Débat

Peut-on vérifier l’état de santé des collaborateurs?

Un collaborateur en bonne santé sera plus performant. Mais l’entreprise est-elle en droit d’exiger un bilan de santé? Une consultante, un entrepreneur et un avocat donnent leurs avis.

Marco Meister

Le déménageur américain U-Haul souhaite faire de ses 18000 collaborateurs de meilleures personnes. Dès l’entretien de recrutement, la société s’enquiert de leur consommation de nicotine et chaque collaborateur doit accepter que des tests d’alcoolémie ou de drogue puissent être exigés à n’importe quel moment. Ces méthodes me dérangent.

Bien qu’il soit compréhensible de se préoccuper de la santé des collaborateurs en temps de crise sanitaire, cette situation reste exceptionnelle et il s’agit dans ce cas précis de protéger la communauté. En temps normal, ce n’est pas le rôle de l’entreprise de contrôler la santé des collaborateurs. L’employeur devrait plutôt tout mettre en œuvre pour que l’environnement de travail ne nuise pas à leur santé.

Citons par exemple des bureaux ergonomiques, des plantes vertes, des espaces de détente ou l’accès à un fitness. Cet environnement de travail sain peut aussi être évalué régulièrement par de courtes enquêtes de satisfaction en ligne. Ces sondages permettront d’évaluer la corrélation entre l’état de santé physique et psychique des équipes avec l’environnement de travail. Et ces indications auront non seulement un impact sur la productivité mais permettront aussi de réaménager ce cadre de travail si besoin.

L’état de santé de chaque individu ne doit en revanche pas être cartographié. L’entreprise ne doit pas non plus exercer un contrôle sur la santé de ses employés. Il s’agit au contraire d’assurer la qualité de l’environnement de travail. C’est dans l’intérêt de l’entreprise que ces conditions cadres soient optimales. C’est à ce prix que les collaborateurs donneront le meilleur d’eux-mêmes.

Yves Grognat

La surveillance de la santé des collaborateurs va potentiellement causer une série de conflits juridiques. En principe les collaborateurs ne sont pas obligés de répondre à des questions sur leur santé. Ils ont même le droit de mentir par omission sur ces sujets. En revanche, des maladies ou des problèmes de santé ne peuvent uniquement être passés sous silence si ceux-ci empêchent la personne de remplir son cahier des charges.

En clair: l’adéquation entre le profil et le poste doit être garanti. Si vous êtes allergique aux poils de chien, vous devez donc le dire au moment de vous porter candidat pour un job où vous serez en contact avec des chiens. Cacher ces informations peut même être une cause de licenciement immédiat, bien que la jurisprudence en la matière soit plutôt favorable aux personnes licenciées.

Dans certains métiers, le bilan de santé est une obligation. Ce bilan doit par contre répondre à certaines règles afin de protéger les intérêts du travailleur. La loi sur la protection des données interdit par exemple à l’entreprise de mener ces entretiens elle-même, ou de recourir à des questionnaires en ligne. Ces bilans de santé doivent être effectués par un tiers neutre, un médecin du travail par exemple. Cette personne n’aura pas le droit de livrer le détail du bilan à l’employeur sans consentement. Elle indiquera uniquement si le test de santé est réussi ou non.

Refuser de se soumettre à un tel bilan peut conduire à un licenciement. En revanche, refuser un bilan de santé facultatif ne constitue pas une raison suffisante pour un licenciement. Par ailleurs, l’entreprise est en droit de demander un bilan de santé par un tiers à la suite d’une maladie qui causerait des absences de longue durée ou si l’employeur soupçonne son collaborateur de ne plus être en mesure d’assurer son cahier des charges.

Myriam Best

Où se situe la frontière au moment d’évaluer la performance, la santé et la consommation de drogue et d’alcool des collaborateurs? Recourir aux tests d’alcoolémie ou de drogues fait sens dans certains métiers: chez les pilotes, les conducteurs de train, à l’armée ou au moment de recruter de futurs policiers par exemple. Ce sont tous des métiers où le facteur santé et sécurité doit être irréprochable. Etre en bonne forme physique et psychique est indispensable si vous souhaitez exercer ces métiers-là. Ne pas tenir compte de ces normes de sécurité causerait un risque majeur pour toutes les personnes liées plus ou moins directement avec ces professionnels.

En termes juridiques, ces bilans de santé enfreignent la sphère privée. Les médecins qui effectuent ces bilans sont donc tenus au secret professionnel et peuvent uniquement dévoiler les informations avec l’accord écrit des personnes concernées. Un bilan de santé devrait donc en principe toujours être fait sur une base volontaire, à moins que cela ne figure dans le contrat de travail.

Cela dit, la santé physique et psychique du collaborateur doit toujours primer. Veiller à la santé des collaborateurs est le point de départ d’une politique de sécurité et de la performance économique. Un employeur a donc intérêt à sensibiliser son personnel sur les risques d’épuisement professionnel et sur les bienfaits d’un bon Work-Life Balance. Ces actions de prévention auront un effet indirect sur les problèmes d’addictions et un impact positif sur la culture de l’entreprise.

Une bonne option est de demander régulièrement via un questionnaire en ligne l’avis des collaborateurs sur ces enjeux de santé et sécurité au travail. Ces enquêtes donneront un faisceau d’informations pour améliorer les espaces de travail et pour affiner les prestations RH. Ces méthodes indirectes protègent la sphère privée des collaborateurs et donnent les moyens à l’entreprise de soigner la santé de tout le monde par de la prévention, sans contraintes et en renforçant la confiance de tous.

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Marco Meister est co-fondateur et Managing Partner chez artwork.

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Yves Grognat est avocat chez Wicki Partners SA.

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Myriam Best est chargée de HR Consulting et HR Strategies chez HR Campus SA.

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