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"Nous devons créer davantage de réseaux de femmes"

Micheline Calmy-Rey traduit dans les faits son engagement en faveur de l’égalité des chances. Elle a réaffirmé cette année sa détermination dans le choix paritaire des candidats à la carrière diplomatique. HR Today a parlé avec la Conseillère fédérale des causes possibles des difficultés que rencontrent les femmes pour se faire accepter aux postes de direction.

HR Today: Madame la Conseillère fédé-rale, comment expliquez-vous le fait que les femmes sont toujours aussi rares aux postes de direction? 

Micheline Calmy-Rey: Ce n’est pas le fait du hasard, s’il y a si peu de femmes qui occupent des positions élevées dans la politique, dans l’économie et dans les conseils d’administration ou qui sont titulaires de chaires universitaires. Et on ne peut certainement pas prétendre que l’intelligence des femmes soit inférieure à celle des hommes - il suffit de regarder le nombre des filles et des garçons qui quittent l’école avec un diplôme. Dans bien des programmes académiques, le pourcentage des femmes est de 50%, sinon plus. Non, une des causes déterminantes de cette anomalie, c’est la surcharge des contraintes à laquelle doit faire face la femme qui veut fonder une famille. C’est particulièrement vrai en Suisse, où nous manquons de structures d’accueil pour les enfants. Mais ce ne sont pas seulement les femmes cadres qui sont concernées, la situation n’est pas meilleure pour d’autres catégories d’employées. Celles qui sont plus gravement pénalisées par le manque de crèches sont les jeunes femmes célibataires et les mères seules, parce qu’elles n’ont pas le choix, elles sont contraintes de travailler. L’absence d’horaire continu dans les écoles est un autre problème qui ne fait que compliquer l’organisation de la vie professionnelle. 

Est-ce que, dans ce cas, la politique n’est pas appelée à faire quelque chose pour améliorer les choses, dans la perspective de l’égalité des chances? 

Bien sûr. Il faut que les conditions cadres s’améliorent. Comme je viens de le dire, ce qui fait souvent défaut, ce sont des mesures qui permettent de concilier famille et métier. Mais je pense qu’il y a aussi un manque d’assurance chez les femmes, qui n’ont pas l’habitude d’utiliser le pouvoir à leurs propres fins. Si vous prenez, par exemple, les femmes nées entre 1960 et 1964, savez-vous qu’il n’y a en Suisse que 38% de ces femmes qui ont un diplôme universitaire et des enfants. Les autres se consacrent entièrement à leur carrière. Et pourtant, où sont-elles aujour-d’hui ces femmes, bien formées et sans enfants? Ne croyez pas qu’elles occupent toutes des postes de direction! Il y a donc une autre cause. Dans notre société, nous utilisons encore les vieux stéréotypes lorsqu’il s’agit de la détermination des profils de compétence. Quand il y a un poste élevé à occuper, nous songeons encore bien souvent en premier lieu à une candidature masculine. Cette assimilation est vraisemblablement même inconsciente. Lors des évaluations, appelées aussi « assessments », les règles du jeu sont donc mal posées du fait de ces idées préconçues. Ce sont là des obstacles bien réels, plus ou moins masqués d’ailleurs.

Que pouvons-nous faire pour surmonter ces obstacles? 

Comme ce n’est pas un manque de formation ou de connaissances qui est en cause, il faut assurer la parité à la base. La Confédération doit maintenant s’efforcer d’atteindre la parité entre hommes et femmes dans tous les domaines. Mais si la volonté politique qui est exprimée au Palais fédéral reste lettre morte, si elle ne passe pas dans les faits, alors dites-moi, à quoi bon? Dans mon Département, il y a tout juste 10% de femmes dans le corps des ambassadeurs. Je ne vois absolument pas pourquoi elles devraient res-ter aussi peu nombreuses. Si nous voulons encourager l’engagement des femmes, nous devons également faire la preuve de notre propre engagement dans la politique, et aussi supprimer certains inconvénients fiscaux. 

Êtes-vous en faveur des quotas ?  

Je suis en faveur de quotas flexibles orientés vers les résultats. Je ne suis pas pour des quotas fixés artificiellement. Mon objectif, c’est de tendre vers la parité et, pour cela, d’interpréter les compétences comme étant d’égale valeur. Et les compétences d’égale valeur apparaîtront notamment si les femmes s’habituent à l’idée qu’elles peuvent et qu’elles doivent  se mettre plus souvent en avant. 

Quel est aujourd’hui le profil des compétences prédominantes chez une femme qui a des enfants ? 

Les mères sont très fortes en matière d’organisation et de diplomatie. Elles savent résoudre les conflits quotidiens au sein de la famille. Par contre, le gros handicap des femmes, c’est qu’elles n’ont pas l’habitude de gérer les rapports de force. Pour moi aussi, c’est parfois difficile. C’est un vieux reste de notre éducation, les femmes qui tapent sur la table se font mal voir.

Elevez-vous votre fille selon d’autres valeurs? 

Toute petite, ma fille était déjà différente. Je n’ai pas eu besoin de lui inculquer des modèles. 

Personnellement, comment avez-vous départagé profession – politique – enfants? 

J’ai de très bonnes qualités d’organisation et j’ai toujours développé mon sens de la diplomatie. Par ailleurs, j’ai la grande chance d’avoir un partenaire qui a contribué aux tâches dans les trois domaines. De plus, je suis une battante. Surtout en politique, j’ai toujours été minoritaire, à trois titres: en tant que femme, que Romande et aussi en tant que socialiste dans un gouvernement dominé par les partis bourgeois. 

La diplomatie et le sens de l’organisation suffisent pour mener ce combat?  

Outre toutes les qualités connues qui font une forte personnalité dirigeante, c’est certainement la capacité de résoudre les conflits par le dialogue qui est une qualité éminemment fémi-nine. A mon avis, les joutes de pouvoir ne servent à rien pour trouver une solution à un problème. En revanche, un dialogue conduit en toute objectivité permet toujours d’avancer de façon utile, quelle que soit la situation à gérer. 

Quel est le moteur qui vous pousse à vous engager avec tant de détermination en faveur des droits des femmes?

C’est mon engagement au service de toutes les personnes les plus faibles dans les rapports de force, notamment les femmes, et c’est aussi mon engagement en faveur des droits humains. Dans le monde, le sort des femmes est marqué par une immense injustice. Savez-vous que 70% du 1,3 milliard d’humains qui vivent dans la pauvreté sont des femmes ? On peut donc bien dire que la pauvreté est féminine — même en Suisse. C’est une situation que nous devons changer, peu à peu. Pour moi, la question féminine est un combat collectif, que je mène non pas pour les femmes, mais avec les femmes. 

Comment menez-vous ce combat?

Il nous faut créer davantage de réseaux de femmes, de manière plus ciblée. Nous nous formons, nous allons à l’université et ensuite, nous devons mener de front famille et profession. Il nous faut travailler à l’émergence de normes nouvelles, qui nous permettent, en tant que femmes, de bien gagner notre vie et en même temps d’avoir de la joie à élever des enfants.

Pourquoi les femmes ont-elles tant de peine à créer des réseaux de femmes?

Jusqu’à présent, le réseau traditionnel des femmes, c’était leur famille. Et pour sortir de ce cercle étroit, nous devons organiser de nouveaux réseaux dans le monde de l’économie autant que dans la politique. C’est un nouvel  état d’esprit dans notre société auquel les femmes doivent encore s’ habituer. Il nous faut lutter ensemble pour atteindre notre but commun.

Est-ce qu’il y a une forte concurrence entre femmes? 

Pas plus qu’entre les hommes, je pense. Mais, effectivement, c’est une erreur qui serait fatale à la réalisation en commun de nos objectifs.  

Quels sont vos réseaux?

Dans mon Département, les femmes sont organisées de façon informelle. En Suisse, le 8 mars, à l’occasion de la Journée de la femme, nous organisons une rencontre avec les femmes qui se sont engagées dans des projets de marrainage à l’étranger. Et depuis 2003, les femmes ministres des affaires étrangères se rencontrent deux fois par an pour fixer les priorités thématiques.

La ministre américaine des affaires étrangères, Mme Condoleeza Rice, est là aussi? 

Malheureusement, elle n’a encore jamais participé.

Vous avez des femmes qui vous servent de modèles, Margaret Thatcher ou Hilary Clinton, par exemple? 

Non, je n’ai ni idéal ni modèle. J’ai mon engagement. 

En un coup d’œil

Aux yeux de la Conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey, les quatre principales causes de la faible représentation féminine dans les postes de direction sont :

1. Surcharge des contraintes familiales avec l’éducation des enfants.

2. Stéréotypes de l’éducation des filles dans notre société.

3. Stéréotypes des profils de compétences orientés vers les hommes.

4. Manque de réseaux de femmes.

 

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Connie Voigt

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