La tech dans le recrutement

«Mes besoins de candidate n’ont pas du tout été pris en compte»

Deux femmes témoignent de leur expérience d’un entretien vidéo. Elles racontent la difficulté de transmettre à une machine leur valeur ajoutée.

Doina Mazilu, Talent Acquisition Partner Europe chez Santhera Pharmaceuticals.

«Il y a quatre ans, je me suis portée candidate pour un poste de recruteuse auprès d’une grande entreprise de l’Arc lémanique. J’ai reçu un lien pour un entretien vidéo via l’application Sonru.com. Vous cliquez sur le lien, les questions de l’entretien apparaissent à l’écran, une par une, et vous disposez d’un temps fixe pour répondre à chaque question. Pendant tout ce temps, la caméra de l’ordinateur enregistre votre interview.

On vous offre la possibilité de vous entraîner avec l’outil, de vous y habituer, mais vous avez un délai pour envoyer la dernière version à l’employeur. Il m’a fallu un certain temps pour m’habituer à l’outil (pour régler la lumière, le cadrage et me sentir à l’aise devant la caméra) et pour m’habituer à répondre aux questions de l’entretien contre le chronomètre. Finalement, j’ai terminé l’entretien vidéo (qui a duré environ 45 minutes) et je l’ai envoyé à l’entreprise.

En tant que candidate, ce n’était pas du tout une bonne expérience. Parfois, j’aurais eu besoin de plus de temps pour répondre à une question et parfois, mes réponses étaient plus courtes, laissant des moments de silence jusqu’à la question suivante. J’ai trouvé que le résultat n’était pas représentatif de mes connaissances professionnelles ni de ma personnalité et il était très frustrant de savoir que mes compétences professionnelles seront évaluées sur la base de cette image fragmentée. C’était peut-être une manière de tester ma motivation et ma résistance.

De plus, mes besoins de candidate n’ont pas du tout été pris en compte. J’aurais aimé avoir la possibilité de poser des questions, de mieux connaître l’entreprise, d’avoir plus d’informations sur le poste et sur l’équipe. J’ai trouvé que la relation était très déséquilibrée. Je me suis sentie comme un chaînon dans une mécanique. Tout était à l’avantage de l’employeur.

Deux semaines plus tard, j’ai reçu un mail pour m’informer que je n’avais pas été retenue et que je pouvais demander un feedback. Je l’ai fait bien sûr! J’ai pu parler au téléphone avec un RH et c’est plutôt moi qui lui ai donné un feedback! Je lui ai fait part de mon incompréhension par rapport à cette méthode, en précisant qu’ils allaient de toute manière devoir prendre le temps pour visionner les vidéos. On m’a répondu que plusieurs managers étaient impliqués dans le processus et qu’ils voulaient que tous les managers se fassent une opinion en se basant sur la même vidéo.

Pour conclure, je ne dis pas que l’utilisation de ce type d’outils est mauvaise en soi, mais nous devons faire très attention aux postes pour lesquels nous les utilisons et à la manière dont le processus est géré, car nous pourrions créer plus de dommages que de biens à nos objectifs de recrutement.»

 

Janique Soler, assistante administrative dans le domaine des organisations internationales à la recherche d’une nouvelle opportunité.

«Il y a quelques mois, j’ai postulé pour un poste d’assistante administrative dans une grande institution internationale. J’ai reçu un mail m’invitant à réaliser une interview vidéo avec l’application Sonru.com. On m’a envoyé un code d’accès avec un délai.

Dans un premier temps, j’ai visionné une vidéo de la cheffe du personnel dont le but était de nous mettre en confiance. Ensuite, il y a eu quelques questions d’entraînement, avec un délai de réponse assez court. Les questions étaient en anglais et en français, comme le profil du poste exigeait les deux langues. J’ai pu m’entraîner plusieurs fois. Il y avait aussi des indications techniques sur le micro, la lumière et le cadrage. Cette préparation en amont est très importante.

Une fois l’entretien lancé, les questions défilent rapidement. C’était des questions ouvertes, axées sur les défis futurs du poste. Je devais justifier au travers de mes expériences passées la maîtrise de certaines compétences. La machine m’a aussi demandé où je me voyais dans cinq ans? Une fois l’entretien terminé, j’ai reçu un message de remerciement et on m’a promis un feedback complet dans les semaines à venir. Ce n’était en revanche pas possible de visionner mes réponses.

Depuis lors, j’ai participé à d’autres entretiens vidéo et j’ai gagné en confiance à chaque fois. La pratique permet de s’améliorer et d’appréhender sa peur. La principale difficulté est d’imager ses compétences par des exemples car le temps est compté. Par ailleurs, personne n’est là pour vous mettre en confiance. On nous répète à l’envie qu’il faut développer son intelligence émotionnelle mais c’est difficile de mettre en avant ces qualités face à un écran. Un robot ne pourra pas sentir ces éléments intangibles. J’ai aussi compris que je devais utiliser des mots clés qui plaisent aux employeurs: flexibilité, adaptabilité et motivation par exemple. Ces qualités sont plus difficiles à démontrer dans ce processus de recrutement digital.

Je pense aussi que ces outils vont permettre aux employeurs de sélectionner plus rapidement un choix de 40 candidatures sur 200 dossiers reçus. Ces techniques vont donc se généraliser dans le futur et il faut s’y préparer.»

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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