Conseils pratiques

La résilience, un atout organisationnel par temps de crise

Une recherche menée auprès de 25 cadres des institutions policières et pénitentiaires de Suisse romande, met en lumière les facteurs considérés essentiels pour favoriser la résilience organisationnelle. 

La résilience organisationnelle peut être appréhendée comme la capacité des organisations à résister, s’adapter et rebondir face aux crises qui impactent leur fonctionnement, voire leur survie. La notion provient du concept de résilience que les sciences physiques définissent de manière générale comme l’aptitude d’un système de revenir à son état d’équilibre initial après avoir subi une déstabilisation.

La crise de Covid-19, un cas d’étude

Aucune organisation n’a été épargnée par la nécessité de continuer d’assurer sa mission tout en jugulant la propagation du virus Covid-19. Les institutions policières et pénitentiaires de Suisse romande ont été particulièrement impactées. Ces secteurs urgentistes étant régulièrement confrontés à des changements et situations de crise, leurs modes d’action et de réponse aux chocs méritent l’intérêt. Nous avons investigué leurs capacités de résilience sous l’angle de leur fonctionnement et de leur management, à travers une recherche qualitative. Nous avons ainsi mené 25 entretiens avec des cadres de ces institutions dans le but d’identifier les facteurs considérés essentiels par nos interlocuteurs pour favoriser la résilience organisationnelle.

Anticiper, absorber et/ou s’adapter, apprendre et rebondir

Telles sont les dimensions principales et les phases clés du processus de résilience organisationnelle, selon la littérature. Le courant de l’ingénierie de la résilience la conçoit comme la capacité de rebondir suivant une logique de cause à effet mécanique, principalement par le maintien des fonctions et la récupération rapide via la mobilisation des ressources nécessaires. De son côté, la perspective plus moderne de la résilience écologique ajoute à la capacité de rebondir celle de s’adapter au changement, dans le but de continuer à prospérer. Le système apprend des perturbations rencontrées en même temps qu’il les absorbe et se réorganise pour en ressortir plus fort.

Les institutions policières et pénitentiaires, des systèmes résilients?

Oui, au sens où elles s’inscrivent dans un processus proactif continu de survie de long terme à travers l’exécution d’activités de planification, d’absorption, d’adaptation et d’apprentissage leur ayant permis de rebondir pour atteindre un nouveau point d’équilibre en cours de choc, puis de revenir à celui d’avant choc. Si rien ne démontre qu’elles ont continué à prospérer dans ce cadre, elles en ressortent mieux armées pour affronter d’éventuelles futures crises.

Selon un cadre de police cantonale, «la caisse à outils est prête» pour ce qui relève de l’anticipation quant à la manière de travailler en interne, avec les partenaires et quant aux ressources nécessaires à déployer face à différents chocs. En l’occurrence, à l’arrivée de la crise, des plans de dégradations ont été déployés afin de prioriser les activités et prestations, les réorganiser, les réduire, renoncer à certaines d’entre elles ou réaffecter le personnel, en fonction des niveaux de gravité et principalement en cas de manque d’effectifs. Cette culture organisationnelle anticipative inscrite dans les structures de ces institutions, au même titre que d’autres éléments formalisés assurant la rigidité structurelle tout comme prévoyant leur flexibilité, a constitué un préalable à leur agilité et réactivité.

En cours de crise, l’absorption du choc a été facilitée par la robustesse des structures induite entre autres par la solidité des relations sociales tissées au sein des institutions. Les réseaux internes ont su pallier le manque de ressources financières et humaines, le cas échéant. Ils sont développés et entretenus grâce à des communications régulières entre les différents échelons hiérarchiques, par le biais de médias de communication riches (face-à-face et téléphone). De même, la collaboration avec les réseaux externes a permis la mobilisation de connaissances et autres ressources.

Ces pratiques sociales et environnementales ont aussi contribué à l’adaptation au choc par la réorganisation des activités, aussi réalisée via des pratiques de liminal leadership visant à introduire la phase transitoire. Il s’agit alors de faire sens de l’environnement et des changements afin de réaligner les priorités de l’organisation pour initier rapidement une nouvelle phase dans sa conduite. Il convient également d’assurer la disponibilité des ressources nécessaires et de mobiliser les énergies via la promotion des relations internes, la création de sens et la communication d’une vision claire et partagée.

Enfin, les pratiques de gouvernance favorisant l’agilité comme la décentralisation structurelle et la planification itérative, non-linéaire concourant à l’apprentissage par essai-erreur, ont permis respectivement une gestion de crise flexible et réactive et de réajuster les mesures prises top-down dans le premier temps de l’urgence, grâce aux retours ascendants du terrain.

Cela a été effectué notamment à travers le système institutionnalisé de retours sur expérience (RETEX) contribuant également aux capacités d’apprentissage à la suite du choc, via l’analyse et la documentation de sa propre expérience et l’échange d’informations avec les autres organisations. Cela permet d’éviter de répéter les mêmes erreurs, d’avoir conscience des vulnérabilités de l’organisation et de donner lieu à des améliorations. Enfin, l’existence de systèmes de gestion de l’information et de communication sous-tend la réalisation des activités précitées.

Si la crise a pris par surprise (par sa nature et son ampleur), les capacités de réorganisation et les modes opératoires existant, les structures préétablies et l‘expérience de collaboration avec les partenaires externes ont permis une adaptation rapide pour rebondir face à la crise.

Les facteurs soft plus importants que les hard?

Ainsi ont été illustrés les facteurs de résilience que nous considérons essentiels. Il s’agit d’aspects mous du système, regroupés dans le software organisationnel qui seraient davantage importants que les ingrédients clés formant le hardware organisationnel (ressources matérielles, financières et technologiques) car en plus de leur utilité en soi, ils peuvent contribuer à la mobilisation de ces derniers en cas d’urgence et de manière adéquate.

Configurations gagnantes de facteurs essentiels

Expliquons ces dynamiques avec l’exemple du facteur «pratiques sociales et environnementales». Il est sous-tendu par l’existence de systèmes de gestion de l’information et de communication, ainsi qu’il contribue lui-même à l’établissement d’éléments de culture organisationnelle anticipative. De plus, le potentiel de résilience est augmenté s’il est combiné avec d’autres facteurs tels que: les pratiques de leadership complexe; la prise de décision inclusive; des pratiques de gouvernance induisant l’agilité; des pratiques de ressources humaines facilitant la libre expression des émotions et le partage d’informations; une culture organisationnelle soutenant l’innovation; les capacités d’apprentissage. Autant d’éléments qui favorisent les échanges entre les membres de l’organisation.

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David Giauque est professeur de gestion des ressources humaines, IDHEAP, UNIL.

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