Portrait

Tisseur de sens

Professeur, chercheur, consultant RH, et co-auteur d’un livre vendu à plus de 10’000 exemplaires, François Gonin nous raconte son parcours, les convictions qui l’animent et ce qui le pousse à promouvoir une gestion des RH à la fois centrée sur l’humain, stratégie et pleine de sens.

Il est aujourd’hui professeur en management des ressources humaines à la Haute École d’Ingénierie et de Gestion du canton de Vaud (HEIG-VD), coordinateur du pôle «Ressources humaines & Dynamique organisationnelle», directeur du MAS «Human Capital Management». Il est aussi connu pour le livre qu’il a coécrit avec Yves Emery: «Gérer les ressources humaines. Des théories aux outils, un concept intégré par processus, compatible avec les normes de qualité». Être professeur et directeur de MAS, cela ne s’improvise pas. François Gonin a un long parcours d’homme de terrain. Mais saviez-vous qu’il a aussi été, entre autres, professeur de ski et chauffeur de taxi? Son parcours n’est pas le fruit du hasard. Il est guidé par quelques fils rouges qu’il nous révèle.
 
Monter un dispositif de recherche dans son taxi
François Gonin commence la description de son parcours par: «A l’école, ce n’était pas brillant. J’étais dyslexique.» L’élève dyslexique s’est mué en gymnasien pour finalement décrocher une maîtrise en psychologie sociale à l’Université de Lausanne. L’envie de déchiffrer la complexité humaine, de comprendre les liens entre l’individu et son environnement, émerge relativement tôt. «A l’université, la découverte de la recherche sociale a été importante pour moi: l’étude d’un phénomène pour ensuite transformer des pratiques. J’étais chauffeur de taxi pour financer mes études. J’avais monté un dispositif d’expérimentation dans mon taxi. La question était: «Le comportement du chauffeur conditionne-t-il le pourboire?» Premier scénario: j’adopte un comportement professionnel, mais froid (j’ouvre la porte, suis poli, mais rien de plus). Second scénario: mon comportement est social (je parle aux gens, leur pose des questions). Chaque soir, j’inscrivais les résultats dans un tableau, ce qui m’a permis de constater que le comportement social l’emportait!»
 
Un besoin d’appréhender les choses de l’intérieur
La recherche sera à la base de son premier emploi officiel: une année pour développer une méthodologie rigoureuse d’évaluation de la qualité de la prise en charge sociale des personnes âgées dans les EMS. Cette recherche débouche sur sa nomination, à 28 ans, comme adjoint de chef de service au Département de la santé et de l’action sociale du canton de Vaud. Pour se préparer à ce poste, il n’hésite pas à travailler pendant plusieurs mois en tant qu’aide-infirmier dans divers EMS ainsi que dans une structure de soins palliatifs. «J’ai besoin de comprendre les choses de l’intérieur, de les ancrer, d’aller dans leur réalité. C’est là qu’il y a quelque chose de juste. Les gens font ce qu’ils font pour de bonnes raisons», dit-il. Il est à la recherche d’exigences qui collent à la réalité des EMS: «Étant donné que les personnes âgées ont souvent plusieurs pathologies à guérir en parallèle, sans parler d’un important vécu, leur prise en charge nécessite que l’on comprenne encore mieux qui elles sont à ce moment-là de leur vie, ce qu’elles ont chacune de singulier.» Dans ce poste, il acquiert une expérience de cadre qui lui fait découvrir la gestion des ressources humaines au quotidien de 12 personnes.
 
Adjoint scientifique et chef de projet
François Gonin a besoin de transformer les pratiques. En 1997, après un passage à l’Institut de Hautes Études en Administration Publique (ID-HEAP) en tant qu’adjoint scientifique et pour décrocher un master d’études avancées, la ville de Lausanne l’appelle pour exercer la fonction de chef du projet de la nouvelle politique du personnel. Il nous raconte: «La ville de Lausanne avait ce projet magnifique de créer et mettre en œuvre une politique du personnel harmonisée, globale et cohérente, toutefois en excluant dans un premier temps les aspects salariaux et le statut du personnel. La Municipalité avait compris qu’il était crucial de commencer par apprendre à faire de la gestion des ressources humaines, c’est-à-dire par exemple à engager la bonne personne, favoriser sa motivation et développer ses compétences. Cela a permis de mettre l’accent sur ce qui fait sens, et de ne pas confondre la fin et les moyens. Contrairement à d’autres organisations qui ont fait face à des blocages, Lausanne a pu développer et transformer sans heurt en profondeur ses différentes pratiques de GRH.» Il met en place brique par brique en sept ans dix processus clés RH: «Yves Emery m’a accompagné dans ce projet en tant que consultant externe. La première année, nous avons créé un concept pour nous assurer d’avoir une politique RH globale et cohérente. Nous avons identifié les parties prenantes du projet et mis en place des mécanismes pour les intégrer. Il était important pour nous d’adopter un fonctionnement partenarial et participatif. Au début du projet, les collaborateurs ont été consultés à travers une enquête. Puis, chaque processus RH a été développé par des groupes de projet composés de représentants des chefs de service et des syndicats. Je me sens incroyablement privilégié d’avoir eu depuis le début du projet le support unanime de la Municipalité. J’étais en accord avec les valeurs du projet et avec sa cohérence, ce qui fait que je n’aurais pas voulu y changer une virgule.»
 
Contre une dictature des processus
Yves Emery et François Gonin ont formalisé cette expérience dans un ouvrage qui présente un concept intégré de GRH par processus, ainsi que la manière de le mettre en œuvre. «Il ne doit pas y avoir une dictature des processus en entreprise. Cependant, ils sont fondamentaux pour plusieurs raisons. Ils proposent une vision transversale qui considère la qualité du produit fini du point de vue de l’utilisateur. Ils apportent une valeur ajoutée à un public cible déterminé, ce qui permet de les évaluer avec des indicateurs. Ils définissent qui doit faire quoi, quand et comment, ce qui permet une coordination harmonieuse des différents acteurs, par exemple, qui va participer à l’entretien d’embauche, qui va décider du candidat retenu, qui va informer les candidats non-retenus, etc. Ils favorisent une cohérence globale dans la mesure où on va pouvoir définir la manière dont ils sont articulés. Enfin, ils sont la colonne vertébrale à travers laquelle les valeurs de l’organisation pourront se transmettre. Cela permet par exemple de réfléchir en amont comment prévenir les risques psychosociaux.»
 
Son poste actuel de professeur permet à François Gonin d’allier théorie et pratique au travers de ses différentes missions: recherche, enseignement, publication, ainsi qu’intervention en entreprise: «Peu de gens savent que, en tant que professeur HES, nous avons à réaliser des mandats pour les entreprises. Dans mon domaine, je réalise des audits sociaux, j’accompagne des organisations pour le développement et la mise en œuvre de leur politique RH ou de leur management des performances, par exemple. C’est ce qui est passionnant: tisser ces liens entre théorie et pratique, chacun des deux enrichissant l’autre, et finalement enseigner ces liens.»
Des travers inquiétants dans les RH
Et la recherche pour François Gonin? Ce sont principalement deux domaines, dans lesquels transparaissent aussi ses valeurs: la gestion durable des ressources humaines, la gestion et l’évaluation des performances collectives. Dans le premier, il traite de questions comme: de quelle manière la gestion des ressources humaines peut participer à l’effort global des entreprises dans une perspective de développement durable? Dans le domaine de l’évaluation des performances collectives, il tente de répondre à des questions comme: à quelles conditions la gestion de la performance du personnel au niveau collectif amène-t-elle à plus ou moins de performance; quelles pratiques de management et d’évaluation développer pour tenir compte d’un travail plus complexe que jamais, où la collaboration avec d’autres personnes est de plus en plus nécessaire, rendant caduque l’évaluation individuelle. A travers le MAS qu’il dirige aujourd’hui, il souhaite que les responsables RH aient la capacité de concevoir, développer, mettre en place et piloter des structures et des processus RH intégrés et évolutifs, en lien avec la stratégie de l’organisation. Si ce lien est établi, les processus ne font plus qu’un avec l’entreprise. Par ailleurs, il est important que les étudiants développent une posture personnelle ancrée, qui leur permet d’être acteur des transformations et de se positionner en tant que partenaire stratégique du management. 
 
Actuellement, il s’inquiète de certains travers dans les pratiques de GRH: «Je suis surpris du nombre d’entreprises qui considèrent que mettre sous pression de manière permanente leur personnel va leur permettre d’être plus créatifs et plus performants! A mon sens, cela ne provoque que des peurs et des comportements réactifs qui sont loin d’atteindre les objectifs déclarés! Pire, on peut se demander quelles répercussions a ce mode de gestion sur la vie des collaborateurs. Comment va se comporter avec son entourage un collaborateur frustré et dévalorisé dans son travail? La GRH a une responsabilité. Pour moi, on ne peut pas être neutre ou spectateur.»
Il nous a apporté pour l’interview un livre qui vient d’être publié par les chercheurs fribourgeois Fabrice Plomb et Francesca Poglia Mileti: «Les salariés dans la tourmente. Restructurations et montée du populisme de droite.» (L’Harmattan, 2015) Ce livre raconte, sur la base d’entretiens approfondis, les effets que les «nouvelles organisations du travail» ont sur le personnel des entreprises en grande transformation. Les auteurs montrent le lien entre ce nouveau management des entreprises et le succès des idées populistes de droite: «Limitation du nombre d’étrangers, fermeture du pays, protection de la culture nationale, critique des élites politiques et économiques, vision nostalgique du passé, etc.» «C’est frappant: nous avons ici une étude scientifique qui fait le lien entre le vécu des collaborateurs dans les organisations et leur rapport au monde qui les environne», dit-il. Il ajoute: «C’est dire si la place et la considération données à chacune et à chacun en entreprise, et donc une GRH qui porte ces valeurs, a une importance cruciale, et bien au-delà des murs de cette entreprise.»
 
Et lui?
Ce qui le booste au quotidien? Il répond: «Faire passer des messages pour que chacun soit reconnu pour son travail, transmettre une vision humaine. Développer des nouvelles pratiques de GRH cohérentes, qui ont du sens.» Voici des phrases qui résument bien toute cette interview. Que rajouter?
 

Bio express

  • 1959: naissance
  • 1980: baccalauréat ès lettres
  • 1985: master en psychologie sociale, Université de Lausanne
  • 1988: adjoint de chef de service, Département de la santé et de l’action sociale du canton de Vaud
  • 1996: adjoint scientifique dans l’unité «Management public et gestion des ressources humaines», Institut de Hautes Études en Administration Publique (IDHEAP)
  • 1998: conseiller en ressources humaines et chef du projet de la nouvelle politique du personnel de la Ville de Lausanne
  • 1999: master d’études avancées en management public (MPA), ID-HEAP
  • 2005: professeur en management des ressources humaines, HEIG-VD
  • 2011: directeur du master d’études avancées en Human Capital Management (MAS HCM)

 

 

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