«Beaucoup se tournent vers l'enseignement dans la deuxième partie de leur vie»
Directeur du Collège Champittet à Pully depuis dix ans, Philippe de Korodi analyse ici ses défis RH et la culture «humaine» dont il essaie d’imprégner son institution.

Philippe de Korodi, directeur du Collège Champittet à Pully. (Photo: DR)
Le Collège Champittet compte 220 employés. Quels sont vos arguments pour attirer des talents?
Philippe de Korodi: Le sens de notre activité. Quand vous avez la charge de 770 jeunes esprits dont la promesse est de créer un monde meilleur, le sens de l’activité est profond.
Comment mesurer cet impact positif sur le monde?
Nous gardons le contact avec nos anciens élèves et nous constatons leur développement. Nous travaillons aussi beaucoup sur l’accomplissement personnel, avec des résultats clairs. J’ajouterai que cette préparation de la relève est fédératrice pour le personnel de Champittet. Tout le monde entre dans le jeu: le comptable, la spécialistes RH, les chauffeurs… Nous partageons tous ce sens profond et unique.
Ce sens est-il perçu de manière si positive par le personnel enseignant?
En règle générale, oui. Beaucoup de personnes se tournent vers l'enseignement dans la deuxième partie de leur vie. Elles sont à la recherche de sens et veulent contribuer à la société. Cela dit, nul besoin d’attendre une mid-life crisis pour entrer dans cette voie. L’enseignement est un métier bien plus complexe et passionnant qu’on l’imagine de l’extérieur.
Vous insistez sur la qualité des relations humaines, sur l’authenticité. Pourquoi?
Avant d’être des pédagogues qui enseignent, qui préparent aux examens, nous devons établir des relations humaines fortes et de qualité avec les jeunes. C’est la condition sine qua non de l’enseignement. Je ne crois pas du tout à la formation à distance ou grâce à l’IA. L’école est un lieu de culture et de dialogue. Le rôle de la direction est de clarifier les valeurs qui encadrent cette vie en commun. Les enseignants ne sont pas des robots qui doivent accomplir des processus définis. Ils et elles ont certes des objectifs à atteindre mais disposent de beaucoup d’autonomie dans la manière d’y arriver. L’école est aussi un lieu d’émotions, car forcément, quand vous traitez avec des êtres humains, cette dimension émotionnelle est omniprésente.
Comment décririez-vous votre rôle de directeur?
En entrant en fonction, j’ai été frappé de la variété des tâches et du caractère pointu des compétences exigées. Les parties prenantes sont multiples: les élèves, les familles qui nous confient ce qu’ils ont de plus précieux, les collègues, les anciens étudiants, la hiérarchie… Avec toutes ces interactions, le leadership distribué est essentiel. Impossible de tout contrôler. Au contraire, il faut empuissancer les gens et les encourager à prendre des responsabilités.
Comment voyez-vous votre responsabilité envers la société au sens large?
Les guerres en Ukraine et au Moyen-Orient, les turbulences politiques aux Etats-Unis, le réchauffement climatique, l’avenir de notre AVS, l’intelligence artificielle… tous ces sujets sont importants dans une école. La société attend de nous d’éclairer les jeunes sur ces thématiques et de développer leur esprit critique.
Vous encouragez vos collaborateurs•trices à «sortir de leur fonction». Qu’entendez-vous par là?
Dans la mesure du possible, nous encourageons les personnes qui ont une passion à la réaliser. Nous avons par exemple lancé une radio numérique et une saison culturelle, avec des musiciens et chanteurs de niveau mondial qui viennent sur le campus donner des concerts. Autre exemple: notre DRH Agnès Gabirout a choisi d’enseigner à nos jeunes les fondamentaux de LinkedIn et l’art du CV. Nous venons aussi d’engager une jeune secrétaire académique de 25 ans pour travailler sur des projets humanitaires de la Fondation Champittet.
Quel est votre premier défi RH ?
Identifier et nommer des managers de proximité. Des directeurs et des professeurs nous en trouvons, mais ces cadres de proximité, c’est plus difficile. Cela implique d’identifier les personnes avec du potentiel, d’adapter leur cahier des charges, de leur donner des consignes claires, du soutien et toute notre confiance afin qu’ils prennent ces rôles de premier niveau de responsabilité.
Votre deuxième défi RH?
La formation continue des enseignants. A mon avis, un professeur devrait aussi être considéré comme apprenant. La société évolue en permanence, avec un flot continu de nouveautés, de découvertes, de nouvelles technologies… Mon défi est de donner suffisamment de temps et de ressources au personnel enseignant afin qu’il puisse se former en permanence.
Devez-vous faire face à des enjeux de santé mentale?
C’est un gros sujet dans toutes les écoles, exacerbé par la pandémie, mais qui était déjà largement présent avant 2020. La santé mentale affecte tout le monde à différents degrés. Parmi les remèdes, au lieu de se focaliser sur les symptômes, avec des psychologues et des coachs, il faudrait initier un dialogue social pour en identifier les causes. Celles-ci sont multiples: pression sociale/familiale sur les résultats, moins de contact avec la nature et l’ouverture au monde que donne les réseaux sociaux. Cette ouverture est très bien en soi mais elle expose aussi nos jeunes à de la pornographie, de la violence et des actes d’imbécilité. Cela ne peut qu’avoir un effet délétère sur l’esprit humain. Je constate aussi une forme de narcissisme, où l’avis personnel devient la mesure de toutes choses. Si je n’aime pas quelque chose, mon avis ne doit pas obligatoirement être partagé collectivement. Tout cela mène à une crise de santé mentale.