La chronique

Sexisme et manque de curiosité intellectuelle

Au beau milieu d’un été écrasé par une chaleur caniculaire que nul ne peut ignorer se découvre le vrai visage des comportements qui bloquent notre quotidien.

C’est avec un mélange d’effroi et de pitié que j’ai suivi de très près les postures, très majoritairement masculines, de décrédibilisation de Greta Thunberg, la jeune icône de la lutte contre le changement climatique. Je n’ouvrirais pas ici une énième tribune sur la justesse, ou non, de son appel au secours. Je vais vous inviter à entrer dans une réflexion sur les rigidités qui nous empêchent de nous transformer et d’accueillir de nouvelles données.

Le message exprimé était simple: «Il y a le feu climatique, des évidences scientifiques pour confirmer ces faits, agissons maintenant et changeons le modèle qui nous a conduit ici». Il ne s’agit pas de partager ses vues, mais bien de comprendre comment un message apparemment clair et se voulant tourné vers l’avenir a pu créer autant de crispations.

Puisque le sujet est sociétal et général, beaucoup de «professionnels» se sont laissés aller sur le réseau social professionnel LinkedIn et ont oublié dans la chaleur de l’été, qu’ils ne commentaient pas seulement l’actualité mais qu’ils dévoilaient à la face du monde leurs croyances profondes. C’était un moment extraordinaire, car ils ont baissé leur garde, ainsi sont apparus, sans fard, les freins qui entravent le changement des organisations lorsque ces mêmes personnes doivent piloter ou simplement accompagner une transformation. Les sous-jacents assez peu flatteurs de ces freins sont tellement inavouables en entreprise que pour maintenir un peu de respectabilité, ces pourfendeurs parleront de manipulation pour ne pas exprimer ce qui bouillonne au fond d’eux-mêmes: une mauvaise sauce de sexisme et de manque de curiosité intellectuelle.

On ne peut pas sérieusement faire confiance à une jeune femme

Double handicap accablant de la jeunesse et du genre, où les successions de poncifs viennent renforcer les certitudes établies par des décennies de «old boys club». Il faut avoir le cuir tanné et les cheveux gris pour être pertinent. Passe ton bac ou ta maturité d’abord, on ne saurait reconnaître de sagesse dans une réflexion juvénile si elle n’est pas cautionnée par un rassurant diplôme. Une fille d’ailleurs n’y connaît rien aux sciences de l’environnement et aux impératifs économiques de croissance. Depuis le temps cela se saurait si nous avions à apprendre de jeunes idiots. Que nous ont apporté enfants Mozart, Thomas Edison ou Blaise Pascal... Ah tiens, suis-je sot, la jeunesse n’est pas une tare dans le génie masculin.

D’autant plus qu’elle est autiste asperger

Une handicapée mentale en quelque sorte. L’objectif visé ici est le coup de grâce qui décrédibilise la jeune femme en lui donnant une image de paria. Tristement, notre société réagit toujours à ces mécanismes d’exclusion. Depuis le Moyen-Âge nous sommes passés maîtres dans l’évacuation des indésirables par leur simple catégorisation d’hérétiques, de sorcières, de fous ou de mendiants. On vient de planter le dernier clou dans son cercueil en propageant l’ignorance de ce qu’est l’autisme. Michelangelo, Bobby Fischer, Satoshi Tajori, Anthony Hopkins... encore une brochette d’incapables? Non bien sûr, ils étaient différents dans leur génie masculin.

Son discours est trop élaboré pour être le fruit de son jeune âge, elle est instrumentalisée

Ici s’entrechoquent jalousie et incapacité à projeter sur les autres des qualités dont on est soi-même dépourvu. Elle est le miroir de nos regrets et frustrations non avoués: au même âge, je ne croyais pas vraiment à grand-chose et aucun idéal ne me poussait à me transcender. Lorsque je dois présenter un malheureux PowerPoint à mon management, j’ai les mains moites et la voix qui tremble et cette gamine de 16 ans va s’exprimer devant les plus grandes instances internationales et les cameras de télévision sans sourciller pour délivrer un message particulièrement puissant.
Nous sommes bien d’accord, le monde public est infiniment navrant quant à sa détestable capacité à récupérer tout ce qui peut lui donner quelques secondes d’attention. Greta Thunberg
est-elle plus instrumentalisée que les dirigeants des grandes entreprises qui sont, eux, prisonniers de logique de poupées russes où les intérêts des places financières, industrielles, des bassins d’emplois locaux, des actionnaires leur laissent une bien maigre marge de liberté? Permettez-moi d’en douter fortement.
Si cela demeure notre plus intime liberté de partager ou de rejeter le discours de Greta Thunberg, il est un devoir d’humilité qui en toute circonstance doit éclairer le chemin de nos prises de décisions et nous aider à discerner quels blocages médiévaux sont encore à l’oeuvre dans nos esprits.

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