La culture d’entreprise en mutation

Parlez-moi de vos tabous...

Démarrer un projet de refonte d’une culture d’entreprise nécessite beaucoup de courage. Il faut oser se regarder en face, nommer ce que l’on aime ou non chez soi et empoigner les problèmes pour faire évoluer la situation. Nicole Aquilon, directrice RH de Komax, nous raconte comment elle a mené à bien cette aventure. 

C’est l’un des plus beaux projets de sa carrière. «J’ai pu plonger dans les strates profondes de l’organisation, et travailler au cœur du changement, celui du comportement des collaborateurs», nous confie Nicole Aquilon. Sise à La Chaux-de-Fonds, Komax mène, depuis 2013, un projet de transformation de culture. Les phases clés du projet sont terminées et les premiers résultats sont déjà visibles. Elle souligne: «On n’entend plus parler de burn-out et on a stabilisé les résultats des projets.» Là, nous étions convaincus, écrire cet article en valait la peine.
 
Pourriez-vous me parler de votre entreprise?
Nicole Aquilon: Nous sommes présents aux États-Unis, en Malaisie et en Suisse. À La Chaux-de-Fonds, nous sommes aujourd’hui 120 employés. Nous travaillons dans le B2B. Nous recevons en général des commandes de grande envergure et vendons des projets dont l’objet est la fabrication de lignes d’assemblage pour le marché médical en particulier.
 
Comment cette histoire a-t-elle commencé?
Tout a commencé avec l’arrivée de notre directeur René Ronchetti en 2012. Il devait d’abord définir qui nous étions pour, dans un deuxième temps, remettre à plat la stratégie. Il voulait arriver à la meilleure synthèse possible pour pouvoir nous raconter en trois mots. Nous ne traversions pas de crise particulière. C’était une année profitable. Il y avait juste, en toile de fond, une impression d’être une entreprise qui avait de la peine à garantir une rentabilité stable. Le directeur sentait qu’il fallait changer quelque chose. Pour cela, il était important de commencer par se comprendre, avant de définir ce que l’on voulait changer et comment. Il faut dresser un constat avant de poser de nouvelles donnes.
 
Et comment avez-vous attaqué cette première étape?
J’ai mis en place un groupe de travail avec un représentant de chaque département. Nous nous sommes réunis à plusieurs reprises. On a travaillé sur six paramètres: les mythes, les symboles, les rites, les tabous, les héros et les valeurs. Comme nous avions réussi à créer un climat de confiance, nous sommes parvenus à parler de nos tabous. Je les ai synthétisés dans un tableau Excel que j’ai montré à notre directeur. Nous avons décidé de présenter le tableau au comité de direction. Ce fut une étape clé et audacieuse du processus. Nous avons exposé les phrases que nous avions notées à l’état brut. Certains ont été secoués. Nous avons ensuite formé des petits groupes de travail. Chaque groupe a dû dessiner sa façon de voir l’entreprise aujourd’hui et demain. C’était impressionnant: avec des dessins différents, nous avons tous exprimé des intentions et des souhaits semblables!
 
Après cela, qu’avez-vous entrepris?
Nous avons commencé à travailler avec le middle management pendant un workshop de formation sur la compréhension de nous-mêmes, sur notre culture, notre identité et également sur le développement de compétences de management et leadership. Une liste de doléances est remontée à la direction.
Nous avons ensuite informé les collaborateurs. Nous avons élaboré pour cela un plan de communication où nous expliquions pourquoi nous avions besoin du changement, par exemple pour assurer des emplois pérennes.
 
Bottom up, retour à la direction?
Sur la base des retours du middle management, nous avons consacré une journée avec la direction pour définir nos quatre valeurs clés (Respect, Excellence, Responsabilisation, Intégrité) ainsi que notre vision et notre mission. Ces définitions ont été présentées à l’ensemble des managers en présence de la direction et du groupe de travail.
 
Et ensuite, à nouveau le top down?
En réalité, il y a encore eu plusieurs remontées et descentes d’informations. L’encadrement a réuni leurs équipes pendant une journée. Le but était qu’ils présentent la nouvelle mission, les valeurs, et avant tout qu’ils travaillent sur la façon de les intégrer et les traduire dans le quotidien de tous. Ils ont diffusé un film sur le changement, organisé des jeux. Les participants devaient par exemple s’imaginer un personnage qui représenterait le respect, un sport pour l’excellence, une organisation pour la responsabilisation, un métier pour l’intégrité. Ils ont également dû nommer trois comportements qu’ils voulaient valoriser et trois autres qu’ils voulaient voir disparaître. Les RH n’étaient pas présents durant l’événement, car nous voulions que les managers s’approprient le contenu. Par contre, nous avons synthétisé et restitué le contenu au groupe de direction.
 
Finalement, la direction s’est basée sur les comportements positifs et négatifs souhaités et nos quatre valeurs pour élaborer la charte générique. Dans un second programme de formation à l’attention des collaborateurs, chaque équipe a dû élaborer sa propre charte.
 
Et comment avez-vous clôturé ce processus?
En décembre l’année passée, nous avons organisé une journée avec tout le personnel pour fêter les 50 ans de l’entreprise. Avec mes collègues de la direction, nous avons organisé six ateliers. Nous avons tout mis en place seuls, sans aucun consultant, avec les moyens du bord. Je me suis occupée de l’atelier de peinture. Nous avions même préparé avec mon mari et mon fils des cadres. Les participants avaient une heure pour illustrer les valeurs de l’entreprise. J’ai trouvé cela extrêmement touchant. Ils ont réussi à transformer en très peu de temps quelque chose d’inconnu en une image. Il y avait aussi le baby foot géant, fabriquer une catapulte en carton, réaliser le reportage de la journée, construire un ensemble avec le matériel technique et un atelier «faire connaissance». Douze jeunes collaborateurs ont conduit leurs équipes tout au long de la journée et ont présenté leurs ateliers lors du repas de célébration. Une équipe est même venue déguisée de la tête aux pieds en pirate. À midi, nous avons mangé une soupe préparée dans un grand chaudron et le soir, nous avons eu droit au repas fourni par un traiteur. Nous avons visionné les films de la journée et pleurions de rire en les regardant.
 
Et aujourd’hui, où en est-on?
Les valeurs sont intégrées dans le processus RH. Nous avons raconté notre expérience à la radio dans l’émission de la TSR «À vue d’Esprit» sur le sens et la place du travail dans nos vies. Nous allons commencer une enquête de satisfaction. Nous en sommes à la troisième année de transformation, mais je pense que nous avons besoin de cinq ans pour être en phase avec ce que nous avons décidé ensemble. Je dirais que nous avons bousculé des frontières. Nous avons atteint plus de stabilité émotionnelle. Nous n’entendons plus parler de burn-out. Nous avons stabilisé les résultats sur les projets. Nous étions dans une culture du «crash plan» dans la gestion de nos projets. Maintenant, il n’y a plus de gestion de crise de projets. Les clients eux-mêmes ont changé leur attitude par rapport à nous. Ils ont vu que nous avions avancé et nous considèrent plus comme des partenaires. Nous leur avons également présenté nos valeurs et le travail que nous avons mis en place. Certains nous ont dit: «Vous vous êtes remis en question!»
 
Avec le recul, quels sont vos apprentissages?
Je comprends mieux les résistances. Emmener les gens vers du nouveau demande du doigté. En travaillant aux valeurs, nous avons attaqué des problématiques profondes, demandé à chacun d’aller creuser en lui-même. Certaines personnes ont refusé et ont même décidé de quitter l’entreprise. Des clans ont disparu. Pour d’autres, il faut du temps, ou il s’agit juste d’une évidence.
 
Un autre point, c’est que quand on a déterminé des valeurs, il faut s’y tenir. C’est plus exigeant que de ne pas en avoir.
 
Il est aussi important de dire que rien de tout cela n’aurait pu se faire sans le soutien de notre patron. Il a toujours porté le projet. Il n’a jamais eu froid aux yeux, et n’a jamais eu peur de se confronter à la réalité et parler-vrai.
 

 

Nicole Aquilon

Nicole Aquilon, directrice RH, membre d’honneur de l’association HR Neuchâtel, membre du groupe d’organisation du Congrès Romand RH.

Le groupe Komax

Komax est une entreprise globale active sur le marché de la technolo­gie et de l’automation et regroupe 1500 employés dans le monde. La Division Medtech fabrique des solu­tions innovantes et de haute qualité pour l’industrie du médical en construisant des systèmes pour la fabrication de solutions d’automédi­cation. Elle compte 300 employés dans le monde entier et 120 à La Chaux-­de-­Fonds.

 

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