Individu vs Organisation

Comment les organisations s’adaptent aux nouvelles attentes des individus

La société évolue et les organisations sont contraintes d’adapter leur valeurs et leur positionnement pour répondre aux nouveaux besoins des travailleurs-consommateurs. Quelles sont ces évolutions sociétales de fond? Et quelles sont les parades développées par les entreprises pour y faire face? L’analyse de l’économiste française Isabelle Barth. 

Les frontières se brouillent entre vie privée et vie professionnelle. La révolution d’Internet et des technologies de l’information explique partiellement ce phénomène. Désormais atteignables 24h sur 24, les salariés n’hésitent pas non plus à consulter des mails privés sur leur lieu de travail. Au delà de ces change­ments technologiques, la valeur travail évolue dans les hiérarchies personnelles. Désormais, on ne sacrifie plus sa vie à une entreprise. 

L’ancrage «style de vie» prend une place tou­jours plus importante dans les constructions de carrière. La mondialisation bouleverse aus­ si la donne puisqu’elle brouille la temporalité du rythme économique. Sur le marché inter­national, les sociétés sont désormais en ac­tion de jour comme de nuit. Pour mieux com­prendre ces réajustements du rapport de l’individu à l’organisation, HR Today publie ici l’analyse de l’économiste française Isabelle Barth, Professeure de management à l’Uni­versité de Strasbourg et auteure de «Souci de soi, souci de l’autre et quête d’insouciance dans les organisations».

Le rôle central de l’individu

«Depuis les années 1980, les sociologues cons­tatent une montée en puissance de l’individu et des projets personnels. Chaque individu est devenu sa petite entreprise. Désormais, il faut réussir sa carrière, réussir ses vacances, réus­sir ses week­ends… Le développement de la chirurgie esthétique en est symptomatique, puisqu’elle est synonyme de la réussite de son image. Dans cette société hypermoderne, pour reprendre le terme des sociologues, l’individu tient un rôle central. 

L’élève se po­sitionne désormais au centre de l’école, le ma­lade au centre de l’hôpital. Cette évolution est très positive puisqu’il vaut mieux être con­sidéré comme un être humain dans sa globa­lité plutôt que comme un simple organe à réparer; mais elle amène avec elle sa part de vertiges. Car nous ne sommes pas tous équi­pés pour mener à bien nos entreprises person­nelles. Et comme il y a moins de solidarité dans les moments difficiles, les échecs devien­nent plus lourds à porter. 

Parallèlement à cette grande percée de l’individu, on assiste à une déstructuration du collectif. Un phénomène qui s’illustre notamment par la fin du voisinage, la régression du facteur reli­gieux ou à la déstructuration des périodes de repas en commun.»

L’entreprise instrumentalisée

«Au niveau de l’entreprise, le salarié n’évolue plus dans un collectif de travail. L’employ­abilité, la formation continue et le développe­ment de ses compétences encouragent les in­dividus à réussir leur trajectoire de manière individuelle. Dans cette optique, l’entreprise est de plus en plus instrumentalisée. Aujourd’hui, une recherche de job se pondère en termes de coûts et d’avantages. 

On assiste également à une judiciarisation des rapports de travail. Les salariés n’hésitent plus à atta­quer leur employeur aux prud’hommes. En quelque sorte, c’est un retour de flammes des années 1960, quand c’était plutôt l’individu qui était fortement instrumentalisé. En 2010, les forces vives qui ont entre 25 et 30 ans con­naissent quasiment tous un parent ou un pro­che qui ont été jetés par leur entreprise. Cette dimension sacrificielle du travail leur est res­tée en travers de la gorge et elle nourrit aujourd’hui un désamour de la valeur travail et un désamour des structures qui accueillent le travail.»

La gouvernance court-termiste

«L’entreprise de son côté s’est organisée sur des modalités qui dissolvent le collectif. Les travailleurs sont de plus en plus nomades. La montée en puissance d’Internet permet aujourd’hui le travail à distance. La mondiali­sation brouille les repères géographiques et temporels. Et depuis une vingtaine d’années, on assiste à des grandes restructurations qui se traduisent par l’externalisation des métiers qui ne sont pas considérés comme étant au cœur du business. Ce projet est le fruit d’une gouvernance financière court­termiste. Les ressources humaines ont toujours été la vari­able d’ajustement des organisations. Cette flexibilité de l’entreprise s’est traduite par une dislocation des collectifs de travail et du corps social.»

La googelisation du travail

«Face à ces évolutions, le salarié a pris beau­ coup de recul. Son désir d’engagement et d’implication a baissé. Les jeunes générations aspirent aujourd’hui à un métier passion dans une entreprise à vocation sociale. La réa­lité est souvent plus dure, mais enfin, cela reste leur intention. Leur modèle est devenu la googelisation de l’espace de travail. Ils sont prêts à s’investir énormément mais sur un mode passionnel dans un environnement qui ressemble à leur espace de vie privée, avec des fauteuils, des salles de jeux et des couleurs vives.»

La réaction des «bons» patrons

«De leur côté, les entreprises s’ajustent de ma­nière différenciée. Les dirigeants réfléchis­sent de plus en plus au rôle de l’entreprise dans la société. Le consensus s’établit autour de la création de valeur et de richesse. Mais tous ne sont pas d’accord de générer des divi­dendes pour des actionnaires qui vivent de l’autre côté de la planète. Certains patrons préfèrent réinvestir les bénéfices dans leur entreprise. C’est une attitude proactive, de responsabilité envers les salariés dans une perspective de développement durable. Ces patrons-­là sont en général déçus des réactions des salariés à qui ils reprochent de ne s’intéresser qu’aux avantages personnels: le salaire et les vacances. Ils se demandent ce que ces travailleurs sont prêts à donner en échange.»

Réparer les dégâts à tout prix

«D’autres entreprises, dont la gouvernance a été dirigée par des impératifs financiers, se rendent progressivement compte des dégâts qu’ils ont causés au corps social. Mais surtout que ces dégâts ont un coût en termes d’image, de réputation et donc en termes de chiffre d’affaires. Je pense aux grandes organisations comme France Télecom. Ceux­-là essaient aujourd’hui de corriger le tir en mettant en place des dispositifs d’écoute et de diagnostics. Ils font appel à des psychologues et travaillent sur des politiques éthiques et de diversité. Ils s’associent avec des ONG ou des associations pour travailler sur leur image. Et investissent dans des crèches d’entreprise et des salles de fitness.»

L’intervenante

Isabelle Barth est Professeur en sciences de gestion à l’école de management de Strasbourg. Elle est l’auteur de plusieurs publications dont: Nouvelles perspectives en management de la diversité, éd. EMS, 2010 (avec Christophe Falcoz).

 

Ces entreprises où il fait  bon vivre: le cas Medtronic

L’institut américain Great Place to work publie la deuxième édition de son classement des sociétés suisses où il fait bon vivre. L’enquête (qui s’appuie sur la période 2009–2010) constate que les conditions de travail ne se sont pas dégradées malgré la crise. Les employés interrogés estiment au contraire qu’ils bénéficient «d’une excellente place de travail». 

Pour évaluer près de 800 firmes, Great Place to work a utilisé un modèle qu’il applique depuis 25 ans dans 40 pays du monde: il combine les résultats d’un questionnaire rempli par les employés à un audit auprès des managers de l’établissement. La multinationale Medtronic, leader mondial en technologies médicales, dont le siège européen est à Tolochenaz (400 collaborateurs) a terminé pour la deuxième année consécutive au 11ème rang. Tour d’hori zons des avantages RH proposés aux collaborateurs. 

La société offre un congé maternité de 18 semaines assorties d’une possibilité de reprendre le travail à 80 pour cent en étant payé à 100 pour cent pendant six semaines. Les pères se voient accorder un congé paternité de deux semaines. Après la maternité, il existe aussi pour les deux sexes une option de prendre un congé sabbatique non payé de 6 mois avec un poste garanti à son retour. De plus, l’option de diminuer son temps de travail à 80 pour cent est garantie pour tous ceux qui ont eu un enfant. 

Si le collaborateur souhaite réduire de manière plus importante son temps de travail, il doit alors obtenir l’assentiment du management. En outre, l’adoption bénéficie des mêmes avantages que ceux liés à la maternité. 

Du côté de l’amélioration de la qualité de vie, la société a introduit la possibilité de congé sabbatique dont la durée varie en fonction de l’ancienneté du collaborateur. A partir de trois ans au sein de l’entreprise, la personne est éligible pour une pause de 3 à 12 mois. Ce degré d’ancienneté requis est nettement moins élevé que dans de nombreuses sociétés qui pratiquent plutôt les 10 ans d’entreprise pour donner droit à un tel congé. Par ailleurs, pendant un congé non payé, 

Medtronic propose des aménagements au niveau des assurances de l’employé et de sa caisse de pension. Comme par exemple de payer en partie ces charges pour faciliter la réalisation du projet du travailleur. Medtronic propose également 3 jours de vacances au maximum pour ceux qui se préparent à participer à des compétitions sportives professionnelles. 

Côté formation, Medtronic encourage ses employés en proposant un programme de subventions pour ceux qui souhaitent se lancer dans un cursus en parallèle de leur emploi. Jusqu’à 5 jours sont offerts à ceux qui suivent une formation personnelle en cours d’emploi, indépendamment des formations internes offertes par l’entreprise. 

Concernant l’aménagement de travail, la société a installé un ordinateur portable à chaque collaborateur du siège. Cette installation permet une flexibilité en termes de lieu de travail et aussi d’horaires. Les employés peuvent donc occasionnellement travailler depuis chez eux en fonction des besoins de l’entreprise et de ce qu’il est possible de traiter hors bureau. 

Enfin, parmi les éléments qui facilitent la vie, la compagnie possède un fitness à côté de ses bureaux, un service de pressing à l’interne, et une cafétéria de qualité proposant des repas à prix subventionnés.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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Patricia Meunier est journaliste indépendante en Suisse romande. Elle collabore avec HR Today depuis 2010.

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