Droit et travail

Transfert d’entreprise: le rappel des principes et les apports du droit européen

Le principe de la loi est celui du transfert automatique de tous les contrats de travail existant au moment du transfert. Mais il existe plusieurs exceptions à cette règle, notamment pour ce qui a trait à la résiliation des contrats avant le transfert. Le droit européen, qui a servi de fondement à notre réglementation en la matière, en dessine les pourtours. 

Lors de la vente d’une entreprise, d’une fusion ou d’une scission par exemple, une série de questions juridiques assez complexes se pose. Les collaborateurs sont-ils libres de s’opposer à leur transfert au repreneur ou à la nouvelle entité juridique? L’employeur peut-il résilier les contrats de travail avant le transfert ou proposer d’ores et déjà une modification des conditions de travail? Réponses aux questions les plus fréquentes.

Le principe

Les art. 333 et 333a CO offrent aux travailleurs une protection particulière, par le biais de diverses obligations pesant sur l’ancien employeur (le cédant) et/ou le nouvel employeur (l’acquéreur, le cessionnaire). Le principe est celui du transfert automatique à l’acquéreur de tous les rapports de travail existant au moment du transfert de l’entreprise (art. 333 al. 1 CO). Peu importe que l’acquéreur se soit ou non engagé à reprendre tous les travailleurs.

Peu importe également que le travailleur ne figure pas sur la liste des travailleurs que l’acquéreur s’est déclaré d’accord de reprendre. Peu importe enfin qu’il existe ou non un rapport juridique entre l’ancien employeur et l’acquéreur. Tous les postes de travail sont concernés, sans qu’il y ait lieu d’opérer de distinction entre dirigeants, cadres et autres travailleurs.

Les exceptions

Opposition du travailleur

Le travailleur peut librement s’opposer au transfert. S’il fait usage de ce droit, les rapports de travail prennent fin à l’expiration du délai légal de congé. Des délais de congé plus longs, ou éventuellement plus courts (art. 335c al. 2 in fine CO), prévus par un accord, un contrat-type ou une convention collective de travail ne sont donc pas applicables. Mais bien que le travailleur se soit opposé au transfert, il reste néanmoins tenu de fournir sa prestation à l’acquéreur de l’entreprise jusqu’au terme de son délai légal de congé. Il ne peut donc exiger de rester au service du cédant.

L’opposition au transfert prive le travailleur de la possibilité de se prévaloir des dispositions instaurant une protection contre les congés abusifs (art. 336 et ss. CO) et contre ceux donnés en temps inopportun (art. 336c CO), la résiliation du contrat n’émanant pas de l’employeur. Pour déterminer si une clause de prohibition de faire concurrence subsiste ou devient caduque (art. 340c CO), il convient de rechercher le motif ayant conduit le travailleur à s’opposer au transfert. Ainsi et à titre d’exemple, si le travailleur s’y est opposé en raison de la dégradation des conditions de travail qu’il impliquera, la clause de prohibition de concurrence tombe. Dans cette hypothèse, l’opposition doit être assimilée, quant à ses effets, à une résiliation des rapports de travail fondée sur un motif justifié imputable à l’employeur. Il en va de même lorsque les rapports de travail sont résiliés par le cédant ou l’acquéreur pour des motifs économiques, techniques ou organisationnels (voir ci-après).

En revanche, si le travailleur ne s’est opposé au transfert que pour des motifs de convenance personnelle, par exemple dans le but de démarrer une activité professionnelle indépendante ou d’entrer plus rapidement au service d’un autre employeur, nous estimons que la clause de prohibition de faire concurrence subsiste.

Résiliation du contrat par l’employeur avant le transfert

Si le contrat de travail est résilié uniquement en raison du transfert de l’entreprise, cette résiliation ne déploie aucun effet. En revanche, des licenciements pouvant intervenir pour des motifs économiques, techniques  ou d’organisation, impliquant des changements sur le plan de l’emploi, doivent être tenus pour valables. Certes, le législateur suisse n’en a pas fait état à l’art. 333 CO, mais cette règle découle du droit européen, lequel a servi de fondement à notre réglementation en la matière.

Des motifs disciplinaires, soit notamment la transgression de directives ou instructions de l’employeur, ne font pas non plus obstacle au licenciement d’un travailleur. Dans ce cas de figure, c’est en effet le comportement du travailleur qui motive le licenciement et non le transfert de l’entreprise.

Modification des conditions de travail en vue du transfert

Le recours au congé-modification  en prévision du transfert, dans le but d’harmoniser les conditions de travail avec celles ayant cours auprès de l’acquéreur, devrait être tenu pour valable lorsque deux conditions sont remplies: d’une part, il doit s’imposer en raison de la marche de l’entreprise ou du marché tout court; d’autre part, les motifs invoqués par l’acquéreur doivent être de nature économique, technique ou organisationnelle.

Dès lors que ces motifs peuvent justifier la résiliation des rapports de travail avant le transfert effectif de l’entreprise (voir ci-dessus), il convient d’admettre qu’ils puissent justifier une modification des conditions de travail au moyen du recours au congé-modification. Rappelons toutefois que lorsque les rapports de travail sont régis par une convention collective, l’art. 333 al. 1bis CO contraint l’acquéreur à la respecter pendant une année, pour autant qu’elle ne prenne pas fin plus vite du fait de l’expiration de la durée convenue ou de sa dénonciation.

1  Par exemple, la perte du client principal de l’entreprise, justifiant une réduction drastique des effectifs avant même que le transfert ne soit opéré. 

2  Par exemple, l’absence d’accord entre l’acquéreur de l’entreprise et les bailleurs des locaux sur un nouveau contrat de bail, l’impossibilité de trouver un autre local commercial ou l’impossibilité de transférer le personnel dans d’autres magasins. 

3  Par exemple, des licenciements qui interviendraient en raison de l’abandon de certaines activités déficitaires, dont l’exploitation cesserait à la date du transfert et à laquelle les travailleurs licenciés étaient affectés, ou encore en raison de l’élimination de certains postes déjà pourvus chez l’acquéreur, afin d’éviter des doublons. 

4  Voir l’art. 4 al. 1 de la Directive 2001/23/CE du 12 mars 2001, laquelle a remplacé la Directive 77/187 du 14 février 1977 sans en modifier la teneur sur cet aspect. 

5  Soit une résiliation du contrat simultanément assortie de l’offre de conclure un nouveau contrat, moins favorable au travailleur et censé prendre effet à l’issue du délai de congé légal ou contractuel.

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Philippe Carruzzo est avocat à Genève, où il pratique le droit du travail depuis plus de 15 ans. carruzzo@cclaw.ch Il vient de publier aux Editions Schulthess: «Le contrat individuel de travail – Commentaire des articles 319 à 341 du Code des obligations» 661 pages, CHF 189.– Commandes: Téléfax 044 200 29 58 livres@schulthess.com 

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