S’il était politicien, on dirait que Stéphane Haefliger sort aujourd’hui d’une longue traversée du désert. Figure de la communauté RH de Suisse romande, conférencier, chroniqueur de talent et homme de réseau, il a disparu des radars médiatiques fin 2014. Cette éclipse est liée à la mise en faillite tonitruante de son ancien employeur, la Banque Privée Espírito Santo (BPES). Dans cette sombre affaire de comptes trafiqués et d’actifs toxiques, Stéphane Haefliger a failli lui aussi y laisser sa peau. Après neuf ans de bons et loyaux services, le sol a cédé sous ses pieds. «Au pire de la crise, lorsque tout le monde était tenté de fuir le navire, j’ai décidé d’accompagner le mourant jusqu’au bout», raconte-t-il aujourd’hui, depuis sa maison familiale de Saxon (Valais). Et bien sûr, il en a fait un livre*. Homme de terrain, Stéphane Haefliger a toujours entretenu un regard réflexif sur sa pratique professionnelle, documentant ses expériences avec sa plume incisive et ses formules cisaillées.
Nous commençons par là, en lui demandant ce qui l’anime dans l’écriture? «D’abord une grande joie, semblable à celle du voyage et de la rencontre. Je pense avant tout avec ma main. Je suis d’une génération formée avec, par et à travers le livre.» Dans son dernier opus, les pages qui racontent les effets de la mise à mort d’une organisation sur le corps de ses collaborateurs sont vertigineuses. Le récit est dramatique et drôle à la fois. «Dans des situations extrêmes, les corps peuvent exprimer souffrances et stigmates avec une violence inouïe. Celui-ci a perdu fugacement la vue, un autre s’est mis à boitiller, celui-là ne dormait plus». Lui-même avoue avoir pris vingt kilos durant cette descente aux enfers. Il les a perdu depuis. A coups de longues marches dans son Valais natal et d’assiettes de salade à l’eau minérale. Mais c’était moins une.
Chocs émotionnels
Car le mental a aussi pris un sacré coup: «Nous avons tous vécu des chocs émotionnels répétés et puissants. Durant plusieurs mois, nous vivions à la fois des phases de deuil, une suractivité professionnelle et des poussées d’angoisse, le tout dans des journées sans fin». Il refuse pourtant de baisser les bras: «Je suis resté par affectivité et par loyauté. J’ai profondément aimé cette organisation. Il m’était inconcevable d’être le capitaine du Concordia. J’avais cependant largement minimisé les risques de cette posture. Surtout que je cumulais les tâches de porte-parole avec celles du DRH. Avec le recul, je serai davantage prudent. C’était comme d’entrer dans un tunnel de lavage, mais sans la voiture», confie-t-il, le sourire en coin.
S’il a survécu, c’est sans doute grâce à sa posture de sociologue. Son regard n’est pas aigri. Il n’est pas revenu pour régler ses comptes. Au contraire. Le cœur est resté intact. Son livre regorge d’anecdotes d’hommes et de femmes qui se sont sublimés dans la tourmente. Il raconte: «Au moment de la mise en faillite, les ressources diminuaient, mais le volume d’activité augmentait. J’ai vu des collaborateurs occuper par défaut et avec succès des fonctions pour lesquelles ils n’avaient ni la formation, ni le salaire.» Et comme toujours, ces apprentissages du terrain alimentent sa critique du métier RH. «Ces observations démontrent en fait l’inefficacité des processus RH classiques. Je plaide aujourd’hui pour davantage d’audace dans le recrutement, plus de prise de risque dans les mutations, plus d’inventivité dans les plans de mobilité. Les processus RH actuels sont castrateurs et rétrogrades. Ils nient le plus important, le potentiel des individus.»