Débat

Comment mieux intégrer les personnes neuro-atypiques en entreprise?

Trois spécialistes donnent leurs conseils pour créer des environnements de travail plus inclusifs où les personnes neuro-atypiques (HPI, TDAH, hypersensibles, multipotentiels, TSA) peuvent exprimer leur vrai potentiel. 

Sabrina Brouillard est coach professionnel ICF (International Coaching Federation), spécialiste des entrepreneurs et des dirigeants aux profils neuro-atypiques ainsi que des jeunes adultes (18-30 ans), TEDxSpeaker et fondatrice de «Impacte Ton Devenir». 

«Les personnes neuro-atypiques (HPI, TDAH, hypersensibles, multipotentiels, TSA,...) se distinguent par un fonctionnement cognitif différent de la norme majoritaire. Il n’y a pas de profil type, mais une diversité de façons d’incarner sa neuro-diversité. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas une pathologie! Quoi qu’il en soit, leur intégration reste difficile, souvent par peur de la différence liée à des croyances limitantes, à une méconnaissance de leur mode de fonctionnement et aussi au fait que certaines personnes neuro-atypiques ignorent elles-mêmes leur singularité ou choisissent de la dissimuler derrière un «faux-self», pour mieux se fondre dans la masse, par crainte du rejet ou de la stigmatisation. Dans un monde incertain, face à la révolution de l’IA et à l’accélération des changements, les entreprises doivent sans cesse se réinventer et changer de paradigme. Comme disait Albert
Einstein: «On ne peut pas résoudre un problème avec le même mode de pensée que celui qui a généré le problème.» Or, ces personnes ont les compétences dont les entreprises ont besoin. Elles possèdent en effet des qualités majeures, véritables leviers de performance sociale et économique pour les organisations: pensée en arborescence, vision, intuition, innovation, agilité intellectuelle, créativité, réflexion «hors du cadre», empathie, loyauté et engagement. Recruter et valoriser les personnes neuro-atypiques représente par conséquent un enjeu stratégique. La reconnaissance de la diversité cognitive en entreprise doit se traduire par une politique volontariste d’inclusion des personnes neuro-atypiques et un soutien au plus haut niveau de l’entreprise. Lors du dernier HR Barcamp à Lausanne où j’ai animé un atelier sur cette thématique, des premières pistes ont été évoquées pour une intégra tion réussie: sensibiliser et former les managers et les RH à leurs spécificités afin d’adapter l’encadrement, mettre en place des processus de recrutement et d’onboarding adaptés, encourager la communication et la compréhension mutuelle entre tous les acteurs de l’entreprise, aménager l’environnement et le temps de travail pour prendre en compte leur fonctionnement. Si on va plus loin, inventer une gestion de carrière adaptée aux profils non standards leur permettrait de trouver leur place et d’exprimer l’étendue de leur potentiel. De même, les faire accompagner par un coach spécialiste de ce sujet les aiderait à s’accepter et à vivre pleinement leur singularité au service de leur réussite professionnelle.» 

Olivier Hersent est un entrepreneur et ingénieur français, pionnier des technologies IoT et télécoms. Fondateur de Netcentrex (voix sur IP) puis de Actility, leader mondial des réseaux IoT et un des inventeurs du standard LoRaWAN. Visionnaire engagé, il œuvre à une transformation numérique durable et souveraine. 

«Évite l’entreprise ou la politique», me dit un jour le préfet des études de Ginette, une célèbre classe préparatoire parisienne. Hyper-empathique, je semblais mal armé pour défendre mon territoire face aux caractères agressifs et manipulateurs, trop souvent synonymes de réussite dans ces milieux. Pourtant, sorti membre d’un élitiste corps de fonctionnaires de l’École polytechnique, j’étais destiné à la haute fonction publique ou à un grand groupe. Entré chez France Télécom, je ressentis immédiatement une gêne chez mes managers, car ils savaient que, tous les trois ans, je gravirais les échelons automatiquement. Mes grands anciens, souvent arrogants, se retranchaient derrière des portes capitonnées anachroniques. Ces jeux sociaux n’étaient en effet pas pour moi. Je m’échappais vers la recherche, puis la création d’entreprise, où j’aurais toute liberté d’expérimenter un management empathique. Environ 10% des salariés sont «atypiques»: souvent hypersensibles, parfois reclus et isolés, parfois si sur la défensive qu’ils peuvent devenir agressifs. L’un, paranoïaque, déclara un matin «vouloir me tuer», persuadé que j’avais rejoint la conspiration qui le poursuivait. Mais tous ont pu être intégrés, grâce à un dialogue sincère, patient et constant, et contribuer au succès commun avec leurs talents singuliers. Les pervers narcissiques restent l’exception... Ceux-là, qui jouissent des déboires des autres et s’attribuent leurs succès, sont un poison pour le management empathique — et j’avoue n’avoir pas trouvé l’antidote. Je les retrouve trop souvent, hélas, chez mes clients, souvent poussés dans les fonctions périphériques de grands groupes, où ils peuvent sévir auprès de sous-traitants et fournisseurs.» 

Anne-Françoise Vuilleumier est la fondatrice et directrice de talentmatch, entreprise experte dans le recrutement, coaching et conseil spécialisé dans les profils (neuro) atypiques. 

«On parle souvent «des» personnes neuro-atypiques, en oubliant qu’il existe une grande diversité de profils et de fonctionnements. En effet, les réalités d’Isabelle, ingénieure haut potentiel (HP) – pensée ultra-rapide, quête de sens et de défis –, de Marc, analyste sur le spectre de l’autisme (TSA) – précision chirurgicale, besoin de repères et d’éviter la pause-café – et de Léa, graphiste avec un déficit de l’attention et de l’hyperactivité (TDA/H) – créativité contagieuse, gestion de l’énergie en dents de scie – diffèrent autant qu’elles complètent une équipe. À elles trois, ces trajectoires montrent qu’une bonne intégration, c’est avant tout comprendre comment collaborer avec la personne pour créer les conditions où son potentiel pourra s’exprimer pleinement. Quelques exemples d’éléments concrets. Cela commence par recruter en s’intéressant à l’essentiel: privilégier l’évaluation des compétences en situation réelle plutôt que la capacité à répondre aux questions lors de l’entretien ou la quantité de diplômes; clarifier: communiquer les attentes, définir les délais, dire les choses de manière explicite, permettre à la personne d’expliquer son mode de fonctionnement; choisir la bonne manière de collaborer: certaines personnes ont besoin d’un processus défini et structuré, d’autres performent avec un objectif et un cadre clairs, puis la liberté de choisir leur méthode; offrir de la flexibilité: ajuster la place de travail en cas d’hypersensibilités sensorielles, proposer des lieux et des horaires de travail flexibles permettant de gérer les excès de stimuli ou les pics de productivité; et sensibiliser: outiller les managers pour permettre à ce vivier de talents de libérer leur plein potentiel. Créer les conditions pour que chaque personne soit à la bonne place, c’est-à-dire là où son mode de fonctionnement devient une vraie force, repose souvent sur des ajustements simples, mais pertinents. Et c’est souvent là que la différence se joue, pour la personne comme pour l’entreprise!» 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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