Nouvelles technologies

La vision SIRH de deux DRH emblématiques de Suisse romande

La preuve par l’expérience. Maxime Morand, DRH à la banque privée Lombard Odier Darier Hentsch & Cie (LODH) de Genève et Yan Curty, DRH chez Cartier Horlogerie à La Chaux-de-Fonds, expliquent pourquoi la mise en place d’un système d’information des ressources humaines (SIRH) a révolutionné leur quotidien. 

Paroles de pionniers. La mise en place d'un SIRH a profondément modifié le fonctionnement de leurs départements RH. «Les périodes de fin d'année, avec le bouclement des paies et des bonus, sont devenues beaucoup plus faciles», assure Maxime Morand, DRH depuis 2001 chez LODH (1950 collaborateurs). Mais cette révolution technologique a également amené de nouvelles contraintes. «Nous vivons désormais dans une maison de verre où les erreurs coûtent cher», poursuit Maxime Morand. Actif dans l'horlogerie, avec plus de 1200 collaborateurs, Cartier Horlogerie a connu le même développement. Depuis 2001, la société a entièrement repensé son architecture RH avant de passer certains de ces processus en mode électronique. Aujourd'hui, en plus d'un portail web dédié, la paie, la gestion du temps, la gestion des compétences et les évaluations annuelles sont gérées depuis un ordinateur. DRH du groupe, Yan Curty insiste sur l'engagement des RH dans ce processus. «Le DRH doit fixer ses objectifs et rester ferme jusqu'au bout». Leurs conseils. 

Expliquez-nous quand et comment est arrivée cette informatisation de vos processus RH?

Yan Curty: La réflexion SIRH dans le groupe Richemont s'est initiée du côté administratif en 2000. Notre soft administratif était en bout de route. C'était un bon vieux système AS400, sous DOS, où il fallait taper F12 pour sortir un bilan. Nous avons créé un groupe de travail pour voir dans quelle direction aller. Parallèlement à cela, il y a eu toute une réflexion sur le développement RH. Ces deux chantiers ont été menés en parallèle.

Qui a dirigé cette opération?

YC: C'est moi-même. Et je précise que je ne suis pas informaticien de formation, mais psychologue de travail et des organisations. Il a fallu conduire ce déploiement dans toute la Suisse pour 6000 collaborateurs. Nous avons également lancé une dynamique de développement RH autour du job catalogue: Quelle est notre activité? Comment le fait-on? Nous avons revu toute l'évaluation des compétences et sa dynamique propre. Le groupe Richemont en Suisse est très manufacturier, donc la polyvalence est un enjeu intéressant. Nous avons d'abord réfléchi à mettre toutes ces thématiques sur le même soft. Mais cette option était mal adaptée. Finalement, l'administratif a choisi un ERP (SAP) et le développement a opté pour une autre application (Allegro), très adaptée, très légère, faite par des RH pour des RH. 

Maxime Morand: Nous avons le même logiciel, que nous avons baptisé Ulysse. 

Quel a été le cheminement chez LODH?

MM: A mon arrivée en 2001, toute l'informatique RH était à créer. Il y avait un système de paie obsolète qui tournait pour 1500 personnes alors qu'il en tolérait 900 au maximum. De plus, les dossiers physiques n'étaient pas à jour selon la loi sur la protection des données. Je me suis alors demandé comment récupérer toute cette donnée, sachant qu'il y avait une fusion qui se préparait à l'horizon. Imaginez le contexte. La fusion est décidée officiellement le 2 juin 2002. Avec le délai de carence du plan social, nous avons pu commencer à réfléchir sérieusement le 18 juillet. Puis il a fallu mettre en place une nouvelle architecture RH, approuvée par les associés. Puisque le 20 octobre, nous envoyions 2 100 contrats, valeur 1er janvier 2003. Tout en faisant le plan social. Au fond, nous avons réalisé les retraites, les licenciements et la nouvelle architecture RH en deux mois. Si nous n'avions pas eu un premier outil informatique, nous n'aurions jamais pu faire la fusion. 

Revenons au SIRH, quel était votre objectif principal?

MM: Je n'avais qu'une seule obsession: établir un cockpit RH à disposition des managers de la ligne. Leur offrir un pouvoir de décision et de faire la preuve par le tech qu'on peut faire du touch. 

C'est-à-dire?

MM: Nous pouvons parler longtemps de développement de personnes, mais sans un certain nombre d'éléments chiffrés et concrets, nous n'avons aucune crédibilité. Il nous fallait donc une plate-forme très interactive. À partir de là, nous avons sélectionné le logiciel Allegro. Que nous avons fait monter en puissance petit à petit. Pourquoi l'avoir nommé Ulysse? En référence à l'itinéraire d'un homme qui est parti depuis longtemps et qui a un long voyage de retour devant lui. Une image pour illustrer la récupération de la donnée. Nous avons fait des séances, avec jusqu'à 400 personnes à la fois, pour leur dire que nous avions besoin de leur collaboration active à cette refonte du système. 

Que dire aux résistants à l'informatisation?

MM: Le phénomène est irréversible. J'irai même jusqu'à dire que le changement dans les organisations passe par l'excellente maîtrise des outils. Et non par notre force de conviction. 

YC: Je leur dirai : «Marche ou crève...». Sans véritable cockpit RH, nous ne sommes plus des pilotes. Même si c'est un objectif ingrat, on ne peut pas y échapper. C'est devenu une question de crédibilité de notre mode de gestion. 

MM: C'est vrai. Nous n'avons plus vraiment le choix. Un exemple: avant cette révolution, en fin d'année, avec toutes les paies, boni et parts variables, toute l'équipe RH était vert pomme. Alors qu'aujourd'hui, je travaille un week-end pour peaufiner les derniers réglages. Et mon équipe peut rentrer à l'heure à la maison. C'est donc un vrai confort du point de vue organisationnel. J'ajouterais que le traitement de toutes ces données n'a jamais été ma tasse de thé. Régulièrement, j'allais voir les finances lors d'un problème. Aujourd'hui, c'est l'inverse qui se produit. La semaine dernière, la finance est venue chercher des chiffres chez nous (sourire). 

Les améliorations sont donc surtout administratives?

MM: Avant la révolution, les douze associés de LODH passaient une semaine pour régler toutes les questions de salaires, boni et nominations. Soit 14 classeurs fédéraux. Grâce à Ulysse on est descendu à moins de deux jours. Si vous calculez le prix de douze associés à temps plein pendant trois jours et demi, vous amortissez rapidement l'investissement IT. 

Un meilleur confort organisationnel, une gestion de la paie facilitée... Y a-t-il des inconvénients?

YC: La gestion de la paie est quelque chose d'extrêmement sensible. Gagner la confiance de ses collaborateurs prend beaucoup de temps. Mais si vous vous trompez de quelques centimes sur une fiche de paie, vous perdez d'un coup tout votre capital sympathie. 

MM: Oui. Le quality control est devenu très lourd. La pression est montée sur les collaborateurs. Car c'est à eux de tenir à jour leurs données. Nous vivons désormais dans une maison de verre. Je me souviens d'avoir engagé un externe pour prendre la place du numéro un dans une unité d'affaires. Ce dernier devait passer numéro deux. La collaboratrice chargée d'intégrer ce changement dans l'organigramme n'y a pas cru. Et elle a intégré le nouveau rentrant au poste de n° 2. Les collaborateurs ont trouvé ça très amusant... 

Revenons au processus d'informatisation d'une politique RH. Comment procéder?

YC: Le DRH doit prendre ce projet sous son aile. Et pour obtenir le résultat espéré, je conseille de contrôler avec fermeté toute l'évolution du projet. L'implication n'est pas énorme. Il faut se mettre à l'eau et vous vous rendrez compte qu'elle n'est pas si fraîche. Le sacrifice n'est pas tellement en termes de temps mais plutôt en termes de conviction. Il faut savoir fédérer l'équipe et tenir le deadline. 

MM: Cet engagement est essentiel. L'outil n'est pas un à-côté du DRH, il est sa structure centrale. Quand on a mis en place Ulysse, j'ai vu un associé assez remonté. Il a fallu résister aux pressions. Aujourd'hui, personne ne s'en passerait. Lors des comités de direction, quand on parle de quelqu'un, sa photo, son CV et ses évaluations annuelles s'affichent sur l'écran. Concernant le recrutement, nous engageons la moitié de notre personnel via notre site internet. Nous recevons 4000 offres spontanées par année par ce biais-là. 

Comment choisir parmi la pléthore d'éditeurs de logiciels?

MM: J'ai assisté personnellement à tous les appels d'offres. Je voulais un système flexible et centré sur l'individu. Cette présence lors des présentations m'a énormément appris et a grandement facilité la décision finale. 

Quel critère technique vous semble incontournable?

YC: La souplesse de l'outil. L'architecture finance et l'architecture organisationnelle doivent pouvoir dialoguer. 

Que pensez-vous des systèmes tout intégrés?

YC: L'informatique pour l'informatique ne sert à rien. L'intégration à tout prix est un mythe. Regardez ce que fait Nestlé avec son projet Global. Ils vont certainement y arriver, mais à quel prix? En revanche, la liaison finance/RH, paie/gestion du temps, ça fait sens. 

Quelles sont les autres contraintes du SIRH?

MM: La mise à jour des données s'effectue désormais en grande partie par les collaborateurs. Ce n'est jamais gagné. Au début du processus, sur nos 1700 collaborateurs, 200 n'avaient pas encore attesté de la justesse des données. Je leur ai écrit un courrier personnel pour qu'ils se mettent à jour. C'est un travail de discipline et de suivi qui est nouveau.

YC: Oui, c'est une vraie contrainte.

Parlez-nous du rôle de l'intégrateur?

MM: L'intégrateur doit avoir des connaissances RH poussées. Je n'ai pas envie de tout lui expliquer. Il faut également être d'accord de partager votre philosophie et votre vision RH. C'est ce qui donne du contenu à leur job. 

YC: C'est un traducteur qui va affiner le paramétrage de l'outil. Notez aussi que le passage des processus RH en mode informatique est un moment très intense: nuits blanches, sueurs, angoisses et grandes joies. La relation avec l'intégrateur est souvent très fusionnelle. C'est quelqu'un avec qui on traverse des périodes d'instabilité organisationnelle. 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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