Méandres du licenciement immédiat
Abus de confiance, vol, usage abusif d’internet, ivresse au travail, arrivée tardive, faux témoignage, mobbing, harcèlement sexuel, altercation avec l’employeur, bagarres entre collègues, faux timbrages, activité concurrente: voilà autant de comportements inacceptables, susceptibles de déboucher sur un licenciement immédiat. Sa validité est soumise à des conditions restrictives.

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L’employeur peut licencier en tout temps, y compris durant une période de maladie, son employé avec effet immédiat, s’il dispose de justes motifs (art. 337 CO). Il s’agit de tous les faits qui sont objectivement de nature à détruire le lien de confiance essentiel à la relation de travail. Il ne doit pas pouvoir être exigé de l’employeur qu’il poursuive les rapports de travail jusqu’à la fin du délai de congé.
Seul un manquement particulièrement grave de l’employé peut justifier un licenciement immédiat. Si cette faute est moins grave, elle ne peut valoir une résiliation immédiate que si l’employé a récidivé, malgré un, voire plusieurs avertissements.
Le licenciement immédiat est une mesure exceptionnelle qui n’est admise que de manière très restrictive par la jurisprudence. Pour déterminer l’existence d’un juste motif, il faut tenir compte de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, telles que nature, gravité et fréquence des manquements, fonction et statut du collaborateur, existence d’avertissements antérieurs ainsi que dommage occasionné à l’employeur. Tous ces éléments doivent être scrupuleusement soupesés dans l’analyse.
Vol
Un vol, au détriment de l’employeur ou d’un client, justifie une résiliation immédiate, sans avertissement préalable, quelle que soit la valeur du bien dérobé. Le Tribunal fédéral (TF) a considéré que le licenciement immédiat d’un aide de cuisine qui, après 11 ans de service, avait volé une bouteille de vin de faible valeur était justifié. Il en va de même d’une caissière qui a volé deux paquets de crackers et deux emballages de charcuterie, d’une infirmière qui a pris un billet de CHF 50.- dans le portemonnaie d’un patient ou d’un ouvrier qui a dérobé une guirlande de Noël.
Conflits avec le patron
Chaque collaborateur est tenu d’adopter un comportement respectueux à l’égard de ses collègues et supérieurs. Il doit s’abstenir de porter atteinte à leur personnalité. Dès lors, seules les atteintes graves à la personnalité peuvent faire l’objet d’un licenciement immédiat, sans avertissement préalable.
Sur un chantier, une altercation a eu lieu entre un ouvrier et un machiniste. Le premier s’est rapproché du véhicule que son collègue conduisait, a passé la main par la vitre baissée et lui a tiré les cheveux, avant de l’extirper de l’habitacle, la main toujours empoignée à sa chevelure. Le TF a considéré que le licenciement immédiat était injustifié. L’ouvrier avait 13 ans d’ancienneté et n’avait jamais reçu d’avertissement. L’incident s’était produit sur un chantier qui implique par essence une «certaine rudesse».
Une femme de chambre enceinte refuse de participer à une réunion d’équipe. Face à l’insistance de la gouvernante de l’hôtel, elle finit par s’y rendre. Durant cette réunion, le ton est monté. La femme de chambre a alors tenté de frapper sa supérieure avec sa chaussure et lui a lancé un verre d’eau à la figure. Le TF a admis le licenciement immédiat. Malgré sa grossesse et la fatigue liée à la pénibilité du travail, l’employée a gravement manqué de respect à sa supérieure. Elle avait également reçu un avertissement 5 jours plus tôt.
Harcèlement sexuel
Lorsqu’un collaborateur commet un acte de harcèlement sexuel à l’encontre d’une/d’un collègue de travail, il porte gravement atteinte à sa personnalité. Selon le TF, si le collaborateur persiste dans son harcèlement malgré un avertissement, il s’expose à un licenciement immédiat.
Un collaborateur a harcelé une collègue, en l’appelant à de nombreuses reprises, sur son téléphone portable en dehors des heures de travail. Lors de ses appels, il formulait des remarques gênantes sur ses sous-vêtements et ses préférences sexuelles. Malgré un avertissement, le collaborateur a continué de la harceler. Le TF a admis le licenciement immédiat.
Un chef de cuisine, responsable des apprentis, travaille depuis 30 ans dans un hôtel où l’ambiance est familière. À l’issue de son apprentissage, une apprentie se plaint auprès de la Direction du harcèlement sexuel que lui a fait subir le chef de cuisine. Pendant 3 ans, il a tenu des propos grossiers, à connotation sexuelle, en lui demandant de se mettre à quatre pattes, en l’appelant «petite chérie» ou «petite cochonne». Il lui donnait également des bisous et lui faisait des caresses sur la joue. Le TF a admis le licenciement immédiat justifié prononcé par l’employeur. Le chef était un cadre qui devait avoir un comportement exemplaire. Il a abusé de ses prérogatives pour se permettre des attitudes déplacées envers son apprentie. Le fait qu’elle ait choisi de travailler dans un «bistrot de quartier» ne signifie pas qu’elle ait accepté d’être confrontée à des atteintes injurieuses et à caractère sexuel.
Par contre, il n’y a pas de harcèlement sexuel lorsque des personnes qui travaillent ensemble depuis de longues années et s’appellent «mon grand garçon» ou «ma petite». De même, des déménageurs habitués l’un à l’autre pourront s’appeler «ma poule» sans penser à mal.
Faux timbrage
Les manipulations intentionnelles d’une carte de timbrage peuvent constituer une infraction pénale, dans la mesure où il s’agit d’un titre au sens de l’article 251 du Code pénal. En fonction des circonstances, de tels actes peuvent constituer un manquement très grave, susceptible de justifier une résiliation immédiate.
Un employé a demandé à son chef s’il pouvait quitter le travail à 19h au lieu de 21h. Toutefois, l’employé est parti à 18h30, après avoir demandé à son collègue de timbrer pour lui à 19h. Le TF a retenu que le licenciement immédiat, sans avertissement préalable, était injustifié même si la faute était grave. L’employé avait fourni une bonne prestation de travail et toujours fait preuve d’un comportement irréprochable pendant plusieurs années.
Un cadre a été licencié sur-le-champ après avoir timbré, à plusieurs reprises, des pauses de midi plus courtes que celles effectivement prises. Selon le TF, le comportement des cadres doit être apprécié avec une rigueur accrue en raison du crédit et de la responsabilité que leur confère leur fonction. La résiliation immédiate était justifiée.
Activités concurrentes
Pendant les rapports de travail, le collaborateur ne doit pas accomplir du travail rémunéré pour un tiers lorsqu’il lèse son devoir de fidélité et, surtout fait concurrence à l’employeur. L’exercice d’une activité concurrente pendant les rapports de travail est susceptible, en fonction des circonstances, de constituer un motif de licenciement immédiat.
Un employé est licencié avec effet immédiat parce qu’il travaillait, durant son temps libre, pour une entreprise concurrente appartenant à ses frères. Dans le cadre de cette activité, il faisait des offres aux clients, en utilisant les connaissances acquises auprès de son employeur. Le TF a considéré que les prestations offertes par l’entreprise des frères étaient similaires à celles de l’employeur et visaient la même clientèle. Il s’agissait d’une activité concurrente justifiant un licenciement immédiat. Le fait que l’employé ait travaillé gratuitement n'y change rien.
En raison de difficultés financières de l’entreprise, un employé envisage, avec deux collègues, de créer une autre société. Le projet est cependant resté au stade embryonnaire de la réflexion. Aucune véritable mesure en vue de concrétiser le projet n’a été prise. Lorsque l’employeur a eu connaissance de ce projet, il a licencié ses employés avec effet immédiat. Selon le TF, les licenciements étaient injustifiés puisqu’à ce stade, le simple projet ne violait pas le devoir de fidélité.