La chronique

Formation ou déformation?

L’année 2010 a bel et bien démarré. Evaluation annuelle, fixation d’objectifs, révision salariale, promotions, redynamisation des équipes. Sans oublier la planification de la formation. Brevet, diplôme, séminaire, MAS, CAS, coaching, développement personnel, langues (avec une préférence pour le globish), informatique… Tous les registres sont désormais exploités pédagogiquement sur les grandes orgues de la formation et jamais l’offre n’a été si généreuse, si débordante, si onéreuse. Arrêtons-nous un instant et examinons d’un œil critique le bric-à-brac des cours de formation, les idées folles des andragogues, les fantasmes des épistémologues et autres apprentis-sorciers de la pédagogie lucrative.

Contacté il y a quelques jours par une journaliste ingénue et désireuse de réfléchir sur les formations au «small talk» (?), j’ai dû lui avouer mon ignorance crasse. Ainsi donc des cabinets de formations, des psychologues, des ethno-cardio-géo-graphes, des haruspices pseudo-universitaires, des gourous de tous ordres, des chevaliers du verbe fleuri souhaitent nous initier «à la petite conversation en société». Diantre… Nous ne saurions donc plus briser la glace, même en plein hiver,  sans l’aide d’un coach? Ah, si nos grands-mères nous voyaient avec nos beaux diplômes… Gageons qu’elles riraient sous cape.

Mettre en perspective critique ces nouvelles pratiques, c’est avant tout nous étonner de la place qu’occupe la formation au XXIème siècle. Vous attendez un enfant? Il convient alors de suivre l’initiation obligatoire à l’accouchement (trois jours) organisé par l’hôpital. Vous êtes triste et mélancolique?  Inscrivez-vous à l’école internationale du rire (www.ecolederire.com)… Vous ronflez en dormant: les cours de respiration ayurvédique sauveront votre couple. Votre taux de cholestérol atteint les sommets de l’Himalaya? Les douze leçons de Montignac feront de vous un être fit et musclé. Vous êtes malade et marchez inexorablement vers la mort? Méditez le chemin avec un guide spirituel (deux mois, une heure par jour, 4000 euros). Peur de prendre l‘avion, désir de recadrer son chef, son enfant, son époux; volonté d’animer son quartier, de chercher un emploi, de rédiger un cv, de se préparer à un entretien de recrutement… Rien n’échappe aux tentacules du pédagogique. Désormais, tout s’apprend.

Ainsi nous avons inventé une société qui dispense des formations pour apprendre à naître, à mourir, à respirer, à manger… Rien de plus normal que des cours de «small talk» apparaissent à leur tour, non?

La question devient alors la suivante. Est-ce un signe d’hyper-maturité de nos sociétés ou au contraire un signe de décadence? Dans le premier cas, la formation serait perçue comme le ferment de l’élévation des âmes, le véhicule de l’émancipation, l’instrument privilégié du développement. Dans le second cas, la formation serait considérée non pas comme l’aboutissement, mais l’abêtissement du soi, par une sorte d’infantilisation crasse et absurde. Soyons clair: je plaide pour la seconde hypothèse et j’avance ici deux arguments.

Premièrement, méfions-nous de l’étymologie: le mot formation provient de la même racine que le mot performance. Une société qui favorise la formation tout azimut est donc une société obsédée par la performance. Mieux rire, mieux respirer, mieux vivre, mieux manger, mieux parler. Pourquoi? Pour correspondre davantage à des standards, à des normes sociales, à des canons esthétiques? Pour aller plus vite, plus haut et plus loin?

Deuxièmement, réhabilitons le bons sens: comment prendre au sérieux des formations d’un jour facturée le prix d’un mois de salaire et censée résoudre le problème d’une vie? Soyons raisonnable. Comment croire qu’un cours de gestion des conflits va résoudre réellement les conflits? Quelle mythologie entretenons-nous lorsque nous favorisons ce type de croyance? Il est temps de tuer cette pensée magique et de convoquer le principe de réalité: oui il est possible de gérer les conflits; oui il est probable qu’un cours puisse nous aider; oui, il est déraisonnable de penser que le cours est la pierre angulaire de la solution. La réponse est en nous. El le cours est uniquement l’une des clés d’accès (certainement la plus chère).

commenter 0 commentaires HR Cosmos

Stéphane Haefliger est psychosociologue de formation, membre de direction du cabinet Vicario Consulting et chargé de cours régulier dans les universités romandes. Il est également l’auteur de: DRH et Manager, levez-vous! Vie et mort des organisations, Editions EMS, Paris, 2017.

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