La formation des GRH romands

"Le foisonnement des filières de formation RH a créé une confusion"

Professeur de GRH à l’Institut d’administration des entreprises de Toulouse, Jacques Igalens est un grand spécialiste de la formation RH française. Dans un entretien avec HR Today, il explique pourquoi les cursus se sont multipliés de manière très forte depuis une vingtaine d’année. Ce qui a créé une certaine confusion dans les esprits. 

 

Le paysage de la formation RH de Suisse romande paraît bien embryonnaire si on le compare au fort développement de ce secteur en France. Où les cursus universitaires et les modules de formation continue se sont multipliés à vitesse grand V depuis le début des années 1980. Mais la ligne entre formations RH pour managers et formations RH pour la fonction RH s'est brouillée.  C'est dans ce contexte qu'est arrivé en 2007 le livre «Master RH*», corédigé par le professeur de GRH à l'Institut d'administration des entreprises (IAE) de Toulouse Jacques Igalens. Entretien. 

Le rôle et l'image des RH ont gagné de la valeur ces dernières années. En parallèle, on assiste à un foisonnement de l'offre en termes de formations RH sur le marché suisse romand, avec une forte concurrence entre les différents acteurs. Ces deux phénomènes sont-ils liés?

Jacques Igalens: Oui. Et ils ont créé une certaine confusion. Aujourd'hui, beaucoup de responsabilités RH incombent au manager ou au responsable hiérarchique. Le livre de Jean-Marie Peretti «Tous DRH» a d'ailleurs eu beaucoup de succès en France. En matière de recrutement et d'évaluations, les responsables hiérarchiques sont de plus en plus intégrés dans les processus RH. Cette évolution est positive.  Elle ne doit simplement pas se faire aux dépens de la formation des professionnels de la fonction RH. 

Mais former un manager aux enjeux de la GRH devrait vous réjouir?

Evidemment. Il n'empêche qu'on aura toujours besoin de spécialistes de la fonction RH. Des gens qui maîtrisent les outils. La paie, la gestion de la formation ou les référentiels d'audit social par exemple. Cette technicité de la fonction RH demeure. Elle s'accroît même avec les progrès de la technique et de la science. 

Ce partage des tâches RH à travers tout l'encadrement n'a-t-il pas forcé les DRH à se repositionner. Ils sont devenus des superconsultants et des gardiens de la méthode.

Je vois deux dimensions. Celle du responsable qui est garant des processus et qui s'assure que le manager utilise correctement les méthodes d'évaluations ou les techniques de recrutement. Puis, il y a les outils et les connaissances que le DRH est seul à maîtriser. Prenons le cas des rémunérations: les managers peuvent participer au processus, mais il faut aussi garantir une certaine équité. Pour éviter les rémunérations à la gueule du client. C'est le rôle du DRH. La décentralisation de certaines décisions ne veut pas dire que les DRH n'ont rien à faire sur ces sujets. Ils sont sur un niveau de méta communication. Ils pilotent, surveillent et contrôlent. Ils évitent les abus et les déviations par rapport aux politiques d'entreprise. 

On assiste aussi à un débat entre les défenseurs de l'hyperspécialisation et ceux qui militent pour plus de sensibilité business. Comment résoudre cette équation?

Les DRH doivent maîtriser une base de connaissances techniques. Là-dessus, on ne peut pas transiger. Il leur appartient ensuite de bien comprendre la nature du business de leur employeur. C'est pour cela qu'on ne devient pas DRH du jour au lendemain. Il faut commencer par être cadre dans la fonction RH. Puis monter les échelons au fur et à mesure que vous comprenez les facteurs clés du succès de votre entreprise. Ces facteurs ne sont pas les mêmes dans la grande distribution ou dans  l'aéronautique. Mais cette compréhension du business est une couche supplémentaire, qui se rajoute au métier de base. Elle ne peut en aucun cas le remplacer. Ce serait irréaliste de prendre un ingénieur, même brillant, pour le transformer en DRH. Il faut être capable de contrôler les processus ou alors de les sous-traiter, ce qui implique de choisir des consultants valables. Sans ces connaissances, vous n'êtes pas dans le job. 

Y a-t-il des pistes de formations RH qui ont échoué?

Oui. Dans les années 1980, des gourous ont voulu transposer en France des méthodes de motivation américaines. Des stages un peu exotiques où on apprenait au cadre à marcher sur des braises, à léviter, à faire de la méditation transcendantale... Ces techniques de développement personnel ont montré leurs limites. Les employés sont réticents à livrer cette part de leur vie personnelle à l'entreprise. Beaucoup de formations ont empiété sur ce terrain-là. Le saut à l'élastique, le cri primal...  ces techniques sont en forte régression depuis les années 2000. 

On assiste donc à un retour aux fondamentaux...

Oui. Et il faut préciser que la dimension pratique des formations est très importante. Les étudiants doivent être mis en situation, comprendre l'aspect interactionnel et les jeux d'acteurs. Cette patte humaine est incontournable. 

*Jacques Igalens et Alain Roger (sous dir.): Master ressources humaines, éd. Eska, 2007, 459 pages. 

 
 
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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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