Droit du travail

Comment gérer les conflits

Comme tout microcosme, l’entreprise est nécessairement le lieu de rencontre de nombreuses personnes présentant des aspirations, des idées et des ressentis parfois très divergents; l’employeur peut y voir une saine émulation, mais il s’agira en réalité plutôt d’un terrain miné, dans lequel 
la jurisprudence lui impose certaines obligations. 

Le conflit interpersonnel met en présence deux personnes au moins dont les volontés s’affrontent avec une certaine intensité: tout désaccord entre les idées exprimées par deux individus n’est pas encore un conflit. La notion de conflit est éminemment subjective, avec ce corollaire que le conflit n’existe pas si les parties prenantes ne le perçoivent pas comme tel. Le concept ne doit pas être confondu avec celui de mobbing, même s’il peut en être un signe annonciateur.
 
L’article 328 al. 1 CO impose à l’employeur de prendre des mesures préventives pour protéger ses employés et leur assurer un cadre de travail sûr, qui respecte leur personnalité.
 
L’employeur doit donc mettre en place des moyens auxquels pourront recourir ceux qui s’estiment victimes d’un conflit. Cette obligation est réitérée dans le cadre de l’art. 328 al. 2 CO, qui vise expressément les atteintes à la santé, et à l’art. 6 LTr.
 
En l’état actuel de la jurisprudence, le Tribunal fédéral a considéré que tout conflit mal géré peut porter atteinte à la santé des employés; ainsi, les employeurs ont le choix de désigner une personne de confiance hors hiérarchie dans ou à l’extérieur de l’entreprise, qui pourra traiter les problèmes en toute confidentialité, ou de prévoir un système de gestion des conflits équivalent qui assure le même niveau de protection.
 

Les moyens de prévention

Partant du principe qu’on ne peut prévenir que ce que l’on connaît, l’employeur devra dans un premier temps identifier les risques, variables au cours du temps: on tiendra compte de la personnalité des collaborateurs et des épreuves que d’aucuns traversent, des pressions financières, d’une compétition plus ou moins vive au sein d’une même unité ou entre les départements, de l’incertitude liée à des changements fréquents dans l’organisation.
 
Dans un deuxième temps, après avoir au besoin remis en question le fonctionnement de l’entreprise, l’employeur communiquera ce qu’il attend de ses collaborateurs en matière de comportements admissibles et non discriminants. Cette communication, qui relève du pouvoir d’instruction de l’employeur au sens de l’art. 321d CO, définit le climat de travail attendu; elle est de même nature que celle qu’il aura pris la précaution d’édicter en matière de harcèlement sexuel sur la base de l’art. 4 LEg. Si les directives de l’employeur s’adressent à tous les collaborateurs dans la mesure où elles visent l’attitude et l’état d’esprit requis, elles touchent plus particulièrement les cadres, à qui il incombe dès lors en première ligne de désamorcer les conflits: leur formation dans ce domaine ne doit pas être négligée.
 

Une fois que le conflit s’installe

Ni la loi ni la jurisprudence ne donnent le mode d’emploi de la gestion d’un conflit existant. Le choix des moyens n’est pas sans lien avec le différend installé. A cet égard, il peut être capital de connaître l’origine du conflit pour déterminer les bons moyens d’y remédier: en effet, l’employeur n’agira pas de la même manière si on se trouve dans un cas de recherche de reconnaissance, de «simple» divergence d’opinions, d’une impossibilité de se faire entendre, ou si la source du problème est la jalousie que se vouent deux collaborateurs. Là aussi, le pouvoir d’instruction de l’employeur lui permettra de décider de la manière dont il entend régler le conflit: entre le déplacement d’un collaborateur et son licenciement, la palette est variée. Elle passe notamment par des entretiens avec les personnes intéressées, une formation ou un coaching, un avertissement, une procédure de médiation, la saisie d’une cellule d’aide à la résolution des conflits, voire une
véritable enquête. L’employeur doit se garder de recourir trop rapidement au licenciement: selon la jurisprudence, le congé donné pourrait présenter un caractère abusif si toutes les mesures qu’on pouvait légitimement attendre n’ont pas été prises pour désamorcer un conflit même dû au caractère difficile d’un employé ou qui nuit au travail commun. Les exigences jurisprudentielles sont encore plus élevées pour licencier un collaborateur âgé. Dans tous les cas, il s’écoulera un temps certain, parfois très dommageable pour le climat de travail et le reste des équipes.
 

Quelles conclusions en tirer?

L’existence d’un conflit est très généralement préjudiciable pour l’entreprise, car elle monopolise les forces de deux ou plusieurs collaborateurs et affecte leur capacité de travailler au mieux des intérêts de l’employeur; le risque d’une généralisation n’est pas négligeable. Pour la bonne marche des affaires, une solution rapide est à privilégier, qui passera parfois par la mise à pied du ou des protagonistes. Il est souvent judicieux de passer avec le collaborateur dont on souhaite se défaire une convention de départ, même si on doit l’indemniser à hauteur de ce qu’il aurait gagné pendant la procédure de recherche de solutions. En procédant ainsi, l’employeur évite le risque de voir une autorité judiciaire lui reprocher de n’avoir pas pris toutes les précautions nécessaires ou d’encourir des sanctions administratives de l’inspection du travail. On réserve le cas, toujours exceptionnel, où le collaborateur devrait être licencié avec effet immédiat, hypothèse dans laquelle une indemnisation n’a pas lieu d’être. Il faut toutefois garder en mémoire la jurisprudence selon laquelle l’employé qui a été maltraité bénéficie d’une certaine protection: l’employeur qui laisse une situation de conflit se créer et s’envenimer porte une part de responsabilité dans les débordements ultérieurs de son collaborateur. Quelles que soient les mesures qu’il prend, l’employeur aura intérêt à les documenter et à les verser au dossier personnel des collaborateurs concernés: c’est ainsi qu’il se protégera efficacement.
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CS

Christine Sattiva est avocate au cabinet Sattiva – Gétaz Kunz à Cully. Elle est spécialiste FSA en droit du travail, vice-présidente du tribunal des prud’hommes de l’administration cantonale, chargée de cours à l’UNIL. Lien: avocates-lavaux.ch

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