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Le portage salarial arrive en Romandie

Le modèle introduit plus de transparence dans la relation contractuelle entre consultants, fournisseurs et entreprises clientes. Relativement peu connu en Suisse romande, le portage salarial est également un dispositif intéressant pour un individu qui souhaite se mettre à son compte, puisqu’il combine la liberté de l’indépendant avec la sécurité du salarié.

Une nouvelle forme de relation contractuelle entre consultants et entreprises commence à faire parler d’elle en Suisse romande. De quoi s’agit-il? Une société de portage salarial est une société de «payroll». En clair, elle accepte de salarier des consultants et de payer leurs charges sociales à la place des entreprises clientes. A la différence des consultants envoyés par des sociétés de placement classiques, un consultant en portage salarial a trouvé lui-même son mandat. Il en est donc le seul propriétaire. Mais comme il ne désire pas prendre tous les risques du statut d’indépendant (en plus de la charge administrative), il s’adresse à une société de portage qui lui propose un contrat de travail, règle ses assurances sociales et sa prévoyance professionnelle. 

Le consultant peut ainsi bénéficier d’un statut de salarié tout en opérant sur le modèle de l’indépendant. Précisons que les sociétés de portage doivent détenir une autorisation du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) pour proposer des services en Suisse. 

Bien établi en France et en Grande-Bretagne, le portage salarial reste encore relativement peu connu dans la communauté RH romande. Souffrant d’un déficit d’image, le système mérite pourtant d’être mieux connu. Car le portage salarial introduit plus de transparence dans les relations contractuelles entre consultants, prestataires de services (sociétés de placement et de «contract management») et entreprises clientes. 

Il offre également une alternative intéressante aux personnes qui souhaitent se mettre à leur compte sans prendre tous les risques de l’indépendant. Du côté des entreprises, le portage salarial a le grand avantage de ne pas augmenter les effectifs et la masse salariale, ce qui est apprécié en période de crise. Avec ce modèle, l’entreprise est aussi assurée que le consultant dispose bien d’un statut légal. 

Mais le portage salarial connaît aussi ses détracteurs. Les syndicats redoutent des pratiques de dumping salarial. Un risque lié à la récente ouverture des frontières, qui a permis à de nombreux consultants français de venir démarcher en Suisse. Les prestataires de services voient également d’un très mauvais œil l’ouverture de ce nouveau segment d’affaires, puisqu’il crée plus de concurrence sur le marché des consultants. 

Les avantages du salarié avec la posture de l’indépendant 

Le modèle est intéressant à plusieurs égards. Pour les consultants d’abord. Car devenir indépendant en Suisse est un vrai chemin de croix. Afin d’obtenir son numéro AVS, un consultant doit prouver son indépendance financière et organisationnelle tout en garantissant son risque financier. Une posture quasiment impossible à tenir quand vous démarrez une activité en free-lance. 

Selon Caroline Heid, responsable RH Suisse/France pour le Groupe Melexis à Bevaix (canton de Neuchâtel) et consultante RH à temps partiel, le statut social d’indépendant est très limité en Suisse: «A part l’AVS/AI, aucune assurance n’est obligatoire. A titre facultatif, il est possible de cotiser à l’assurance accidents et à la LPP. Même si la constitution fédérale le prévoit (article 114), l’assurance facultative à l’assurance chômage n’est pas prévue par les textes. 

Pour l’assurance chômage, comme pour la couverture d’autres risques (l’assurance perte de gain en cas de maladie par exemple), il faut donc s’adresser à des assureurs privés et, à titre individuel, il peut être difficile de négocier des conditions avantageuses.» 

Cet argument est également avancé par Claude Reinhart, fondateur et responsable commercial de la société de portage Swiss Labours Contractors (SLC): «Le portage salarial offre l’avantage de conserver un statut de salarié et de bénéficier des prestations sociales négociées par la société de portage.» 

La situation difficile des indépendants en Suisse explique également pourquoi de très nombreux consultants créent des Sociétés à responsabilités limitées (Sàrl) ou passent par des prestataires de services. Ces fournisseurs (Capgemini, IBM ou SAP par exemple pour le secteur informatique) proposent ensuite ces consultants aux entreprises clientes.

Une fois le mandat signé, le fournisseur prend une marge sur les honoraires facturés. Cette commission varie entre 20 et 30 pour cent du salaire annuel. Elle couvre les frais administratifs (payroll) et les frais de recrutement (le coût d’un recrutement est en général facturé entre 2 et 3 mois de salaires). Avec le modèle du portage salarial, la commission est dégressive de 10 à 5 pour cent, sur le chiffre d’affaires cumulé. Il est dégressif parce que plus le mandat dure, moins la commission élevée est justifiée (les frais administratifs restent stables). 

Certains modèles de portage salarial prévoient même un forfait fixe mensuel (plafonné à 1000 francs), peu importe le salaire journalier négocié par le consultant avec l’entreprise cliente.

Une relation transparente entre consultants et entreprises 

Selon Maurice Hofftstetter, créateur de la société de portage MITC en 1997 à Blonay (canton de Vaud), «le grand avantage du portage salarial est d’établir une relation transparente et équitable entre le consultant et l’entreprise cliente, vu que le salaire du consultant va dépendre de son volume de travail et de ses résultats». 

Cette différence est fondamentale si on compare le portage salarial avec la pratique des prestataires de services aux entreprises qui négocient eux-mêmes les contrats de leurs consultants sans forcément les informer des commissions perçues. 

Comme l’explique ce responsable des achats d’une grande société suisse (qui préfère garder l’anonymat), cette façon de procéder peut parfois réserver des surprises: «Nous avons eu un cas avec un fournisseur qui nous facturait un consultant 180 000 francs par année. Le gars est parti et nous lui avons demandé pourquoi? Il disait être trop mal payé! En réalité, il ne touchait que 110 000 francs annuels. Le fournisseur prenait donc près de 70 000 francs de commission... Depuis, nous exigeons de nos fournisseurs de pratiquer la transparence… les tarifs ont baissé drastiquement de 30 pour cent», poursuit-il. 

A noter que l’Etat de Genève commence également à exiger la transparence des comptes avec leurs fournisseurs. En règle générale, un consultant est payé au jour. Un consultant expérimenté coûte entre 1000 et 1200 francs par jour (fois 225 jours = entre 225 000 et 270 000 francs bruts par année). En portage salarial, ce coût peut baisser à 600/800 francs par jour (entre 135 000 et 180 00 francs). 

Cette différence s’explique par les frais de recrutement, qui ne sont pas facturés dans le système du portage salarial puisque c’est au consultant de trouver ses mandats. Il faut cependant nuancer ces différences de prix et tenir compte des avantages sociaux et LPP proposés par les sociétés de por-tage et les fournisseurs traditionnels. Comme un consultant veut très souvent du cash, ces avantages sociaux sont rabotés au maximum. Et il faut préciser que pour un mandat de courte durée (3 mois), payer entre 1000 et 1200 francs/jour correspond au prix du marché. En revanche, dès que le mandat se prolonge (8 mois/1 année) la commission de recrutement du fournisseur n’est plus justifiée. 

Méfiance des collaborateurs et des syndicats 

Ces différences importantes dans les tarifs expliquent en partie la méfiance qui règne autour du portage salarial en Suisse. A l’intérieur des entreprises, les collaborateurs ne comprennent pas pourquoi un consultant en portage salarial coûte un tiers de moins qu’un consultant envoyé par un prestataire de services classique. 

Depuis l’ouverture des frontières prévue par les accords bilatéraux II, les syndicats craignent également des pratiques de dumping salarial. Jean-Michel Raux, gérant de la société de portage CED-entreprises Sàrl réfute cette critique: «Ce n’est pas dans notre intérêt de pratiquer du dumping. Le portage est nouveau en Suisse et pour nous établir sur le long terme, nous avons intérêt à respecter les réglementations. Tous nos salaires sont benchmarkés sur les prix du marché.» 

Mais les plus grands ennemis du portage salarial sont sans doute les sociétés de placement. Car c’est leur modèle de commission à 20 et 30 pour cent annuel qui est remis en cause. Comme écrit plus haut, ces commissions se justifient pour des mandats courts. Mais ils devraient être dégressifs plus le mandat se poursuit, puisque sur le long terme, la valeur du mandat dépend entièrement des performances du consultant. A noter que les sociétés de placement redoutent aussi qu’un de leurs consultants décide de passer chez une société concurrente, en portage salarial, afin d’augmenter son salaire. C’est pourquoi elles intègrent dans les contrats une série de clauses pour éviter au maximum ces transfuges.

Les acteurs en Suisse romande 

Contact: Maurice Hoffstetter 
Société: MITC 
Création: 1997 
Consultants: 70 
Commission: forfait fixe mensuel 

Contact: Isabelle Thibault
Société: Nexee 
Création: 2002 
Consultants: 50
Commission: 10 pour cent plafonnée à 1500 CHF

Contact: Jean-Michel Raux
Société: CED-entreprises
Création: 2008
Consultants: 15
Commission: 10 à 5 pour
cent dégressif

Contact: Claude Reinhart
Société: SLC
Création: 2009
Consultants: 15
Commission: 10 à 5 pour cent dégressif
 

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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