La recherche en actions

Moins de réunions, plus de «faire ensemble» au travail

On ne s’est sans doute jamais autant senti seul au travail. On n’a sans doute jamais autant passé de temps en réunions. Une raison de ce paradoxe: on néglige trop le «faire ensemble» au travail.

Par «faire ensemble», nous entendons le fait d’avoir une activité tangible conjointe, nécessitant collaboration et coopération, en vue de réaliser une prestation, un service, un produit, une œuvre, une pensée et qui débouche sur un sentiment d’être membre d’un ensemble.

Pendant des millénaires, le faire ensemble était presque consubstantiel à l’activité humaine: dans les champs et sur les chantiers, dans les monastères ou les champs de batailles, sur la terre ou sur les mers, dans le commerce ou les arts, etc. Pas moyen de faire autrement, presque une question de survie.

Les multiples révolutions des deux derniers siècles, la révolution numérique en point d’orgue, ont permis l’émancipation physique et intellectuelle des individus au sein des collectifs de travail. Divisions, fragmentations, autonomisation, atomisation et virtualisation du travail. On peut faire seul, à distance, en tout temps. Le faire ensemble parait une option coûteuse psychologiquement et financièrement.

Les équipes? Très souvent des pseudo-teams, c’est-à-dire dire des collectifs de travail sans responsabilité commune ni interdépendance réelle ou perçue. Le faire ensemble est alors réduit à la portion congrue, allant même jusqu’à se cantonner à d’épisodiques et artificielles séances de team building, dans lesquelles les collaborateurs vont réaliser des actions collectives qu’ils n’ont plus l’opportunité de rencontrer sur la place de travail. Les réunions? De l’être ensemble, souvent frustrantes, éloignant les individus plus que les rapprochant.

Ainsi, il semble que l’on ait oublié que le faire ensemble a d’autres intérêts et fonctions au travail, presque vitales. Premièrement, on le sait depuis les travaux de Triplett en 1897, le simple fait de réaliser une tâche avec d’autres amène de la facilitation sociale, c’est-à-dire une motivation supplémentaire à réaliser la tâche, surtout quand celle-ci est simple. Cette coordination et coopération sur des tâches simples facilitera dans le futur un travail commun plus complexe.

Deuxièmement, on sait aussi depuis longtemps que les individus supportent mieux psychologiquement les tâches difficiles ou stressantes lorsqu’ils les affrontent collectivement. Troisièmement, on le redécouvre, le fait de partager des expériences de travail communes facilite le transfert des savoirs - notamment des savoirs tacites -, améliore la capacité d’apprentissage des équipes et à plus long terme la créativité. Enfin, pour l’avoir expérimenté dans les domaines du service, de la vente et de la formation, le faire ensemble ouvre des perspectives nouvelles sur l’activité, permettant une offre originale, singulière, source d’avantages compétitifs.

«Faire ensemble», même quand cela n’apparaît pas toujours nécessaire, est source de bien-être, de mobilisation et de créativité au travail. Et vous, que faites-vous ensemble au travail?

 

Des bulles de travail collaboratives

Réaliser des activités conjointement, même petites, renforce les liens sociaux et facilite le travail coopératif, grâce notamment à des émotions partagées au travail. Le «faire ensemble» est un terreau fertile pour développer compétences, intelligences et apprentissages collectifs. L’alternance du faire seul et ensemble, d’activités diachroniques et synchroniques, permet une posture réflexive sur le travail, d’imaginer des solutions nouvelles et de les explorer en profondeur (vrai autant pour des tâches routinières que pour des projets complexes). Il est toujours possible de remplacer une partie du temps consacré à se réunir (ce temps n’a jamais été aussi conséquent) par du temps d’action collective.

Les organisations peuvent encourager ce faire ensemble en proposant aux collaborateurs des lieux, une organisation du travail, des méthodes ou des outils facilitant la création de «bulles de travail collaboratives», où émerge spontanément du faire ensemble. Concrètement? Prendre des actions que l’on exécute habituellement seul et les réaliser en binôme, découper un projet avec des petites séquences de réalisation collective en début, fin et milieu de projet, expérimenter le travail collectivement lors des réunions ou de la formation, aller ensemble sur le terrain, travailler collectivement directement sur les «délivrables», fabriquer et utiliser des outils et des méthodes de travail partagé, etc.

Chroniques «La recherche en actions»

Les chroniques regroupées sous l’intitulé «La recherche en actions» sont rédigées par des enseignants et chercheurs liés aux programmes de formation continue MRHC (Management, Ressources Humaines et Carrière) issus du partenariat entre les 4 universités de Suisse Romande.

Pour toute information complémentaire: mrhc@unige.ch

Coordination des chroniques «La recherche en actions»: Nadine Bagué, responsable pédagogique des Programmes de Formation Continue en MRHC.

 

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Erwan Bellard est collaborateur scientifique à l’université de Genève pour la Faculté des Sciences de l’éducation. Il intervient notamment dans le cadre du MASRHC sur les questions de travail en équipe et de créativité collective.

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