Espace de travail

«Alterner open space, zones de pause et espaces isolés»

Stratège en environnement de travail depuis plus de 30 ans, Clark Elliott conseille les plus grandes organisations de l’Arc lémanique. Il détaille sa méthode et répond aux critiques provoquées par la tyrannie de l’open space.

Que fait exactement un «stratège en environnement de travail»?

Clark Elliott: Je conseille les comités de direction sur les besoins de leurs organisations en termes d’environ­nement de travail. Je leur suggère ensuite des transformations et des adaptations afin que leurs stratégies opérationnelles se reflètent dans les espaces de travail.
 

Donnez-nous un exemple concret d’une de vos interventions?

Je suis intervenu récemment au siège européen d’une mul­tinationale de l’Arc lémanique. Pour compenser un manque de place, ils avaient loué une annexe, à dix minutes du siège avec un bail à dix ans. Cent personnes occupaient ce nouvel espace, qui était découpé en batteries de six postes de travail placés nez à nez, sans zones de pause et sans réception. Le personnel menaçait la grève. «Nous sommes les employés d’un siège européen, pas d’un call center!», se plaignaient-­ils.
 

Qu’avez-vous entrepris?

J’ai commencé par supprimer un tiers des places de travail (l’annexe comptait 130 postes de travail, ndlr). Les directeurs ont reçu des bureaux propres et nous avons aménagé un open space pour les équipes. J’ai ajouté une réception et travaillé le branding, avec des logos et quelques éléments de design. J’ai ensuite créé un espace multifonctionnel avec un bar à café, une cuisine et des tables avec une vue sur le lac Léman. Cet espace sert aussi aux réunions informelles. Nous avons égale­ment prévu des espaces pause autour des salles de conférence. Plusieurs collaborateurs s’étaient plaints du bruit et des inter­férences aux alentours de ces salles de séances. Ces nouvelles zones de pause ont permis de protéger les collaborateurs tout en donnant des opportunités d’échanges informels aux per­sonnes participant aux séances.
 

Quels sont les autres avantages des ces nouveaux environnements de travail?

De manière générale, on peut faire plus avec la même sur­face. Il s’agit de mieux organiser les espaces pour répondre aux défis du business. Un environnement du travail adapté attire et fidélise les talents. Cela permet également d’intégrer les nou­veaux collaborateurs plus rapidement.
 

D’autres opportunités?

Il y a des effets sur le middle management. Ces nouveaux espaces les invitent à adopter un style de management plus interactif. Ils deviennent des observateurs et des coachs plutôt que des contrôleurs de gestion.
 

L’environnement de travail influence le style de management, vraiment?

Oui. Cela stimule l’intelligence émotionnelle. C’est aussi une façon de gérer les interactions entre équipes virtuelles et physiques. Dans une organisation avec des équipes dispersées à travers le monde, il faut concevoir les bureaux pour que les équipes aient de meilleures interactions, via des vidéoconférences, mais aussi grâce à davantage de communication infor­melle, qui est de plus en plus recherchée dans les organisa­tions. Un autre avantage de ces nouveaux espaces est de stimu­ler la créativité. Les chercheurs ont montré qu’une bonne idée jaillit très souvent sous la douche à la maison ou lors d’une balade dans la nature. Beaucoup moins souvent quand vous êtes enchaîné à un bureau «cage à lapin».
 

Quels sont les risques au moment de transformer des locaux ?

Le pire serait d’imposer un nouvel environnement sans s’enquérir des besoins. Ces changements sont assez drama­tiques et doivent donc être adressés avec un vrai processus de changement. Beaucoup de communication et si possible de la formation.
 

Quels types de formation?

Je propose une approche holistique. L’objectif est d’introduire toutes les équipes aux techniques de travail mo­dernes. Travailler en 2015 cela veut dire plus de mobilité, des bureaux partagés, moins de papier, d’être connecté plus ou moins en permanence grâce aux portables, d’utiliser non seu­lement les e­mails mais aussi des chats ou du «instant messa­ging» via l’intranet, des «sharepoints» pour le partage des do­cuments. Cette utilisation de la technologie implique du coa­ching. Ce n’est de loin pas toujours le cas. Je connais plusieurs organisations qui ont introduit ces nouveautés sans même briefer les collaborateurs. En agissant ainsi, vous forcez les équipes à quitter leur zone de confiance et tout à coup, les conflits deviennent personnels. Il faudrait au contraire expliquer les raisons opérationnelles derrière ces changements, soutenir les gens et montrer les résultats possibles. Cette éta­pe est très importante.

Le management et les leaders d’opinion sont des leviers importants dans ce processus, dites-vous. Qu’attendez-vous d’eux ?

Ils sont une source d’information importante pour comprendre le fonctionnement de l’entreprise.
 

Il faut donc qu’ils soient francs et honnêtes avec vous?

Oui. Je compte sur eux pour faire remonter les interrogations et les peurs. Conduire le change­ment implique de comprendre l’état d’esprit des gens, la vision de la direction générale, de cerner les peurs et les angles morts pour ensuite soula­ger ces craintes. Mon approche est très terre à terre. J’essaie de remettre l’être humain au centre de ces quatre cercles: les processus, la vision ma­nagériale, la technologie et l’espace physique.
 

Et vous comptez sur les managers pour fédérer et convaincre...

Oui, les managers sont là pour vendre notre solution. Je leur donne les ingrédients, mais c’est à eux d’aller sur le terrain pour créer de l’enthousiasme. En général, cela fonctionne à merveille.
 

De votre côté, qu’apportez-vous concrètement dans ce processus?

Cela fait plus de trente ans que je suis dans le métier, donc j’apporte beaucoup d’expérience. Je suis un bon observateur. Mon radar interne me permet de déceler les besoins ou les dysfonction­nements. Parfois, ces manquements peuvent se résoudre très facilement. Un manque de commu­nication se résout souvent par la création de coins informels, des zones avec une machine à café, une table mange­debout, des canapés. Ces endroits favorisent les échanges.
 

Une fois les locaux aménagés, combien de temps faut-il compter pour que les collaborateurs les adoptent?

Il faut compter six à huit semaines pour pas­ser d’un bureau fermé vers un open space.
 

L’open space est très critiqué, que répondez-vous à ses détracteurs?

Oui c’est juste, l’open space mal conçu cause des problèmes: les nuisances sonores causées par une trop forte densité de collaborateurs sur une surface. L’open space est trop souvent vu comme un moyen d’économiser de l’espace. Il devrait avant tout être conçu pour la collaboration et les échanges. On estime qu’environ 40 pour cent du temps de travail exige de la haute concentration ou de la confidentialité. Pendant ces séquences, il faut des espaces fermés et isolés du bruit. D’autres activités comme le traitement des e­mails ou la rédaction d’un rapport peuvent très bien se faire depuis la maison. Il faut donc offrir une multipli­cité d’espaces et de possibilités: du travail en home office, des espaces d’interactivité et des endroits isolés et feutrés.
 

L’open space répondrait donc aux besoins de notre économie moderne?

Oui. A la fin du XIXème siècle, le travail, essen­tiellement industriel, était organisé comme une chaîne linéaire entre la matière brute qui entrait d’un côté de l’usine et le produit fini qui ressortait de l’autre. Cette idée du travail à la chaîne fut transposée dans les bureaux, avec l’apparition de notre économie de service au milieu du XXème siè­cle. L’arrivée des nouvelles technologies a complétement bouleversé ces manières de faire. Aujourd’hui, l’organisation du travail est plus complexe que linéaire. Ces transformations sug­gèrent donc une mutation des environnements de travail.
 

Parlez-nous des coûts de ces transformations?

La question des coûts doit être appréhendée dans son ensemble. En transformant les espaces, nous allons faciliter les activités, enlever les sour­ces de stress et traiter les dysfonctionnements. Ces transformations vont potentiellement dimi­nuer les coûts, ou en tout cas les maintenir à un niveau stable.
 

Mais ces transformations impliquent tout de même un investissement?

Oui. Ce serait faux de dire que ces transforma­tions vont uniquement permettre de réduire les coûts. Il faut investir et s’attendre à un retour sur investissement global.
 

Un exemple?

La transformation d’une multinationale a coûté environ huit millions de francs, avec un retour sur investissement total après une année.
 

Un retour d’investissement total?

Oui. La fermeture d’une annexe et donc la fin du bail à loyer, le rapatriement des équipes vers le siège qui a été complètement transformé et l’introduction du travail flexible et nomade. Et il faut aussi mentionner les effets sur le turnover, sur la rétention des talents, la baisse du présentéisme et l’économie en une année de centaines d’heures perdues pour trouver des salles de réu­nions disponibles.
 

Clark Elliott

Il conseille les multinationales et les grandes entreprises européennes sur les transformations de leurs environnements de travail depuis plus de 30 ans. Américain d’origine, Clark Elliott a étudié la psychologie sociale à l’Université de Pennsylvanie et le design environnemental à la «Parsons The New School for Design» de New York. Etabli à Genève depuis 1984, il a
introduit le premier environnement de travail flexible en Suisse à Zurich en 1996. Il a notamment réaménagé les sièges européens des sociétés Compaq et Medtronic, les sièges suisses d’Oracle et de PwC ainsi que de l’organisation non gouvernementale UNICEF et l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. www.clarkelliottconsulting.com

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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