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Vers un nouveau contrat générationnel: manager à l'heure grise

Dans les entreprises, on parle transformation, IA, leadership de demain... mais une autre mutation, tout aussi déterminante, reste souvent négligée: le rapport entre générations dans les équipes. 

Le travail intergénérationnel n’est plus un sujet périphérique. C’est une nouvelle donne RH. Un angle mort qui coûte cher. Pourquoi? Parce que dans un marché du travail en tension, attirer des jeunes ne suffit plus – il faut aussi savoir retenir ceux qui ont déjà fait leurs preuves. Parce qu’avec l’arrivée des Gen Z et leurs codes radicalement différents, les managers d’aujourd’hui (souvent des générations X et Y) doivent jongler avec des attentes qu’ils ne comprennent pas toujours. Parce que la diversité générationnelle est une force... à condition de savoir la piloter. Sinon, elle devient un terrain miné, générateur de malentendus, de frustrations, de ruptures. Les entreprises qui réussiront demain ne seront pas celles qui choisissent une génération contre une autre, mais celles qui savent créer des ponts – et non des frontières – entre elles. 

Du pilotage de l’âge à la gestion intergénérationnelle 

On continue de penser les «seniors» comme une variable à gérer discrètement. Plan de départ, retraite anticipée, allègement... comme si leur carrière devait forcément s’éteindre en douceur. On ne compte plus le nombre d’entreprises qui organisent des plans de départ en retraite anticipée dès 57 ans. Alors posons la question clairement: les entreprises se séparent-elles vraiment des «vieux»? 

Au sein de notre activité chez von Rundstedt, on observe qu’elles se séparent de ceux qui, à tort ou à raison, ne correspondent plus à leurs besoins immédiats. Les 55+ qui créent de la valeur restent. Pas par faveur, mais par efficacité: contribution, engagement, performance. Un exemple récent: j’ai été contactée par une entreprise dans le cadre d’un plan de départ en retraite anticipée dès 57 ans... et une semaine plus tard par un de leurs collaborateurs, sollicité pour continuer au-delà de 65 ans et qui ne le souhaite pas. 

Le message implicite? Ce n’est pas l’âge qui compte. C’est l’utilité perçue des compétences et de l’expérience. Et pourtant, dans la pratique, les entreprises restent souvent timides vis-à-vis des carrières des plus âgés. Peu de soutien actif. Peu de recrutement au-delà d’un certain âge. Comme si le vieillissement était un risque plus qu’une ressource. 

Quand les entreprises nous demandent d’intervenir sur des enjeux de leadership, le même constat revient: ce n’est pas tant le manque d’agilité des seniors qui fait défaut, c’est la capacité à faire dialoguer des générations qui ont des besoins différents. Des attentes qui s’entrechoquent, des visions différentes du travail, une incompréhension parfois totale du rôle du manager: tout cela pèse lourd dans les organisations. 

Alors le leadership est souvent vu comme la solution. Mais tant que la question générationnelle n’est pas traitée – c’est-à-dire l’incapacité à faire coexister les générations dans une dynamique de reconnaissance mutuelle – les formations resteront cosmétiques. 

Car les générations vont devoir travailler ensemble encore plus longtemps au sein des organisations. Le prolongement de la vie active, les évolutions technologiques, les différences de styles de communication, de rythme et de valeurs forment un cocktail riche – mais potentiellement explosif. Mal accompagnée, cette diversité crée des frictions. Bien pilotée, elle devient un levier d’innovation, de transmission et de performance. Ce biais générationnel est réel, et il est temps de le confronter. 

Le rôle clé du management intergénérationnel 

Les RH ne peuvent pas tout. Ce sont les managers de proximité qui créent, ou non, le climat de reconnaissance, d’écoute et d’utilité dont ont besoin les collaborateurs – qu’ils aient 25 ou 58 ans. Or, ce rôle managérial est aujourd’hui de plus en plus complexe. Les jeunes générations cherchent du feedback immédiat, de l’autonomie. Les 55+, eux, demandent de la confiance, de la souplesse, de la reconnaissance. Et au milieu, les managers, souvent Gen X ou Y, n’ont pas toujours les outils ni la culture pour gérer cette cohabitation sans tension.

Récemment, j’ai été invitée à donner une conférence sur la Gen Z. Un titre évoqué? «Gen Z: comment les mettre au travail». Un intitulé révélateur – non pas d’un problème de motivation, mais d’un décalage profond de perception.

Derrière ces tensions générationnelles se cachent des visions du travail radicalement différentes. Les baby-boomers ont grandi avec l’idée que le travail forge l’identité et mérite loyauté et investissement. La génération X, plus désabusée, a connu les crises et le chômage et appris à se protéger: elle valorise l’autonomie et l’équilibre. Les Y veulent du sens, du feedback. Les Z, eux, refusent le sacrifice: le travail est un moyen, pas une fin. Quant aux Alpha, qui arrivent à peine, ils s’annoncent encore plus fluides, ultra-connectés, et exigeants sur l’impact. Ces regards ne sont ni bons ni mauvais. Ils sont réels, et les ignorer, c’est rendre le management inopérant. 

Dès lors, manager plusieurs générations ne consiste pas à «encadrer», mais à écouter, mobiliser, créer du sens, arbitrer les équilibres, et cela demande, pour les leaders, un réel changement de posture. Fini le management vertical, place au management mobilisateur. 

Former les managers à ces compétences est devenu un enjeu stratégique. Mais les former à quoi? À:

  • reconnaître les biais générationnels implicites
  • sortir des stéréotypes (le jeune instable, le vieux rigide...)
  • créer des formats hybrides de collaboration
  • valoriser les seniors autrement que par la promotion classique
  • intégrer les plus jeunes sans infantilisation 

Comment organiser la collaboration entre générations? 

Cette diversité générationnelle n’est pas un problème à résoudre. C’est un matériau vivant à organiser intelligemment.

Quelques pistes concrètes: 

  • Mentorat croisé: les seniors transmettent le sens métier, les juniors partagent des usages numériques ou des regards neufs.
  • Entretiens carrière 50+: pour repenser son rôle, ses missions, ses marges de manœuvre bien avant la retraite.
  • Parcours fluides: missions transversales, portefeuilles de projets, intervention comme expert ou formateur.
  • Espaces de dialogue intergénérationnel: pour faire émerger les malentendus, les attentes, les envies, les conflits aussi… et les traiter.

Ce management générationnel est tout sauf théorique. Il est au coeur de la compétitivité, surtout dans un contexte de rareté des compétences. Face à ces défis, les managers ne peuvent plus se reposer uniquement sur leur expérience ou leur autorité. Ils ont besoin de nouvelles compétences – plus transversales, plus agiles, plus relationnelles.

Un nouveau contrat générationnel à inventer 

Alors la question n’est plus comment garder les seniors? Mais plutôt comment créer une équipe où chacun, à tout âge, se sent utile, attendu, valorisé? 

C’est là que réside le nouveau contrat générationnel:

  • Il ne s’agit pas de protéger les 55+ par bienveillance.
  • Il s’agit de les intégrer activement dans une stratégie d’avenir.
  • Il s’agit de reconnaître que leur présence permet aussi aux plus jeunes de se projeter.
  • Il s’agit d’investir dans la collaboration, pas dans la segmentation. 

Les jeunes sont parfois désorientés face à des organisations instables. Les plus âgés peuvent apporter du repère, du sens, du recul. Mais pour que cela fonctionne, il faut que l’entreprise et ses leaders organisent cette complémentarité au lieu de la subir. 

Et maintenant? 

Dans votre entreprise:

  • Les managers sont-ils formés à ces enjeux?
  • Avez-vous des formats pour valoriser les seniors?
  • La collaboration intergénérationnelle est-elle pensée, ou laissée au hasard?
  • Et après 65 ans: y a-t-il encore un rôle pour celles et ceux qui veulent continuer à contribuer? 
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Anne Donou
Texte: Anne Donou

Anne Donou est Directrice Suisse romande chez von Rundstedt & Partner Suisse SA.

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