Luxembourg (ats/reu/afp) Antoine Deltour, à l'origine du scandale LuxLeaks, écope de 12 mois de prison avec sursis, et son ancien collègue Raphaël Halet de 9 mois avec sursis. Le jugement a été prononcé par le président du tribunal de Luxembourg, Marc Thill, à l'issue d'un procès symbolique pour les défenseurs des lanceurs d'alerte.
Les deux hommes voient leur condamnation assortie d'une amende avec sursis: 1500 euros pour Antoine Deltour et 1000 pour Raphaël Halet. Le journaliste de France 2 Edouard Perrin a quant a lui été acquitté de toutes les charges retenues contre lui.
Il avait utilisé dans un reportage en 2012 les données fournies par les deux comptables. Elles révélaient les pratiques fiscales décriées du Grand-Duché.
Un euro symbolique pour PwC
Le cabinet d'audit PwC, qui s'était constitué partie civile dans ce procès, a obtenu un euro symbolique de dommages et intérêts. Le procès s'est déroulé en avril et mai. Le parquet avait requis 18 mois de prison, éventuellement avec sursis, contre Antoine Deltour et Raphaël Halet.
Lors du procès, le tribunal a entendu des témoignages sur la manière dont Antoine Deltour avait copié les documents grâce à une faille de sécurité dans les serveurs de PwC. Selon le ministère public, les données et documents fournis par M. Halet ont été utilisés par le Consortium international des journalistes d'investigation (CIJI) lors des révélations baptisées "LuxLeaks" en novembre 2014.
"Dormez tranquilles"
Lors des plaidoiries, la défense avait demandé l'acquittement pur et simple des prévenus, qui avaient affirmé avoir servi l'intérêt général. L'avocat de Raphaël Halet, Bernard Colin, avait indiqué avant le jugement que son client ferait appel "même pour une condamnation à un euro".
Antoine Deltour, 31 ans, et Raphaël Halet, 40 ans, étaient présents dans la salle du tribunal. Ils ont 40 jours pour faire appel. William Bourdon, l'un des avocats d'Antoine Deltour, a estimé que ce jugement était "scandaleux" et que la justice luxembourgeoise avait adressé aux multinationales le message: "dormez tranquille".
L'organisation anti-corruption Transparency International a aussi déploré ces condamnations. Dans un communiqué, elle a fait valoir que "les révélations d'Antoine Deltour et Raphaël Halet relèvent de l'intérêt général" et que les lanceurs d'alerte "devraient par conséquent être protégés".
Enfin le syndicat français Ugict (ou CGT des cadres) a dénoncé "l'hypocrisie" des condamnations des lanceurs d'alerte de l'affaire LuxLeaks. L'Ugict a rappelé qu'Antoine Deltour a été, pour ces mêmes révélations, décoré du prix du citoyen européen par le Parlement européen.
Généreux Luxembourg
MM. Deltour et Halet étaient poursuivis pour vol, violation du secret professionnel, divulgation de secrets d'affaires et fraude informatique. Les deux anciens employés au Luxembourg de la firme d'audit PwC avaient fait fuiter près de 30'000 pages confidentielles issues de l'entreprise.
Ces documents détaillaient 548 "rescrits fiscaux" (ou "tax rulings"), soit des accords fiscaux passés entre un Etat et des multinationales. Ces rescrits fiscaux avaient été généreusement accordés par l'administration luxembourgeoise et négociés par PwC pour le compte de ses clients. Ils concernaient plus de 350 sociétés.
Les documents des LuxLeaks montraient comment des compagnies comme Pepsi, AIG et Deutsche Bank avaient passé des accords secrets avec le Luxembourg pour réduire leurs contributions fiscales. Ces accords d'optimisation fiscale ont été conclus lorsque Jean-Claude Juncker, aujourd'hui président de la Commission européenne, était Premier ministre du Grand-Duché (1995-2013).