, certains usagers étaient convaincus que les nouvelles règles de circulation ne leur étaient pas destinées.

C’est ainsi que nous sommes entrés en 2021, au volant d’un véhicule chahuté par un usage pour lequel il n’avait pas été destiné. Le droit social, gardien de la stabilité et de la prédictibilité des relations dans les entreprises est devenu, pour certains de ses pans, une bizarrerie obsolète qui ne savait plus vraiment gérer la notion de lieu et de temps.

La fiscalité du travail n’avait pas imaginé que des frontaliers ou des expatriés soient cloués dans une juridiction qui n’était pas celle de leur employeur. Les croyances clivantes des collaborateurs ont dégradé dans de nombreux environnements, la qualité des relations. Le leadership et les réflexes de management acquis dans un monde monolithique sont devenus erratiques et n’avaient que peu de prise sur des collègues éparpillés dans la nature derrière leurs écrans.

Certes, notre environnement a grandement changé et ce fut imposé, mais c’est désormais notre rôle de le façonner pour qu’il soit le socle d’une société plus sereine. Il me semble assuré que les tendances qui suivent se confirment, alors préparons-nous pour sortir de la soumission aux faits et passer dans la reconstruction active de notre environnement.

Les femmes ont été au niveau planétaire les premières victimes de la crise sanitaire d’un point de vue économique. Beaucoup ont perdu leur emploi et leur retour sur le marché du travail ne se fera pas à leurs conditions antérieures. Il est dorénavant intenable pour une direction générale et une fonction RH, de ne pas déployer de politique de rémunération qui soit bâtie sur l’égalité des genres. J’anticipe mécaniquement une détérioration du fossé des rémunérations hommes/femmes par le seul fait de l’éloignement du marché du travail, anticipons et ne laissons pas par inaction, une double peine s’appliquer quand elles rejoindront vos équipes.

Les outils de contrôle des collaborateurs sont devenus de plus en plus puissants et intégrés dans les suites logicielles des grands éditeurs. En voulant «rassurer» le management que le télétravail n’est pas un lieu de moindre productivité, tout est devenu traqué et consolidé chez les responsables IT.

En quelques mois, les plus grands acteurs du digital ont transformé nos ordinateurs portables en autant de bracelets électroniques qui rapportent en temps réel et servilement tous les indicateurs plus ou moins crédibles de productivité. Attention à l’utilisation de ces outils d’administration, car ils portent en eux la pire des cultures de management: l’absence de confiance. Big Brother n’est jamais cité comme un leadership inspirant ni comme un environnement que l’on souhaite rejoindre.

Le risque majeur du recours aux solutions informatiques intégrées de recrutement sera d’accélérer dans nos entreprises, la rupture entre la population très qualifiée et toutes les autres. La gestion de la masse principale des candidatures se fera par le biais d’algorithmes potentiellement biaisés et l’expérience des candidats et des futurs collaborateurs sera aseptisée voire déshumanisée.

Seule une fraction des candidats à «haute valeur ajoutée» bénéficiera d’un processus lui aussi à haute valeur ajouté, c’est-à-dire soumis à la pensée complexe humaine. Réfléchissez à deux fois à la fausse bonne idée qui privilégie l’économie d’un ou deux salaires, à un moment donné, dans un département RH si vous introduisez dans toute l’entreprise une technologie qui ruinera vos standards de sélection.

La santé mentale des équipes est aujourd’hui une incontournable dimension de la fonction RH et du management. Il ne s’agit point d’intrusion dans la sphère de la médecine du travail, ni de porosité dans le secret médical, mais d’une collaboration vraiment étroite entre les RH et les acteurs de la santé, médecins, infirmières et psychologues.

En désamorçant les perceptions ringardes sur la santé mentale, les RH ont un rôle central à jouer. L’intégration dans les prestations sociales traditionnelles de l’entreprise d’un accès à un professionnel par une hotline est simple et peu coûteuse. L’anonymat de la prestation rassure et permet de ne pas laisser des collaborateurs en déshérence face à des managers trop souvent désemparés.

La crise a accéléré l’érosion de l’engagement, la situation qui nous fait face n’est pas la lutte contre la simple dégradation de la motivation des troupes, il s’agit de se battre contre le détachement. À force de Zoom et Teams pour maintenir le contact, nous avons réussi à virtualiser l’autre et à le transformer en un avatar, nous sommes devenus plus familiers avec l’arrière-plan des maisons de nos collègues qu’avec les murs de nos entreprises.

Si nos interactions avec nos fournisseurs, nos clients et même notre famille passent désormais par Zoom, ne nous laissons pas leurrer par cette adoption massive de la technologie, qui est une mesure de seule substitution. Cette apparence de nouvelle normalité doit être un sujet central d’action contre nos isolements et nos solitudes collectives.

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Olivier Deslandes est Executive HR au sein de la HR-Patrol. Ancien DRH du Groupe Lombard Odier, DRH pour le retail banking international de BNP Paribas, il a passé sa carrière RH entre les Etats-Unis, Singapour, le Japon l'Europe et la Suisse. Il accompagne aujourd'hui les dirigeants à identifier les meilleurs talents et à simplifier les organisations. Lien: www.hr-patrol.com - Contact: 079 967 55 35

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