Pourquoi les femmes mobilisent les départements de ressources humaines
Les femmes occupent majoritairement les postes au sein des départements des ressources humaines. Elles seraient dotées de capacités plus marquées pour le relationnel et la gestion. Du coup, elles se dirigeraient ou se laisseraient diriger vers des fonctions RH. Mais de plus en plus d’hommes cherchent à entrer dans ce secteur.

Enfonçons allègrement des portes grandes ouvertes. Depuis des lustres, en Suisse romande comme ailleurs, la gent féminine occupe majoritairement les postes de RH. Malgré l’évidence, HR Today s’autorise pourtant à se poser la question. Pourquoi y a-t-il plus de femmes au sein des RH ? Et pourquoi, en corollaire, si peu d’entre-elles accèdent au poste de DRH?
Spécialiste renommé des questions d’emploi, le professeur de l’Université de Genève Yves Flückiger comprend cette sur-représentation feminine comme une répar-tition typique des rôles. Les femmes seraient dotées de capacités plus marquées pour le relationnel et la gestion. Du coup, elles se dirigeraient ou se laisseraient diriger vers des fonctions RH. Cependant, Yves Fluckiger estime que l’on assiste à une diminution progressive du nombre de secteurs pareillements sexués. «Cette évolution est très lente. Et notamment parce que tous les secteurs de l’économie ne se sont pas encore ouverts au temps partiel.»
Il ne s’agit pas uniquement de compétences relationnelles hors pair
Et sur le «terrain», quand pense-t-on? Béatrice Vœgelin, DRH de l’entreprise Hotela, explique aussi la présence massive des femmes dans les RH par les qualités humaines prêtées aux femmes. «Ce n’est pas seulement parce que la femme a plus d’affinité avec le relationnel, c’est aussi parce que l’on a longtemps cantonné les femmes dans ce type d’emploi.» Et notamment, à cause des activités extra-profes-sionelles de la femme longtemps considérées comme un fardeau, voire comme un frein pour la bonne marche de l’entreprise. «Alors que justement, estime Béatrice Vœgelin, dont l’entreprise emploie 120 femmes et 70 hommes, nous les femmes avons appris à être multitâche. Mener de front plusieurs activités, pour ne pas dire carrière – le ménage, le couple, les enfants et bien sûr le travail – cela demande une force et un sens de l’organisation très précieux pour une entreprise. » Béatrice Voegelin comme ses paires, entrevoit «fort heureusement» une évolution des mentalités. «Les directions ont compris que les RH sont un élément stratégique d’une entreprise.» Une position difficile à faire comprendre, dit-elle. «Parfois à raison. C’est vrai qu’il est malaisé de définir une grille d’évaluation lorsque vous faites du coaching ou que vous êtes à l’écoute d’un collaborateur». La gestion psychologique est par définition non quantifiable. Et pour-tant indispensable. «Ce qui pourrait expliquer pourquoi les ressources humaines ont longtemps été peu valorisées». Au-delà de l’aspect administratif des RH, le «bien-être» n’est pas considéré comme un objectif à part entière. Et qui dit satisfaction, dit meilleure rentabilité.
Des écarts de salaires de 28% entre hommes et femmes
Cela pourrait passer pour un truisme, «mais rappeler les évidences peut aider à changer les mentalités», estime Lynn Verdina-Henchoz, Senior Consultant chez Hewitt Associates à Nyon. Dans un article intitulé «La femme en entreprise, un enjeu pour demain», cette spécialiste en ressources humaines décrit la Suisse comme un mauvais élève en termes d’égalité homme-femme. «La Suisse est en queue de classement dans les pays industrialisés. Des études récentes révèlent un écart de 28% de salaires entre hommes et femmes et ceci en dépit de la loi fédérale sur l’égalité de 1996. Les femmes représentent 42% de la population active, mais seulement 26% des cadres, alors qu’en Australie par exemple, la parité existe. Cette situation empire aux échelons supérieurs. La formation reste très sexuée (environ 10 filières suivies par les filles contre 300 par les garçons), le temps partiel est surtout féminin (50,4% de femmes pour 7,6% d’hommes). Ces chiffres augmentent après la naissance d’un premier enfant: le pourcentage de femmes sans activité passe de 9% à 42% et la part de femmes actives à plein temps chute de 58% à 20%. La situation se dégrade encore avec des naissances consécutives. Une spécificité suisse que l’on retrouve aussi en Allemagne: les femmes se retirent souvent du marché du travail pendant 5–10 ans pour des maternités, ce qui a bien sûr un effet négatif sur leur réintégration et leurs opportunités de promotions professionnelles. Le partage des tâches domestiques reste dérisoire. La femme qui travaille assume donc souvent une «double charge» de travail.»
Elles sortent des filières universitaires de psychologie
Le cursus scolaire expliquerait-il cette présence massive des femmes dans les RH? «En effet. Beaucoup de femmes travaillant dans les ressources humaines proviennent de la filière universitaire de psychologie», explique Michel Pollak, directeur des ressources humaines de l’entreprise de travaux publics Colas, dont le service RH compte dix femmes sur une douzaine de membres. En Suisse romande, cette filière universitaire attire majoritairement des femmes. «C’est un résultat de cause à effet. Mais ce serait simpliste de s’arrêter à cette seule explication», estime Michel Pollak. «Cela peut aussi s’expliquer par un «héritage culturel». Je m’explique: on a longtemps considéré que les femmes étaient plus aptes à gérer le personnel. Ce qui n’est pas faux. Les femmes ont indubitablement des qualités qui font parfois défaut aux hommes. Mais à force de le marteler, on a fini par les enfermer dans une forme de déterminisme professionnel. Heureusement, les mentalités évoluent», se réjouit le responsable des ressources humaines chez Colas.
Les RH ne sont pourtant pas le seul département où les femmes évoluent en grand nombre. «Il y a également beaucoup de femmes dans la communication ou le marketing, souligne Lynn Verdina-Henchoz. Ce phénomène de féminisation n’est donc pas propre au RH».
Pour ces DRH, la position des ressources humaines, trop souvent placées en périphérie de l’entreprise, évolue donc. La littérature spécialisée regorge d’articles militants pour une évolution plus rapide. Les entreprises prennent conscience que les ressources humaines ne sont pas un centre de coûts mais rapportent énormément. Il y a 20 ans, les RH étaient réduites à portion congrue, rappelle Michel Pollak. «Ce n’était qu’un service du personnel avec un comptable qui se bornait à distribuer la paye».
Paradoxalement, plus la fonction RH se valorise, plus il y a d’hommes
Depuis quelques années, les postes à pourvoir au sein des RH sont en nette augmentation, mais paradoxe de cette récente valorisation, les emplois en RH sont de plus en plus souvent accaparés par des hommes. «C’est même la première fois de ma carrière que j’ai des garçons dans mon équipe!», raconte Andrée Suzan, directrice RH pour Logitech Europe. A Romanel-sur-Morge, où se trouve le département ressources humaines de cette société suisse spécialisée dans la production de périphériques informatiques, son service compte 4 hommes sur 15 personnes. En France, An-drée Suzan avait pris l’habitude de travailler dans un environnement RH exclusivement féminin. Autre spécificité propre à l’hexagone; la formation des collaborateurs RH. Alors qu’en Suisse, c’est la filière universitaire en psychologie qui prédomine, en France, les RH ont la plupart du temps suivi un cursus juridique. «C’est lié à la complexité du monde du travail.»
Dans son département, Andrée Suzan remarque «que les hommes occupent des postes plus techniques». Si les collaborateurs masculins de son service sont pétris de qualités – «sinon ils ne travailleraient pas chez nous» sourit-elle – ils sont néanmoins plus «impatients». «Il faut parfois les freiner…».
La Suisse serait-elle plus progressiste que son estimée voisine française? «Oui, mais avec une teinte de conservatisme, confie Andrée Suzan. A quelques exceptions près, ce sont toujours les hommes qui se voient confier des taches managériales.»
Et la génération montante des RH, que pense-t-elle de cette situation? «Je travaille dans les ressources humaines depuis 2001 seulement. Je n’ai donc qu’une vision subjective de la situation, explique Emma Richardson, responsable développement RH aux Services industriels de Genève (SIG). Mais, à l’instar de mes consœurs et confrères, je perçois une évolution du métier RH. Une valorisation, une montée en puissance des départements RH. Mais je constate que plus on monte dans la hiérarchie plus les postes restent encore majoritairement occupés par des hommes», concède-t-elle faisant écho à la DRH de Logitech. L’entreprise genevoise fournisseusse de fluides emploie 1600 personnes. Son service RH dénombre lui 17 collaboratrices sur les 34 personnes que compte le département. Une parité parfaite, visiblement plus due au hasard qu’à une volonté affichée d’instaurer une égalité homme-femme. «Cela dénote pourtant d’une évolution réjouissante des mentalités», conclut Emma Richardson.