Rémunération

Le salaire de marché, une pierre d’achoppement pour l’égalité salariale?

Malgré les qualités qu’on lui prête, le concept de «salaire de marché» reste une construction sociale. À ce titre, il est vulnérable aux stéréotypes de genre et peut contribuer à faire perdurer la discrimination salariale. Afin de limiter ce risque, les entreprises ont intérêt à adopter de bons réflexes en augmentant notamment leur compréhension et leur niveau d’exigence vis-à-vis des indicateurs de marché.

Le salaire de marché dépend de l’intersection entre l’offre et la demande. Il correspond théoriquement au point de maximisation du profit, c’est-à-dire à l’équivalence entre le revenu marginal des produits et le coût marginal des ressources. Il est donc aisé de comprendre pourquoi ce salaire est considéré par beaucoup comme rationnel sur le plan économique.

L’approche régulationniste nuance cette perception en considérant que le marché est une construction sociale et que la main d’œuvre n’est pas un produit comme les autres. Nombreuses sont les études qui supportent cette hypothèse en montrant, par exemple, que le marché défavorise sur le plan salarial les fonctions dites féminines. Aucune étude ne suggère en revanche que les femmes soient, dans une même fonction et à compétences égales, moins productives que les hommes.

C’est pourquoi les tribunaux ont imposé des limites strictes aux employeurs dans l’utilisation d’arguments tels que la situation sur le marché externe comme motif justifiant les différences salariales entre femmes et hommes. Dans les expertises juridiques, c’est la définition de la valeur du travail interne à l’entreprise qui est examinée et non celle qui découle du marché externe.

La valeur interne des fonctions est généralement définie par une méthode d’évaluation analytique du travail du type Point-Ranking Methods. Si cette méthode est non discriminatoire et que les salaires internes sont strictement liés à la valeur des fonctions, alors le principe constitutionnel de salaire égal pour travail de valeur égale devrait théoriquement être respecté.

Toutefois, les entreprises tendent à combiner leur logique interne avec l’approche externe. Cela peut permettre de gagner en compétitivité mais contribue à une perte de cohérence à l’interne. Or il y a un risque de non-respect de l’égalité salariale dès que la valeur interne de la fonction n’est pas liée directement au salaire.

Les entreprises ont donc intérêt à s’assurer que les données de marché soient non seulement de bonne qualité mais surtout non biaisées avant de les intégrer directement ou indirectement dans leur système de rémunération. Pour cela, il convient de rappeler qu’il n’y a pas de salaire de marché parfait mais une série d’indicateurs plus ou moins fiables de la façon dont les fonctions sont rémunérées au sein d’un système social inégalitaire.

Les principaux indicateurs du marché sont les informations venant des candidats lors des entretiens d’embauche, les benchmarks salariaux, les enquêtes de rémunération et les calculateurs de salaire. Le tableau ci-dessous met en évidence certaines des forces et faiblesses de ces indicateurs.

Pour optimiser la qualité des données prises en compte dans leur système de rémunération, les entreprises, RH et C&B devraient adopter de bons réflexes face à ces indicateurs. Il s’agit déjà de s’intéresser au degré de correspondance du profil des charges et exigences des fonctions internes et externes. Il s’agit ensuite de faire attention à la représentativité des données afin de déterminer dans quelle mesure elles reflètent effectivement le marché. Pour cela, il est important de savoir quelles sont les entreprises et les fonctions inclues dans les données de marché considérées et d’avoir un point de vue critique sur leur construction. Enfin, il s’agit d’ajuster la pondération des données de marchés sur la définition du salaire interne en fonction de leur degré de fiabilité.

 

 

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Mathieu Pluvinage est Head Total Rewards & Analytics Switzerland chez Ernst & Young AG.

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Après avoir réalisé une thèse de doctorat liée à la discrimination au travail, Steve Binggeli a travaillé plus de six ans dans les bureaux de l’égalité de la Confédération et du canton de Vaud. Aujourd'hui, il est membre du Comité de Direction du Service du Personnel de la Ville de Lausanne, responsable de la rémunération et de l’analytique RH. Il préside aussi le conseil de la fondation Pacte qui a pour mission de promouvoir l’égalité des chances et la mixité en entreprise

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