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Méthode d’évaluation pour les formations en entreprise

Comment évaluer l’utilité économique de la formation dispensée par une entreprise? Une étude menée par l’Université de Fribourg en collaboration avec La Poste Suisse ouvre des perspectives intéressantes pour la quantification de l’impact de la formation. Les résultats sont révélés en exclusivité dans HR Today.

Dans le cadre de son offre de formation interne, La Poste dispense à ses collaborateurs/collaboratrices une formation «Focus». Répartie sur deux jours, elle a pour but de développer chez les managers les aptitudes à conduire des entretiens d’évaluation du personnel. Très concrètement, il s’agit de développer les compétences des participants dans le domaine de la définition et évaluation d’objectifs professionnels et de développement personnel. A première vue, la valeur économique d’une telle formation ne paraît pas très facilement quantifiable. L’étude menée par Yves Chochard à l’Université de Fribourg démontre le contraire.

Yves Chochard est assistant diplômé du Professeur Eric Davoine dans la Chaire de Ressources Humaines et Organisation de l’Université de Fribourg. Il a présenté en décembre 2006 le rapport de synthèse de son étude. Pour pouvoir la mener à bien, il a collaboré avec Olivier Gross qui travaille dans l’unité du Développement du personnel et des cadres de La Poste Suisse. Les deux hommes ont avancé main dans la main et font preuve d’un bel enthousiasme sur cette collaboration: «L’aller-retour entre l’entreprise et l’Université est très important pour moi», commente Olivier Gross. Même son de cloche chez Yves Chochard: «Nous avons travaillé dans un esprit de partenariat idéal qui nous a permis de beaucoup progresser dans le développement de notre méthode.»

L’objectif de l’étude ne consistait pas à donner une appréciation vague de la formation, mais à quantifier le retour sur investissement de «Focus». Au terme du travail, Yves Chochard peut articuler des chiffres extrêmement précis. La formation «Focus» a rapporté à La Poste 177 200 fr. pour 20 personnes formées (192 800 fr d’utilité économique moins les coûts de formation). Ou, pour exprimer la chose différemment, pour chaque franc investi, le cours a rapporté 11 fr. à La Poste.

«Le contenu de la formation ‹Focus› met en jeu des compétences managériales, explique Olivier Gross. On y travaille aussi sur la philosophie et les valeurs liées à la conduite et au développement du personnel». Yves Chochard et Olivier Gross remarquent en chœur que, s’il est assez aisé de quantifier l’effet d’une formation dispensée au personnel de vente – en analysant la progression du chiffre d’affaires – «il est moins évident d’évaluer les formations managériales». 

Parler dans la langue des managers, c’est-à-dire en chiffres, est pourtant souvent essentiel pour les services ressources humaines, puisque peu d’entreprises sont enclines à investir des sommes parfois considérables sans connaître l’effet réel de l’investissement. 

L’étude a donc porté sur 20 personnes qui ont suivi la formation «Focus» pour améliorer leurs compétences dans la conduite d’entretiens. 
Pour arriver aux résultats mentionnés, Yves Chochard a commencé par rencontrer les supérieurs hiérarchiques des personnes appelées à suivre la formation. Il leur a soumis un questionnaire sur les collaborateurs concernés: le supérieur devait analyser les compétences avant formation de chaque futur participant en notant de 1 à 7 un certain nombre de domaines liés aux compétences clés à mettre en œuvre dans les entretiens d’évaluation. 

Une fois la formation dispensée, après avoir laissé le temps nécessaire pour qu’elle produise ses effets (cinq à sept mois), Yves Chochard a revu les supérieurs en leur proposant le même questionnaire, sans leur montrer les réponses qu’ils avaient données avant la formation. Pour valider l’expérience, un groupe de contrôle avait aussi été choisi. 

Sur la base d’un modèle de calcul élaboré par une équipe de chercheurs de l’université américaine de Tulane*, l’étude a quantifié plusieurs aspects de l’apport de la formation. L’équation se base d’abord sur l’écart constaté entre les résultats des deux questionnaires qui s’exprime en nombre de points gagnés ou perdus par rapport à la situation initiale. Cette valeur constitue l’unité de gain. Sa valeur monétaire s’évalue par rapport au salaire du participant à la formation. 

La méthode permet de déterminer l’effet de la formation sur les comportements (niveau 3), la valeur monétaire d’une unité de gain, l’utilité de la formation, l’utilité marginale (utilité moins coût – niveau 4) et finalement le retour sur investissement (niveau 5). 

Dans le cadre du séminaire «Focus», on a pu constater une évolution positive sur le groupe (effet moyen + 14,8 points). L’étude a aussi démontré que la formation avait agi positivement sur quasi toutes les dimensions ciblées par la formation. L’idée de développer un climat de confiance avec le collaborateur pour parvenir à fixer des objectifs est au cœur de «Focus». Et l’étude a pu montrer que, dans ce domaine, le cours avait produit des effets importants. 

Dans l’analyse des effets de la formation sur les comportements, il est aussi ressorti parmi les résultats les plus probants que la maîtrise de l’outil d’évaluation avait été grandement améliorée, de même que la fixation et le suivi des objectifs. Pour ce dernier point, les collaborateurs qui ont fréquenté le cours ont amélioré leur capacité à fixer des objectifs exigeants, mais réalisables, à appliquer les bonnes méthodes en cas d’écarts par rapport aux objectifs et à impliquer les personnes concernées par le processus à part entière.

Un autre grand avantage de la méthode, commente Olivier Gross, est qu’elle «permet d’évaluer et de comparer un grand nombre de formations différentes. Ceci est important pour la gestion du risque dans la décision d’un investissement pour le développement des cadres». Ainsi elle permet de répondre à des questions centrales pour les responsables RH: «Quelle est la formation qui engendre un meilleur ROI?»

Olivier Gross peut aussi se servir de la méthode pour évaluer les formations et les optimiser. Autre avantage à ses yeux, la méthode est d’une mise en application assez simple et l’observateur n’a aucune influence sur les résultats obtenus puisqu’ils sont basés sur les observations des supérieurs hiérarchiques uniquement. Il note enfin que, pour lui, «le travail avec l’université était important, car il assure l’objectivité».

Pour l’Université, l’expérience a été très enrichissante également, explique Yves Chochard: «Nous avons pu tester et valider la méthode grâce à la collaboration avec La Poste Suisse. Nous pouvons désormais l’appliquer à d’autres formations du même type. Ce sera justement le sujet de ma thèse de doctorat sur la comparaison des méthodes d’évaluation et de fixation d’objectifs. En comparant le contenu de plusieurs formations, je vais chercher à isoler les compétences nécessaires à un supérieur pour évaluer et fixer idéalement des objectifs à ses collaborateurs.»

Les intervenants

Le chercheur Yves Chochard

 

Les intervenants

Le praticien Olivier Gross

 

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