Droit et travail

Préparation et application d’un plan social: quelles sont les risques et les limites

Un plan social comporte des prestations servies aux salariés dans un cadre temporel prédéfini. Cette offre déploie ses effets tant à l’égard des salariés auxquels elle a été expressément communiquée qu’envers ceux qui, de bonne foi, pouvaient comprendre qu’ils en bénéficieraient si leur poste venait à disparaître. 

Lors de la restructuration d'une entreprise, il arrive fréquemment que les employés dont le poste va être supprimé se voient octroyer certains avantages pour atténuer les conséquences de la perte de leur emploi. Ces avantages revêtent souvent la forme d'une indemnité, fonction de l'ancienneté dans l'entreprise, par exemple un demi-mois de salaire par année de service. D'autres mesures peuvent s'y ajouter, telles qu'une aide à la recherche d'un nouvel emploi (outplacement). 

Après avoir énuméré les prestations, l'entreprise indique également la durée pendant laquelle le plan social sera applicable.Tout licenciement résultant de la restructuration et notifié à l'intérieur de ce cadre temporel donnera alors droit aux indemnités et autres mesures prévues. Dans la pratique, lorsqu'une restructuration résulte notamment d'une fusion ou d'une décision de fermeture partielle d'un site de production, ce cadre temporel peut être assez large; en effet, il n'est pas toujours possible d'apprécier d'emblée le nombre de postes à supprimer et le délai dans lequel ces suppressions interviendront.

Imaginons que l'entreprise ait indiqué aux employés que le plan social serait valable pendant douze mois. Si la restructuration prend plus de douze mois, l'entreprise peut bien entendu prolonger la durée de validité du plan social. Mais elle peut aussi être tentée de réduire cette durée (ou celle de la prolongation annoncée) afin de réaliser des économies, en restreignant le cercle des bénéficiaires des prestations de licenciement. 

Poursuivons notre exemple en admettant que l'entreprise ait informé les employés que le plan censé être valable douze mois cesserait de déployer ses effets au terme du sixième mois. Qu'advient-il pour les employés dont le poste serait supprimé le huitième ou le neuvième mois? Premièrement, l'employeur pourrait invoquer que le plan social ne valait que pour les employés auxquels il avait été expressément communiqué. Seraient alors exclus tous les autres employés. Deuxièmement, l'employeur pourrait objecter qu'il n'est pas tenu d'offrir aux intéressés les prestations prévues par le plan social dès lors que la durée de validité de celui-ci a expiré. Ces arguments sont-ils pertinents? 

A qui s'adressent les effets d'un plan social?

Lorsqu'il est décidé unilatéralement par l'employeur, le plan social est une offre faite aux travailleurs. Cette offre déploie ses effets non seulement à l'égard des salariés auxquels elle a été expressément communiquée, mais aussi à l'égard de ceux qui, de bonne foi, pouvaient comprendre qu'ils en bénéficieraient si leur poste venait à disparaître. En fonction des circonstances, la première objection de l'employeur pourrait être dénuée de tout fondement. La deuxième objection appelle quelques développements. Conformément aux principes généraux (art. 6 CO), il est présumé que tout avantage conféré aux salariés est accepté tacitement par ces derniers. L'employeur est donc lié. Cela vaut tant pour l'offre initiale d'un plan social que pour l'extension de la durée de validité de celui-ci. 

Lorsque l'employeur entend réduire la durée de validité du plan, il s'agit d'une nouvelle offre faite aux travailleurs. A l'inverse de l'offre initiale d'un plan social ou de l'extension de sa durée de validité, cette nouvelle offre est clairement désavantageuse aux travailleurs, de sorte que leur acceptation ne se présume pas. A défaut d'acceptation expresse de leur part, l'employeur reste alors lié par son offre précédente. Il en résulte concrètement que l'interruption anticipée du plan social ne serait pas opposable aux travailleurs dont le poste aurait été supprimé le huitième ou le neuvième mois, à moins qu'ils y aient expressément consenti. Prenant conscience de la situation, l'employeur pourrait chercher à se soustraire à ses engagements en «camouflant» une suppression de poste en une mutation à un poste équivalent.

Un stratagème qui présente au moins deux faiblesses

Supposons que l'employeur sache d'emblée que le salarié refusera cette mutation pour des raisons personnelles, dès lors qu'elle impliquerait un déplacement conséquent du lieu de travail auquel des raisons familiales ou de santé font obstacle. Suite au refus attendu du salarié, l'employeur invoque qu'il n'y a pas eu suppression de poste, mais licenciement consécutif à la non-acceptation d'une mutation. Il en tire argument pour refuser au salarié le bénéfice du plan social.
Le stratagème imaginé par l'employeur présente au moins deux faiblesses. D'une part, s'il est établi que la proposition de mutation en un autre lieu résulte de l'élimination du poste sur le lieu de travail actuel, le plan social pourrait trouver application puisqu'il y a bien formellement suppression de poste. D'autre part, le licenciement pourrait être tenu pour abusif, compte tenu du comportement de l'employeur qui, en agissant comme il l'a fait, n'a pas témoigné au salarié les égards qu'il lui devait.
Ces développements se basent sur la jurisprudence récente du Tribunal fédéral. Ils confirment que l'offre d'un plan social est un acte qui lie l'employeur et le prive de la faculté d'agir ensuite à sa guise. Ceci vaut à plus forte raison lorsque le plan social résulte d'une négociation avec un syndicat ou la commission du personnel car il s'apparente à une convention collective de travail. Une attention toute particulière devrait être portée à la rédaction des clauses définissant le cercle des bénéficiaires. Quant au cadre temporel, il devrait être fixé aussi précisément que possible. Si son extension n'est en soi pas problématique, sa réduction peut l'être. 
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Philippe Carruzzo est avocat à Genève, où il pratique le droit du travail depuis plus de 15 ans. carruzzo@cclaw.ch Il vient de publier aux Editions Schulthess: «Le contrat individuel de travail – Commentaire des articles 319 à 341 du Code des obligations» 661 pages, CHF 189.– Commandes: Téléfax 044 200 29 58 livres@schulthess.com 

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