Conseils pratiques

Vu de loin, vu de près: influence versus manipulation

Où finit l‘influence? Quand commence la manipulation mentale? Manipule-t-on dès que l‘on cherche à influencer?

La situation

Paul est un homme qui prend aisément sa place, ses demandes sont directes, il exprime ses besoins et ne craint pas d’exposer son opinion, même lorsque l’auditoire n’abonde pas dans son sens. Il reste néanmoins respectueux dans ses propos et le ton de sa voix est adapté. Jamais un mot plus haut que l’autre.

Sur le plan managérial, il reconnaît les qualités de son équipe et ne manque pas de louer les compétences de chacun en maintes occasions. Il obtient ainsi aisément ce qu’il attend d’autrui, qu’il soit collaborateur, collègue ou supérieur hiérarchique. Son adjointe, Jocelyne, dispose d’une large expertise du domaine dans lequel ils travaillent tous les deux, une expérience plus vaste que celle de Paul. Mais elle n’a pas le profil, ni les compétences pour devenir responsable de service et n’a jamais visé cette fonction, même au départ du prédécesseur de Paul. Chacun a son rôle et sa place et le duo fonctionne très bien.

Jocelyne fournit à son chef les informations et l’expertise qu’il n’a pas avec loyauté et engagement et Paul peut largement s’appuyer sur elle pour se familiariser avec les pratiques du service et combler ses lacunes techniques. Il parvient ainsi à assumer en toute sécurité sa mission et peut prendre des décisions fondées, même sur des sujets qu’il ne maîtrise pas.

Quant à Jocelyne, elle se sent reconnue: Paul a besoin d’elle, il le lui rappelle régulièrement et la valorise. Tout en restant dans l’ombre, ce qu’elle apprécie, Jocelyne a la conviction de contribuer activement à l’atteinte des objectifs et au bon développement du service.

Après plusieurs mois de coopération fructueuse, un nouveau projet important démarre. Rapidement, Jocelyne estime que son chef fait fausse route, persuadée que Paul prend des risques qu’il ne mesure pas, du fait de sa connaissance encore peu approfondie du domaine, elle s’attache à le convaincre de reconsidérer son approche. Elle lui expose son raisonnement à plusieurs reprises, revient à la charge avec de nouveaux faits concrets ainsi qu’en formulant ses craintes. Sans succès!

Fondamentalement persuadée qu’il n’a pas tous les éléments en main, elle sollicite l’avis d’un expert d’un autre département. Elle veut permettre à Paul d’affiner sa vision afin qu’il puisse opérer des choix judicieux et mener ce projet au succès dans l’intérêt du service.

De son côté, Paul ne partage pas du tout le point de vue de Jocelyne. Ce projet, il le sent bien. Sans compter qu’il représente l’occasion à ne pas manquer pour se positionner à l’interne. Mais il faut avancer au plus vite, sans perdre de temps, et que des résultats positifs tombent avant son prochain entretien d’appréciation. Jocelyne l’irrite avec ses conseils à la prudence. Elle manque clairement d’ambition. Sans compter qu’en faisant intervenir un collègue d’un autre département, Paul estime qu’elle fait circuler l’idée qu’il est incompétent.

De plus en plus impatienté par l’insistance de Jocelyne et très contrarié de cette image qu’elle conduit à donner de lui et de son service, Paul veut que sa subordonnée comprenne qu’elle a atteint les limites de son rôle. Son style de communication change alors radicalement: son ton devient méprisant, il reprend fréquemment et abruptement Jocelyne sur des erreurs bégnines.

Un jour, en pleine séance organisationnelle avec elle, alors qu’elle donne son point de vue sur la planification du projet qu’elle trouve irréaliste, il lui demande sur un ton railleur si c’est son propre poste qu’elle brigue... Finalement, après quelques semaines de ce traitement, Jocelyne renoncera à défendre sa position.

Vu de loin 

Jocelyne et Paul cherchent tous les deux à faire changer l'autre d'avis.

Vu de près

Jocelyne s'attache à influencer Paul, alors que Paul manipule Jocelyne.

L'analyse

Paul Watzlawick (1) l’a démontré, on ne peut pas ne pas communiquer. Les silences et les refus de communiquer sont porteurs d’un message. Il n’est pas non plus possible de s’abstenir d’influencer. Refuser de donner son avis à une personne qui le sollicite représente un moyen de l’influencer. De fait l’Etre Humain est aisément suggestible. Mais où finit l’influence? Quand commence la manipulation mentale? Manipule-t-on dès que l’on cherche à influencer?

Trois notions permettent de distinguer l’influence de la manipulation (2): la transparence, l’intention et le degré de pression. Lorsque nous tentons d’influencer quelqu’un, comme Jocelyne, nous le faisons ouvertement, avec pour intention le bien de l’autre ou l’intérêt du projet – du moins pour ce qui nous en apparaît – en exerçant une pression appropriée. En revanche, la manipulation mentale ne vise pas le bien de l’autre, mais la satisfaction d’objectifs personnels aux dépens d’autrui. La pression est inadaptée et les intentions cachées, aucune demande précise n’est formulée.

Enfin, il existe une grande différence entre «user de techniques de manipulation» de temps en temps, ce que nous faisons tous, et manipuler! Présenter des arguments dans un ordre particulier pour qu’ils aient davantage d’impact, laisser l’autre penser que c’est son idée, et pas la nôtre, pour qu’il ne fasse pas preuve de résistance ou choisir le moment opportun pour demander une augmentation de salaire, représentent autant de façons de faire preuve de sens tactique... ou d’user de techniques de manipulation!

L’enfer est pavé de bonnes intentions et, convaincus du bien-fondé de nos idées, nous pensons parfois vouloir influencer une décision dans l’intérêt de tous, alors que nous tentons simplement de faire passer nos besoins avant ceux des autres. Nos objectifs nous sont parfois si chers et notre inconscient, ou notre mauvaise foi, si puissants, soyons vigilants!

(1) «Une logique de la communication», Paul Watzlawick, Janet Helmick, Don D. Jackson, Ed. du Seuil, 1967

(2) Tiré de «Echapper aux manipulateurs», Christel Petitcollin, Ed, Trédaniel, 2007, p.19

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Annabelle Péclard est psychologue du  travail et co-directrice du Cabinet Didisheim.

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