Crise managériale

Managers de transition: des durs à cuire qui sauvent des emplois

Les managers de transition interviennent notamment pour retourner des entreprises proches de la faillite. Envoyés par les conseils d’administration ou les actionnaires, ils commencent par licencier et restructurer l’organisation. Comment fonctionnent-ils? Et quels sont leurs rapports avec les DRH? 

Ce sont des managers de crise payés par les investisseurs pour faire le sale boulot. Envoyés par des conseils d’administration ou des fonds d’investissement pour retourner une situation critique, les managers de transition ont pour mission de sortir l’entreprise de l’impasse et de relancer les activités. Endettement, perte de parts de marché, dysfonctionnement grave dans un comité de direction, peu importe la situation, c’est à eux de décider rapidement comment s’en sortir. Une fois leur mission accomplie, ils repartent restructurer ailleurs. Pour comprendre leur fonctionnement et le contexte de leurs interventions, HR Today a interrogé plusieurs managers de transition de la société Procadres International, dont une filiale a ouvert l’an dernier à Genève. Pour illustrer l’étoffe de ces durs à cuire du management, ils ont tous décroché leur téléphone après quelques sonneries seulement. Le ton de leur voix est confiant, calme et tranchant. Ils vont droit au but, sans perdre une seconde.
 

«725» ou crise managériale

«En général, c’est toujours un problème de liquidité qui déclenche le processus», assure Raoul Sautebin, manager de transition dans le secteur industriel. «Dans notre jargon, nous parlons d’une situation «725», en référence à l’article 725 al. 1 du Code des obligations. On nous appelle le plus souvent juste avant la faillite. Quand plus de 50 pour cent du capital action est absorbé par des pertes, la loi oblige le conseil d’administration à tirer la sonnette d’alarme. Derrière ce problème de liquidité, il faut ensuite aller creuser pour comprendre où cela dysfonctionne. C’est souvent une stratégie boiteuse ou mal appliquée, voire pas de stratégie du tout. Notez que cela peut aussi être à la suite d’un décès ou du départ imprévu d’un dirigeant.»
 
Selon Olivier Taburet, qui intervient régulièrement dans des situations de crise, «nous sommes souvent confrontés à des problèmes d’endettement. Les banques ne veulent plus prêter et elles exigent qu’un expert revoie la stratégie avant d’accorder une rallonge». Cet autre manager de transition, qui préfère lui aussi rester anonyme, s’est spécialisé dans les PME familiales: «Les problèmes apparaissent souvent au moment de la succession. Soit le junior n’est pas encore prêt à reprendre l’affaire, soit il y a un clash entre deux ou plusieurs membres de la famille. Nous arrivons donc dans des environnements délicats où il faut savoir manœuvrer avec fermeté et intelligence.» D’autres situations typiques sont des conflits dans une équipe de dirigeants. Un autre manager de transition, qui préfère garder l’anonymat, poursuit: «J’ai connu des entreprises où un des dirigeants mettait tellement de pression sur ses équipes que le taux de productivité baissait d’année en année. Il a fallu le recadrer.»
 

Pouvoir, analyse et licenciements

Raoul Sautebin: «La première chose à faire est d’obtenir le pouvoir. Vous avez beau avoir la meilleure stratégie du monde, si vous n’êtes pas en mesure de l’appliquer, c’est peine perdue!» Typiquement, le manager de transition sera donc nommé administrateur délégué. Il est aussi parfois amené à remplacer le CEO. «Notre valeur ajoutée est notre regard externe. Très souvent, les problèmes existent depuis un moment, mais personne n’a osé les mettre sur la table. Dans ces conditions, seule une impulsion externe permettra de déclencher le processus de guérison», souligne notre interlocuteur.
 
La première étape consiste à analyser les causes de la crise. Sans perdre de temps. «Il faut être capable de livrer un business plan avec une nouvelle stratégie au conseil d’administration en deux à trois mois», assure Raoul Sautebin. L’analyse de la situation implique de comprendre les contrats cachés. Bertrand Duvivier, manager de transition spécialiste de la finance, explique: «Un contrat caché représente tous les modes opératoires d’une entreprise qui ne sont pas formalisés par écrit. Par exemple, le fait de prendre trois jours de congé entre Noël et Nouvel An. Si vous touchez à ces habitudes vous risquez de créer encore plus de tumulte. J’essaie donc d’être très attentif à toutes ces règles informelles auxquelles les collaborateurs tiennent parfois beaucoup.» En règle générale, le problème se situe au niveau stratégique: un manque d’innovation dans les produits, une forte baisse dans les ventes ou des problèmes dans le supply chain. «On nous compare souvent à des consultants, relèvent Olivier Taburet et Raoul Sautebin. Mais notre rôle est différent. Certes nous délivrons notre analyse. Mais une fois que le diagnostic est posé, le conseil d’administration nous demande d’appliquer les mesures que nous préconisons et de manager les équipes. Nous sommes donc très impliqués dans l’opérationnel et nous devons assumer les risques de nos recommandations. Ce qui n’est pas le cas des consultants classiques.»
 
Les licenciements figurent en général parmi les premières mesures. Bertrand Duvivier: «Une première chose à faire est de nous séparer des éléments démotivés ou qui ne collent plus avec la nouvelle stratégie. Ce sont des entretiens difficiles. Notre rôle est d’être le plus convaincant possible et d’expliquer en toute transparence les raisons qui nous menés à cette décision de licenciement.» Raoul Sautebin précise que «si ces entretiens sont bien menés, avec responsabilité et loyauté, les collaborateurs et les syndicats se montrent compréhensifs. C’est sans doute un des grands avantages de la Suisse en comparaison avec nos voisins français».
 

Résistances et incompétences

Les résistances au nouveau plan stratégique ne sont pourtant pas à exclure. «Je me souviens d’un cadre de haut niveau qui faisait de la rétention d’informations. Il refusait de former son successeur. Il m’a dit: «Vous ne pouvez rien faire contre moi, vous avez besoin de mes savoirs.» Je lui ai répondu que son attitude l’avait protégé jusqu’à maintenant, mais que les choses allaient changer. Il a été licencié quelques semaines plus tard», confie notre interlocuteur. Les managers de transition souffrent aussi d’un a priori négatif en entreprise. Ils sont souvent vus comme des nettoyeurs froids et sans émotions, dont l’unique mission est d’augmenter les profits des actionnaires. Olivier Taburet: «Je vous l’accorde, notre image est plutôt négative dans ce rôle de sortie de crise, mais ce n’est plus l’unique recours au management de transition depuis longtemps. Ces situations que nous devons récupérer sont le fruit de décisions prises bien avant notre arrivée. C’est à nous de résoudre le problème, mais nous le faisons pour assurer la pérennité de l’entreprise, et donc, à terme pour sauver des emplois. En gestion, il faut parfois savoir se couper un bras pour survivre, puis le regénérer». Tous les managers de transition interrogés s’accordent sur ce point. Leurs interventions sont dures, mais elles ont vocation à sauver une entreprise de la faillite.
 

Relations avec les DRH

Parlons enfin de leur relation avec les DRH. Pour Bertrand Duvivier, «cette relation est fondamentale, même si nos positionnements sont très différents. Un manager de transition n’a pas de passé, ni de futur. Il n’est pas pollué par les enjeux politiques de l’entreprise. C’est son grand avantage. A l’inverse, un DRH se doit de comprendre ces mécanismes afin de veiller au respect des règles et des valeurs». Rares sont les DRH qui font directement appel à un manager de transition. «Nous avons par contre besoin de leur expertise technique une fois que les décisions ont été prises», complète Olivier Taburet. Au moment d’un licenciement collectif, le DRH sera d’une aide précieuse pour choisir les éléments dont on va se séparer.
 
Raoul Sautebin précise: «Ces situations sont très délicates. Si vous décidez de licencier tous les seniors, vous envoyez un message dramatique aux 40-50 ans, qui de surcroît détiennent généralement le savoir-faire. Il faut éviter aussi de toucher des personnes dont le licenciement pourrait avoir des conséquences fatales dans leur vie privée. Cela m’est arrivé plusieurs fois de dire au DRH qu’il avait la possibilité d’atténuer la dureté d’un licenciement. Et je lui ai laissé entière liberté pour choisir ces gens. S’il fait bien son travail, le DRH est le thermomètre de l’organisation. Il devient un partenaire indispensable lors de restructurations. Et dans ce domaine, mon expérience m’a montré que les femmes sont excellentes. Compréhensives, humaines mais fermes.»
 

Les intervenants

Raoul Sautebin est manager de transition, specialisé dans le secteur industriel. Il a participé à plusieurs transformations d’actionnariat avec le groupe Leclanché.
 
Olivier Taburet est manager de transition, specialisé en finances et contrôle de gestion, et le créateur de l’antenne genevoise de Procadres international. procadres.com
 
Betrand Duvivier est manager de transition, spécialisé en finances. Il a notamment été directeur financier chez Giraud avec le fonds Butler Capital Partners.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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