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Des stratégies durables dans la lutte contre la pénurie de travailleurs qualifiés

La guerre des talents est de retour sur le devant de la scène. Panorama d'initiatives innovantes pour sortir gagnant de cette bataille.

Entreprises et employeurs se plaignent d’une pénurie considérable de travailleurs qualifiés. La recherche des profils les plus performants donne lieu à une compétition très ouverte sur le marché du travail. Les entreprises font preuve d’initiatives et de créativité de toute sorte pour attirer les talents. Les jeunes sont la cible de campagnes qui souvent à défaut de s’inscrire dans une stratégie d’employeur durable, sont perçues comme sensationnalistes. Nous souhaitons aujourd’hui focaliser sur la notion de durabilité en matière de stratégie d’employeur.

L’exemple de l’Allemagne est intéressant. Dans notre pays voisin au Nord, les employeurs souffrent de la pénurie de travailleurs qualifiés depuis un certain temps. La situation est moins critique en Suisse grâce à l’immigration. En Allemagne en revanche, cette situation a donné lieu à de nombreuses initiatives. Chaque année, le Prix d’excellence en RH récompense un grand nombre de campagnes plus accrocheuses les unes que les autres. Voici quelques exemples:

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Ces offensives connaissent désormais un boom en Suisse. Comme en Allemagne, elles ressemblent plus à des opérations de charme qu’à des stratégies pour pallier à une pénurie de travailleurs qualifiés, qui elle, s’annonce durable.

Une analyse plus holistique et approfondie des besoins ainsi que des préférences des employés serait très utile. On remarquera que les critères avancés dans les études sur la marque employeur sont toujours les mêmes: rémunération équitable, atmosphère de travail agréable, équilibre vie professionnelle et vie privée, sécurité de l’emploi, horaires de travail flexibles, contenu de poste intéressant, opportunités de développement, perspectives d’avenir et, surtout, sens du travail pour la jeune génération et entreprise responsable. Ceux qui mettent ces points en avant s’en sortent bien.

La crise sanitaire et l’accélération du travail 4.0 suscitent pourtant de nouveaux intérêts. La flexibilité est devenue un critère important en matière d’organisation, de choix du lieu, du temps et des conditions de travail et d’attrait pour le contenu d’un poste. La jeune génération est d’ailleurs bien plus préoccupée par des questions individuelles que par l’environnement général offert par l’entreprise. Ils choisissent prioritairement leur employeur en fonction de leurs besoins. L’activité de l’entreprise, la culture et la situation des autres employés sont des éléments secondaires. En ce sens, la PVE (Proposition de Valeur Employeur) se démarque de la marque employeur dans ce qu’elle offre. Mais peut-on durablement opérer de la sorte? L’expert Markus Weishaupt relativise cette approche conventionnelle dans un article publié par WEKA et met en avant quelques critères intéressants.

Succès et excellence: Les êtres humains préfèrent appartenir au groupe des gagnants. La réussite de l’employeur sur le marché est donc centrale. Succès économique et rayonnement sur le marché sont des aspects importants. L’employeur doit être reconnu pour son excellence, source de fierté et de motivation pour les employés. Pour beaucoup d’entre eux, le succès de l’entreprise prime sur la culture ou le sens. C’est un aspect souvent mal compris.

Goût du défi: Les employés les plus performants recherchent le défi. Dans une période où l’on prête attention à l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle et à l’autonomie, le bore-out (ennui) représente un risque bien plus élevé que le burn-out (épuisement professionnel). Les employés en recherche de reconnaissance et d’admiration ont besoin de tâches complexes, mais aussi de flirter avec leurs limites. Ce sont des facteurs de motivation. La formule du bien-être au travail réside dans la capacité à combiner un niveau d’exigences et de compétences.

Sélection: Participer aveuglément au concours du «qui offre les meilleures Olympiades» semble risqué. La PVE doit s’inscrire dans les valeurs de l’entreprise de façon raisonnable et intégrée, plutôt que de chercher à répondre à toutes les demandes individuelles. Les employés continueront à quitter délibérément l’entreprise, il faut l’accepter. Une PVE forte et cohérente, quant à elle, permet d’attirer les talents et de les fidéliser.

Appréciation: Dans les entreprises, les employés entrent et les managers sortent. Les fluctuations les plus importantes se situent au niveau des cadres. La culture managériale est donc clé. L’appréciation n’est pas une technique managériale. C’est une attitude intérieure. Il est donc crucial de nommer aux postes clés les personnes qui font preuve d’empathie, d’équité et qui dégagent une énergie positive.

Liberté de parole: Les employés réclament le droit de s’exprimer. Les employeurs devraient aller beaucoup plus loin et imposer aux employés de s’exprimer. L’engagement est le résultat d’une expression libre. Chaque employé devrait pouvoir partager ce qu’il aime, n’aime pas, ce qui fonctionne, ne fonctionne pas et confronter si besoin. L’engagement naît des confrontations saines. Les classements des «meilleurs employeurs» doivent donc être regardés de manière très critique, de même que les critères retenus pour les établir. Ce n’est pas un hasard si, année après année, les mêmes noms figurent dans les classements. Les employeurs doivent s’inscrire pour participer. Cela présuppose l’intention de se mettre en lumière. Les relations publiques l’emportent donc sur l’attractivité réelle de l’entreprise. Les petites entreprises locales y sont peu voire pas du tout représentées et sont considérées comme peu intéressantes dans la perspective d’une comparaison au niveau national. Dans ces classements, on trouve donc des grandes enseignes B2C déjà bien connues des candidats. Les plus petits employeurs à la pointe ne sont donc guère visibles.

De discrets employeurs de choix

Quelques grandes entreprises bien connues n’apparaissent pas non plus dans les classements. Elles ne sont jamais célébrées même si considérées comme des employeurs de choix depuis des décennies. Les salaires n’y sont pas élevés, le travail 4.0 n’est pas développé, on y opère sous des modèles managériaux classiques et ces sociétés sont discrètes sur le marché de l’emploi. Cependant, elles parviennent à convaincre avec d’autres attributs.

Pomoca, Caran d’Ache, Bongénie Grieder, Swatch Groupe, par exemple jouissent d’une excellente réputation, sont très réservés en termes de salaires et de flexibilité du travail. Lorsqu’on les interroge à ce sujet, les dirigeants expliquent cette perception par leur volonté d’être des partenaires fiables, solides et équitables pour leurs employés. Ils se caractérisent par la continuité, la prévisibilité, des valeurs vécues de manière cohérente.

Derrière cela, il y a souvent des familles entrepreneuriales ou des leaders forts, pour qui le sens du devoir et la véritable responsabilité passent en premier. Dans les moments économiquement difficiles, il n’y a pas de licenciement prématuré, les structures perdurent malgré les contextes dynamiques et il y a peu de fluctuations au niveau de la direction. Les employeurs portent les valeurs de loyauté et d’équité. Les employés le leur rendent. La cohérence, la fiabilité, la modestie et la stabilité, combinées à des exigences de performance élevées, et à un leadership solide, semblent être une garantie sur le marché du travail. Les jeunes employés qualifiés sont de plus en plus intéressés par ces marques employeurs parce qu’elles sont synonymes de durabilité, de succès et proposent une direction claire.

Les critères proposés par Markus Weishaupt ne surprennent donc pas. Succès, performance, défis, sélection, appréciation et liberté de parole sont des éléments essentiels qui composent l’attractivité d’un employeur. Ce ne sont ni les stratégies ni le marketing sensationnel qui aideront à faire face à la pénurie de talents, mais bien l’appréciation donnée aux employés, la sérénité avec laquelle l’entreprise aborde les changements et les crises. Tout cela accompagné d’une bonne dose de pragmatisme.

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Texte: Anne Donou

Anne Donou est Directrice Suisse romande chez von Rundstedt & Partner Suisse SA.

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