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«Le jobsharing est un modèle pertinent pour les médecins cadres de demain»

Confronté à une pénurie de main-d’œuvre hautement qualifiée et à un plafond de verre, le Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) est amené à revoir son modèle de gestion des compétences et des carrières. C’est ce qu’a montré un récent travail de Master of advanced studies (MAS) en RH rédigé par Lauriane Bridel Grosvernier.

Quels effets, spécifiques au milieu médical du CHUV, contribuent à ce plafond de verre qui empêche les femmes d’accéder aux positions hiérarchiques supérieures? 

Lauriane Bridel: Le plafond de verre n’est pas une caractéristique propre au CHUV. Toutes les études montrent exactement le même phénomène dans tous les secteurs d’activité. Mais cet effet est peut-être encore plus marqué dans le milieu médical, à cause du système d’évaluation des compétences et de gestion des carrières. Réussir une trajectoire de médecin cadre dans un milieu hospitalier universitaire implique un investissement très important.

Pour gravir les échelons, il faut non seulement être performant-e en clinique (prise en charge des patients), participer à l’enseignement, acquérir des compétences en management, mais surtout être actif-ve en matière de recherche et de publications. Ces dernières, qui constituent le dossier académique, sont hautement valorisées, au point qu’elles conditionnent en grande partie l’évolution professionnelle. Or c’est à ce niveau que les femmes sont souvent écartées. 

En effet, après une journée de travail à l’hôpital, qu’elles soient enceintes ou qu’elles s’occupent de leurs enfants, elles n’ont pas suffisamment de temps ou d’énergie à consacrer à la recherche ou à la rédaction d’articles scientifiques. Alors que leurs confrères suivent une trajectoire plus linéaire et sans interruption. Logiquement, les chefs de service, qui accompagnent la relève vont soutenir ceux qui «produisent» et les intégrer dans leur réseau. Cela dit, les mentalités sont en train de changer. Entre 2003 et 2008, le nombre de femmes médecins assistants (en formation) a dépassé celui des hommes. 

Comment faire face? 

J’ai constaté, du fait de la féminisation accrue, que le temps partiel et le jobsharing se développent de plus en plus chez les médecins assistants et auprès des chefs de clinique. Pourquoi ne pas appliquer ces modèles aux niveaux supérieurs? En questionnant ces populations sur la faisabilité de ces modèles, j’ai constaté que les réserves sont beaucoup moins évidentes qu’elles ne paraissaient au premier abord. Les obstacles existent bien: risque accru d’erreur médicale; la notion d’indivisibilité de la responsabilité; la gestion d’équipe lacunaire; l’insatisfaction des patients et à la perte de compétences. 

Mais les personnes interrogées estiment qu’il est possible de mettre en place des dispositifs pour prévenir ces risques. Il s’agit en fait d’une nouvelle culture professionnelle à adopter. La profession doit se redéfinir. Et dépasser un certain front de résistance fortement ancré dans le milieu médical. Il faut rappeler qu’à l’heure actuelle, les têtes des départements médicaux sont occupées uniquement par des hommes et que les cheffes de service représentent moins de 10 pour cent. 

En quoi le jobsharing est-il un modèle pertinent? 

Le modèle a fait ses preuves dans d’autres secteurs d’activité (professions libérales notamment). Le jobsharing est enrichissant à plusieurs égards. Il favorise le développement d’une culture du partage; il introduit une flexibilité accrue dans la durée du travail et il favorise une délégation plus importante des responsabilités, ce qui implique plus de débats et de discussions. Le modèle permet enfin de conserver les savoirs et les talents qui représentent d’énormes investissements. 

Quelle a été la réaction de votre direction médicale face aux conclusions de votre étude? 

Elle m’a remerciée pour mon travail, qui les a fortement intéressés. Elle ne percevait pas nécessairement à quel point le dispositif de gestion de carrière en place pouvait empêcher l’ascension académique et hiérarchique des femmes médecins. Les chefs de service ont tendance à penser que leur désir de maternité est le principal, sinon l’unique, frein à leurs trajectoires professionnelles. Désormais, la direction du CHUV n’a plus vraiment le choix. Elle fait face à une pénurie de main-d’œuvre des «blouses blanches» et la question de l’accessibilité des femmes aux postes à hautes responsabilités se pose de manière urgente.

 

Lauriane Bridel Grosvernier

Lauriane Bridel Grosvernier est directrice adjointe des ressources humaines du CHUV depuis 2007. Avec plus de 8300 employés, le CHUV est le plus gros employeur du canton de Vaud. Elle a rédigé un mémoire intitulé «Féminisation accrue de la Médecine – La pertinence du jobsharing pour les médecins cadres», en 2009, dans le cadre du MAS en gestion des ressources humaines et carrières, des Universités de Genève, Lausanne, Neuchâtel et Fribourg. 

Durant son étude, Lauriane Bridel Grosvernier a mené des entretiens avec une dizaine de médecins cadres du CHUV. Elle a également adressé un questionnaire aux chefs de cliniques (37 pour cent de taux de réponses) et aux médecins assistants (27 pour cent de taux de réponses). Cette enquête a démontré que le jobsharing est considéré comme une mesure pertinente et que les réserves généralement opposées à ce modèle ne sont pas considérées comme insurmontables.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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