Portrait

Douée d’une approche psychiatrique du coaching

Etablie à Belmont-sur-Lausanne, Christine Rappaz est une psychiatre reconnue en Suisse romande. Depuis cinq ans, elle s’est mise au coaching. Elle utilise son bagage psychiatrique pour diversifier les points de vue. Et apprécie de travailler avec des cadres supérieurs avant qu’ils ne soient tombés dans la souffrance du burn-out.

Entrer chez Christine Rappaz, c’est comme un voyage vers l’inconscient. Elle vit au-dessus du tunnel autoroutier de Belmont-sur-Lausanne. Mais sa maison est invisible pour les dizaines de milliers d’automobilistes qui passent sous ses fenêtres tous les jours. Entre deux, un mur d’arbres. Juste un petit panneau qui pointe en direction d’un escalier. Puis un couloir de végétation, façon jardin japonais. Sentier soigné. Le gravier grince sous les semelles. Passé un gros bosquet de bambou, s’élèvent les lames en pin d’une paroi rectangulaire. Encore un escalier. Puis la porte. A l’intérieur, une grande baie vitrée ouvre sur le Lac Léman. Au sol, un tapis d’orient rouge foncé occupe toute la pièce. Au mur, une lithographie chinoise représentant les sept vertus capitales selon Confucius. Un bureau, simple et ancien. Et le fauteuil. Genre «Bas les masques» sur France 2. C’est ici que Christine Rappaz reçoit depuis plus de quinze ans. Pour l’entretien, elle prendra le fauteuil. On lui fait remarquer que le fauteuil c’est pour le patient. Elle répond: «Pour moi, une séance ne s’arrête pas après deux heures. Je reçois toute la journée. Le fauteuil est pour moi.» Le ton joyeux et serein. Et pour une fois que ce n’est pas elle qui pose les questions, elle paraît à l’aise. Elle n’a rien à cacher. Rien à prouver. Son bagage de vie lui suffit amplement. 

Elle est psychiatre et psychothérapeute, d’inspiration psychanalytique. Et depuis cinq ans, coach en entreprise. «Je n’aime pas trop ce terme. Il a été galvaudé. J’ai rencontré des gens qui se disaient coach après un changement d’orientation professionnelle et une formation de quelques semaines. Mais les relations humaines, c’est plus compliqué que ça. Je doute qu’un stage de trois semaines suffise pour relever ce genre de défi.» 

Alors pourquoi être devenue coach? «Au fil des ans, j’ai dû ramasser de nombreux managers à la petite cuillère. Quand vous êtes psychiatre, vous recevez des personnes en souffrance. J’ai eu beaucoup de managers au bout du rouleau. Physiquement et émotionnellement. On peut remettre sur pied. Reconstruire. Mais souvent, le mal est déjà fait et la trajectoire déviée à jamais. J’ai voulu remonter le fil. Traiter de ces problèmes en amont. Aller à la rencontre des managers dans leur univers. Leur donner des clés pour éviter le burn-out.» 

Plutôt coach ou plutôt psychiatre? Elle nuance: «La démarche est identique par rapport à la compréhension de l’être humain. Mais dans le coaching, on ne traite pas de pathologie. On est dans la compréhension de l’être humain, dans ses systèmes internes et environnementaux.» Aujourd’hui, trente pour cent de son temps est consacré au coaching. Dans son cabinet, elle reçoit des cadres, des RH et des managers. Mais dit préférer travailler avec les cadres supérieurs. «C’est surtout eux qui en ont besoin. Ils ont des responsabilités, doivent prendre des décisions difficiles et vivent dans un espèce de «no man’s land» de l’entreprise. Entre le conseil d’administration et les collaborateurs. Sans parler des jaloux qui jouent des coudes pour faire tomber celui qui leur a pris leur place», poursuit-elle. Elle compare ses tops managers à des mères de famille. «Je reçois les deux dans mon cabinet. Ils sont confrontés aux mêmes défis. Beaucoup de responsabilités, du stress opérationnel et des collaborateurs qu’il faut sans cesse encadrer vers un objectif commun. Et les deux manquent souvent de reconnaissance.»

Sa reconversion, dit-elle, est aussi due à Pascal Couchepin. En 2006, grâce au Conseiller fédéral radical, une nouvelle ordonnance limite à 10 heures les soins psychiatriques remboursés par les caisses maladies. «Pour les traitements plus longs, nous devons remplir des paperasseries interminables.» La pilule est amère. «Cela fait 20 ans que je soigne des malades dans mon bureau. Ce n’est pas une partie de plaisir. Et on vient nous dire que nous sommes des voleurs.» En colère? Non. Juste une envie de rebondir ailleurs. Et sortir du carcan dans lequel on essaie de l’enfermer. «Je me considère comme une généraliste. Je suis curieuse de tout. Par contre, je déteste le dogmatisme.» D’ailleurs, l’approche psychanalytique de sa profession ne lui suffit pas. Elle préfère multiplier les points de vue. Et enrichir son analyse par d’autres enseignements. Le courant systémique de la psychologie lui paraît incontournable.

Etudiante, mère au foyer, femme médecin, Christine Rappaz découvre à plus de quarante- cinq ans le monde des entreprises. Elle aime la réalité du monde des affaires. Mais face à ces enjeux, elle découvre aussi des équipes en pleine cour de récré. Son diagnostic: «De nombreux employés se comportent comme des enfants. Ils voient dans leur supérieur la figure du père. Ce qui provoque de nombreux conflits de pouvoirs et de couloirs inutiles. Finalement, même en entreprise, c’est très difficile de grandir.» 

Son point d’attache avec le monde des en-treprises, ce sont les ressources humaines. Mais elle trouve que les DRH hésitent trop à intervenir. «Pour un RH, le cadre supérieur est sacré. On y touche surtout pas. A l’inverse, un manager n’ose pas dévoiler ses soucis aux RH. Ce serait un signe de faiblesse. C’est à cause de l’image paternaliste du monde. Le dirigeant doit être super-puissant et capable d’affronter seul toutes les difficultés. S’il craque, c’est qu’il a trop de pression sur les épaules.»

En général, ce sont les RH qui appellent. Parfois, par souci de discrétion, les managers prennent eux-mêmes l’initiative et paient la consultation de leur poche.  «Ma première préoccupation est de clarifier le cadre de la collaboration. Sait-il de qui vient la demande? Que c’est l’entreprise qui paie? Est-il d’acord avec cette situation? On parle aussi de la confidentialité. Puis le travail commence.» 

Les défis sont de tous ordres. Toujours en lien avec les relations humaines. Un conflit entre personnes. Une situation qui s’embourbe et d’autres coachs qu’il faut aller secourir. Parfois, le manager cherche simplement quelqu’un avec qui dialoguer. «Arrivé en haut de la hiérarchie, ils deviennent des grands solitaires. Le coach peut être cet interlocuteur neutre qui permet d’évacuer la pression.» Et comme partout, c’est dans les nuances que tout se joue. Elle prend l’exemple des injonctions paradoxales. «C’est très fréquent. Un patron qui exhorte ses collaborateurs à faire mieux d’un côté. De l’autre, il se moque  du cadre qui a réussi. Ce sont des messages con-tradictoires qui peuvent faire beaucoup de mal». Mais ce qu’elle adore par dessus tout, c’est la promotion de carrières. Passer de la position cadre à responsable d’unité. «Ces situations offrent toute une série de pièges. La personne promue pour ses compétences dures sera-t-elle capable de diriger des équipes grâce à ces «soft skills»? Pourra-t-elle faire face à l’isolement qu’occasionnera sa nomination? Saura-t-elle convaincre ses anciens collègues, devenus entre-temps des concurrents déchus, à travailler tous dans le même sens?» Pour aider, elle puise dans son bagage de psychiatre. «En psychiatrie, on nous forme à la complexité de l’être humain. On sait comment fonctionne l’esprit et quels sont les mécanismes qui se déclenchent dans telle ou telle situation. Mais le plus important, c’est notre capacité à nous mettre à la place des autres. Mon regard n’est pas celui du psy. Je ne m’occupe pas de souffrance. Je suis dans les compétences et la stratégie. Et il ne s’agit pas de manipulation. Tout le problème, c’est la capacité du cadre à s’adapter à son entourage. De mon côté, si je veux lui donner des conseils qui ont du sens, je dois être en mesure de m’adapter à son fonctionnement.» Durée de ses interventions: «C’est très variable. Cela va de cinq à six consultations jusqu’à plusieurs années.»

Amie depuis plus de 30 ans, la créatrice de rezonance.ch Geneviève Morand admire sa largeur d’esprit: «Elle n’appartient à aucune école. Elle a une ouverture à 360°. Elle n’a pas d’a priori méthodologique. Elle est complétement dans la compréhension.» 

Depuis cinq ans qu’elle coache, Christine Rappaz commence à avoir un bagage. Des statistiques? «Non. Pas pour l’instant. Je suis mathématicienne et je sais ce qu’on peut faire dire aux chiffres. Prenez mon cas. Je peux dire que j’ai 100 pour cent de réussite avec les anorexiques. Mais il s’agit de cinq cas seulement avec qui j’ai peut-être eu beaucoup de chance.» Elle dit préférer l’observation sur le terrain. Et assure qu’un questionnaire de satisfaction rempli à la fin de week-end de motivation sera toujours bien noté. «Mais qu’en sera-t-il après trois mois?» 

Elle regrette aussi une certaine psychologisation de la société depuis mai 68. Elle dit: «Les gens n’hésitent plus à mélanger problèmes personnels et professionnels pour expliquer un dysfonctionnement. C’est aller trop loin. Il faut savoir faire la part des choses.» 

Sa propre intimité transparaît peu. Elle avoue être très attirée par les enseignements de Bouddha. Sans être bouddhiste. Elle lit énormément. Surtout de la philo et des sciences. Elle a d’ailleurs commencé  son parcours par quatre ans de mathématiques à l’EPFL. Au grand dam de ses parents, elle bifurque ensuite vers la médecine, à Paris. Un deuxième cursus effectué en temps partiel. Pour cause de mariage avec enfants. Deux filles. Puis retour à Lausanne pour terminer son FMH. Avec en option, une psychanalyse com-plète. Bref, elle ouvre son cabinet à 38 ans. Elle en a 52. «Pour soigner les autres, il faut être au clair sur soi-même», dit-elle. On lui fait remarquer son esprit brillant et une certaine tranquillité naturelle. «C’est seulement à quarante ans que j’ai compris que j’étais plus douée que la moyenne. Mais avant de comprendre cela, on a tendance à mépriser les gens qui ne voient pas les choses comme nous. C’est ça la confiance en soi. Connaître ses limites et ses qualités, c’est s’éviter des échecs à répétition», poursuit-elle. 

Geneviève Morand souligne: «Elle a une immense culture. Ce qui est rare chez une femme.» Et sa connaissance ne dérange pas. Elle ne donne pas de leçon. C’est même peut-être ce qu’elle a appris de plus précieux durant ces quinze dernières années. Ecouter, toujours. Comprendre, parfois. Mais changer, c’est difficile. «La partie haute du cerveau, le cortex, comprend tout tout de suite. Essayez de remuer la partie inférieure, où se joue les émotions, et ça prendra beaucoup plus longtemps.»

Interview express

Ce qui vous ressource ? La lecture et la marche dans la nature.

Une corvée? Les tâches ménagères.

Un plaisir? Le plaisir d'analyser les problèmes complexes et de pouvoir formuler une hypothèse quant à leur origine. Et proposer des solutions. C'est un plaisir de la pensée, du discernement.

Un livre? Il y en a beaucoup. Ces temps je dirais: L'infini dans la paume de la main de Matthieu Ricard et Trinh Xuan Thuan.

Un gourou? Pas de gourou mais plutôt des gens que j'admire. L'entrepreneur Nicolas Hayek senior et le Dalai Lama

Un plat? La pastilla. Un plat marocain. Une tarte à base de farce de pigeon. C'est très fin.

Une boisson? L'eau.

Le meilleur conseil reçu? Essayer de se connaître au maximum et de se soigner avant de prétendre connaître les autres.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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