Survivre à une faillite

Le rôle du DRH dans un processus de faillite

Lorsque l’on évoque une faillite, c’est immédiatement les figures de l’avocat et celle du client lésé qui surgissent à l’esprit. Puis celle des collaborateurs qui, par la perte de leurs emplois, brutalement deviennent des chômeurs. Il conviendrait également de nous intéresser au rôle des DRH dans cette aventure (fossoyeurs-liquidateurs, accélérateurs, urgentistes...). Voici cinq idées à retenir.

Vous êtes un St-Bernard. Alors devenez plutôt un Dr Barnard!

Si vous avez choisi la carrière RH, c’est certainement par goût des femmes et des hommes qui composent les organisations. Si tel est le cas, passez votre chemin, achetez un gilet pare-balles et téléphonez à votre coach. Pourquoi ces mesures drastiques? Parce que le processus de faillite déchire les plus belles amitiés professionnelles, par sa violence et son inéluctabilité. C’est une marche forcée à la mort de l’organisation et il s’agira de fermer la boutique. Vous serez logiquement le dernier qui éteindra la lumière. Au stade final de la mort arrivante, le DRH va cristalliser sur sa tête le mécontentement agressif de tous ses collègues qui vous attendent là où vous ne pouvez pas être, c’est-à-dire dans la résolution immédiate de toutes leurs difficultés (administratives, économiques, psychologiques, professionnelles). Sensibles et St-Bernard s’abstenir. Par contre Dr Barnard (pionnier de la transplantation cardiaque et de la chirurgie lourde), bienvenue au board.

Vous qui êtes fort, devenez le spécialiste des signaux faibles!

La faillite et la mort d’une organisation ne ressemblent pas à une fin nucléaire précédée d’un éclair atomique rasant. Ni à un cyclone dévastateur, puissant, incontestable, clair. Encore moins à une coupure d’électricité subite, propre et indiscutable. Certes, elle est tout cela à la fois et il y a clairement un avant et un après. Mais elle est bien plus. Elle est plutôt de l’ordre de multiples tremblements de terre successifs assortis d’infinies répliques qui toutes mobilisent émotionnellement l’organisation. Des phases de fulgurance urgente, puis des phases de rémission sourde. Nous sommes dans l’ordre de la démolition et la croqueuse de béton œuvre des jours, des mois, voire des années durant avant d’en venir à bout. Ce sont donc ces ruptures sismiques régulières, micrologiques et quasi quotidiennes, qui, alternées avec des phases de silence et de répit, finissent par faire craquer l’entièreté de l’organisation et de ses serviteurs. Ces éléments vitaux de l’organisation se laissent observer par un œil averti (les rappels de facture, les premières plaintes de clients, les premiers appels des fournisseurs, les premiers téléphones des journalistes, les premières questions à la direction générale sans réponse...). Vous qui êtes fort et au cœur de la forteresse, devenez le spécialiste de ces signaux faibles!

Vous voulez survivre? Alors imposez-vous comme partenaire stratégique!

Pour prendre sa place dans une organisation en faillite, il faut agir. Pour agir, il faut comprendre. Pour comprendre, il faut obtenir des informations. Pour obtenir des informations, il faut se positionner et aller les chercher, car la communication spontanée n’est pas le point fort des organisations, surtout en situation d’apoplexie.

Généralement, pour la Direction générale, c’est le grand huit. Mais pour la base, à leurs yeux, rien ne se passe, durant des semaines. Parfois les cadres sont suffisamment proches du comité exécutif pour saisir que des événements exceptionnels s’invitent sur l’agenda, mais en même temps des informations clés leur manquent pour donner du sens et agir en conformité au contexte. Il leur devient alors nécessaire de capter «les signaux faibles» en multipliant leurs ancrages stratégiques au sein de l’entreprise. Le DRH doit partir à la pêche. Nécessaire pour cadrer le flou, gérer le mou, maîtriser le chaos. Poser des hypothèses. Cette phase de sublimation (passage du solide au gazeux) génère une énorme dispersion d’énergie et d’angoisse et implique une certaine audace. Car, en processus d’agonie organisationnelle, mille nouveaux acteurs émergent au sein de l’entreprise! La carte du pouvoir est à ce moment extrêmement mouvante. Elle implique une reconfiguration de la stratégie de réseautage intensive nécessaire à l’obtention d’informations: se rapprocher de sa Direction générale, de ses pairs, de certains membres du Conseil d’Administration, des réviseurs internes, des fiducies de révision externe, des autorités de régulation, des experts externes de confiance liés à votre réseau personnel, se rapprocher de groupes de travail internes, rencontrer les avocats conseil, tisser des relations avec la frange syndicale émergeante, avec les consultants en stratégie dont la présence discrète étonne et apeure, etc. L’avenir, pardon, la mort de l’entreprise se décide dans ces gremiums dont il faut percer le centre de gravité, saisir l’importance de leur pouvoir d’influence, identifier les leaders informels. Et comprendre comment ces instances s’articulent, se complètent, se légitiment, se concurrencent. Il convient donc de s’associer pour être associé à la situation.

Vous n’êtes pas juriste ? C’est peutêtre une chance, mais relisez malgré tout la LP (Loi sur la poursuite pour dettes et la faillite)

Vous y découvrirez l’entier du processus, complexe comme une carte routière avec ses nœuds gordiens et ses reliefs. Cela vous donnera le cadre général. Essentiel pour agir avec pertinence dans le détail. Un élément cependant: vérifiez bien le traitement des préavis contractuels des collaborateurs licenciés par la déclaration de la faillite (1, 2, 3, 6 mois). Il se peut qu’ils ne soient pas honorés immédiatement et qu’ils soient considérés comme appartenant à la «masse en faillite». Les licenciés doivent alors produire des créances à l’endroit de l’entreprise faillie, selon un protocole pré-établi, afin de faire reconnaître leur droit. Prévoir deux ans minimum pour retrouver ce dû. Et sortez votre casque de l’armoire lorsque tous vos collègues viennent en rang par deux exiger ce qui leur appartient contractuellement.

Vous êtes ceinture noire de zen et votre mental est d’acier? Alors écoutez votre corps!

Après six mois de travaux forcés, d’heures supplémentaires, de deuil puissant, de discussions surréalistes avec nos amis juristes, tout en rédigeant en rafale 200 certificats de travail, vous devrez peut-être apprendre à respirer et à écouter votre corps. Car il aura certainement des choses à vous dire. Accompagner émotionnellement une faillite revient à engager tout son être, y compris son être physique. L’entreprise transforme les corps et l’apparition des «gueules cassées» est surprenante: palpitation, perte de sommeil, douleurs diffuses, excroissance osseuse, amaurose fugace (perte de la vue subite et provisoire), folliculite aigüe, bipolarisation, talalgie... L’entreprise si puissante et rassurante autrefois devient un asile. La question qui survient alors est étrange: comment ne pas perdre son âme dans une entreprise qui déglingue votre corps?

La souffrance au travail et l’appel des corps n’est donc pas un mythe, nous en attestons. Il conviendra désormais de prendre les théoriciens de la souffrance au travail au sérieux. Cessons de ricaner et imposons Dejours, de Gaulejac et Clos, notamment, en lecture obligatoire dans tous les MBA. Quand l’idéologie gestionnaire cessera-t-elle enfin de snober les sciences humaines qu’elle adore nommer «sciences molles » alors qu’elle se prévaut avec arrogance depuis près de 100 ans d’être l’expression de «l’homme rationnel»?

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Stéphane Haefliger est psychosociologue de formation, membre de direction du cabinet Vicario Consulting et chargé de cours régulier dans les universités romandes. Il est également l’auteur de: DRH et Manager, levez-vous! Vie et mort des organisations, Editions EMS, Paris, 2017.

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