Berne (ats) L'initiative "Pour un revenu de base inconditionnel" vise à permettre à l'ensemble de la population de mener une existence digne et de participer à la vie publique. Le Conseil fédéral partage cet objectif. Mais le système social actuel, qui a fait ses preuves, doit être préservé, a plaidé le ministre de l'intérieur Alain Berset à Berne devant les médias.
Fait positif, l'initiative a permis d'ouvrir un débat essentiel sur le travail et sa valeur au sein de la société. "Mais maintenant, c'est du sérieux, il s'agit de voter, et cette idée n'est tout simplement pas réaliste", a estimé le socialiste.
Le texte prévoit d'obliger la Confédération à instaurer un revenu de base versé sans contrepartie à tout le monde, dès la naissance. Les initiants évoquent le versement d'un montant de 2500 francs par mois aux adultes, tandis que les enfants et les jeunes jusqu'à 18 ans toucheraient 625 francs par mois.
Avec un tel revenu, les personnes qui gagnent moins ou à peine plus n'auraient plus de raison de travailler, critique le gouvernement. C'est le cas des travailleurs à temps partiel, majoritairement des femmes.
Il s'ensuivrait une diminution de la main-d'oeuvre, notamment qualifiée. Avec pour conséquence un affaiblissement de l'économie suisse, des délocalisations et, sans doute, une augmentation du travail au noir, craint le Conseil fédéral.
208 milliards par an
Sans compter que les besoins de financement de ce revenu de base seraient considérables. Des économies ou des hausses d'impôts massives seraient inévitables, estime-t-il.
En s'appuyant sur les chiffres des initiants et les données de l'année 2012, la Confédération a calculé un coût total de 208 milliards de francs par an. Une grande partie pourrait être couverte par des prélèvements sur les revenus d'une activité lucrative et la réaffection des prestations de sécurité sociale. Mais il faudrait encore combler un trou de 25 milliards.
Une taxe sur les transactions financières, comme l'ont proposé les initiants, serait facilement contournable. Les sociétés passeraient par d'autres places financières que la Suisse, a noté le conseiller fédéral.
Pour Alain Berset, ce serait d'ailleurs une expérience risquée que d'introduire un tel système dans un seul pays. "Nous sommes au coeur de l'Europe, ouvert à la circulation des personnes. Qui aurait accès à ce revenu, sous quelles conditions?"
Pas une simplification
Contrairement à ce qu'annoncent les initiants, l'introduction d'un revenu inconditionnel ne permettrait pas de simplifier le système de sécurité sociale suisse. "Dans bien des cas, les personnes fragilisées ont besoin d'un suivi spécialisé plus coûteux que les 2500 francs prévus", a argumenté M. Berset.
Le revenu de base ne pourrait donc pas simplement remplacer l'actuel système des assurances sociales, fruit d'une lente et pragmatique évolution au cours des décennies. Il s'ajouterait à ce dernier, rendant la situation plus compliquée.
Rôle intégrateur
Le filet de sécurité des assurances sociales est soutenu par les efforts des cantons. Or, ceux-ci pourraient être très réticents à s'engager davantage pour un système plus complexe et plus cher pour eux, a illustré la conseillère d'Etat fribourgeoise et vice-présidente de la Conférence des directeurs cantonaux des affaires sociales Anne-Claude Demierre.
Et les deux socialistes de plaider pour le rôle intégrateur du travail. "Il n'est pas qu'un gagne-pain, il structure fortement nos sociétés. On peut ne pas apprécier cet état de fait, mais on ne peut pas simplement le changer par décret", a insisté Alain Berset.
Numérisation du travail
Pointée du doigt par les initiants, qui estiment qu'il n'y aura bientôt plus assez de travail pour tous, "la numérisation du travail est une réalité et un défi", admet M. Berset. Mais nos sociétés ont toujours su s'adapter, par exemple aux révolutions industrielles ou à l'automatisation du travail.
Ce qu'il faut, c'est préserver une bonne politique de formation et une assurance chômage efficace pour faire face aux périodes plus difficiles, a conclu le socialiste. Mais pas introduire un changement total de paradigme.