Think Thank

Responsable: une compétence plus encore qu’un devoir

Dans la série des événements tragiques qui  viennent de secouer la France, suscitant l’indignation et la stupeur à travers le globe, a émergé çà et là dans le débat public (et plus particulièrement dans le monde anglo-saxon) un questionnement: celui de la responsabilité potentielle des caricaturistes du journal Charlie Hebdo dans le drame qui leur est survenu.

Rien d’étonnant à cela cependant: depuis la lecture controversée du procès Eichmann par la philosophe Hannah Arendt – pour autant révoltant que cela puisse encore paraître de nos jours –  nous interrogeons généralement l’interaction et la frontière victime-bourreau avec plus de prudence, moins de certitude.
 
Ce qui apparaît toutefois comme un trait marquant de notre époque, c’est bien cette focale mise sur l’idée de responsabilité. Empreinte des sociétés contemporaines, où l’individu règne en maître, cette notion traverse les rapports sociaux dans tous leurs compartiments: il faut prendre ou «assumer» ses responsabilités tant indivi- duelles que collectives; dans la presse et les tribunaux, les personnes et instances sont «renvoyées devant» leurs responsabilités – par peur qu’elles ne les «fuient», sans doute… La responsabilité relève donc d’un devoir (et d’une obligation, au sens des corpus législatifs) incontournable, impératif.
 
Le monde du travail et des ressources humaines n’est pas exempt de ce souci de responsabilisa- tion. Entendue au sens éthique d’un acte dont on assume l’effectivité autant que la décision initiale, l’idée s’illustre avant tout dans les RH – héritage avoué de la direction par objectifs (MBO) – comme un des éléments constitutifs du descriptif de poste d’un collaborateur: une responsabilité, c’est à la fois un territoire professionnel qui lui est propre et une attente formulée, sur laquelle des jugements (une évaluation) pourront être faits.
 
Concept polysémique, la responsabilité dans l’univers RH figure également comme l’un des attributs clés de la hiérarchie: le manager est celui qui occupe un poste à responsabilités, et qui assume ces dernières comme des charges à la pesanteur certaine, et ce parfois au détriment de sa santé. A cet égard, on ne sera pas surpris que d’aucuns – génération X comme Y – se refusent délibérément à occuper de telles positions quand bien même l’opportunité s’offre spontanément à eux!
 
Mais la responsabilité est-elle toujours synonyme de contrainte, d’obligation et de devoir? J’aimerais aborder cette notion sous un angle différent, en l’envisageant davantage comme une compétence. C’est d’ailleurs ce que nous invite à faire le mot lui-même, quand on le regarde de plus près.
 
«Responsable», du latin respondere, cela veut bien dire «être capable de»: capable de répondre, de cadrer avec. Dans cette perspective, aurait donc «la compétence de responsabilité» celui ou celle qui saurait s’adapter à une situation, de se mettre en symétrie avec un environnement après l’avoir observé et compris. Mais surtout, la capacité de répondre à cet environnement. «Répondre à» des exigences et «répondre de» ses actes: c’est dans cette dialectique subtile, entre agissement choisi et justification assumée, que l’idée prend tout son sens.
 
Etre en capacité de réponse, cela implique vraisemblablement aussi des aptitudes à la verbalisation: pour qu’elle soit pertinente, la réponse nécessite les mots justes, le ton adéquat, le registre adapté. La personne douée de responsabilité sait s’exprimer et transmettre les termes de son intention.
 
La responsabilité comme une compétence? L’idée me paraît résolument séduisante. Qui sait? Peutêtre qu’un jour «chercher les responsables» ne signifiera plus traquer les auteurs de quelque chose de fautif, mais davantage trouver les talents! 
commenter 0 commentaires HR Cosmos

Raphaël Bennour, ancien cadre RH d’une grande banque privée de la place genevoise, dirige le groupe CAVEA (en­ seignes Rhônalia et Vinograf, actives dans la distribution de vins et spiritueux haut de gamme) qu'il a co­créé en 2009. Consultant indépendant depuis 2016, il accompagne aussi les entreprises du secteur bancaire dans les défis actuels de la filière (digitalisation, marketing de l'offre, conduite du changement).

Plus d'articles de Raphaël Bennour