Le protecteur
Jean Schacht, DRH de Protectas en Suisse, raconte comment l’IA est en train de changer les métiers de la sécurité. Il observe aussi un changement du rapport au travail des nouvelles générations, ce qui impacte la culture d’entreprise du leader mondial de la sécurité.

Photo: Olivier Vogelsang / disvoir.net pour HR Today
N’entre pas qui veut au siège de Protectas à Genève. Nous sonnons à l’adresse indiquée et nous sommes directement mis en relation avec le Security Operations Center (SOC), la centrale d’alarme des 7 000 clients de Protectas en Suisse romande (sur un total de 12 000 clients en Suisse). La porte s’ouvre et c’est le DRH Jean Schacht en personne qui nous accueille. Poignée de main ferme et sourire franc, il nous propose une visite guidée du site en guise de mise en bouche. La centrale est active 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
En Suisse, la société traite 1,6 million d’alarmes par année depuis ses deux centres opérationnels de Genève et Zurich. Nous visitons aussi les salles de cours de leur académie (1 600 formations par an). «Nos formations sont très pratiques, avec environ 30% de théorie et 70% de mises en situation», explique Jean Schacht. Au sous-sol, une salle de sport permet de simuler les altercations et les immobilisations. Il y a même un stand de tir: «L’utilisation d’une arme à feu est toujours un dernier recours», précise le formateur sur place. À noter que les activités de Protectas se sont fortement diversifiées depuis une dizaine d’années.
L’agent de sécurité qui fait sa ronde avec une lampe torche ne représente que 10% des missions. Le reste est un mix de patrouilles volantes, de sécurité aéoroportuaire, de protection incendie/sécurité au travail et une multitude de services de gestion des risques (en lien avec la norme ISO 31000). «Nos activités ont beaucoup évolué, d’où l’importance de la formation dans notre secteur», explique Jean Schacht en nous proposant un café.
Nouvel équilibre humain + IA à trouver
L’arrivée de l’IA a fortement impacté les métiers de la sécurité. Protectas (qui fait partie du leader mondial Securitas AB – à ne pas confondre avec la société Securitas en Suisse), bénéficie de la force de frappe de ce groupe suédois établi dans 44 pays. «Nous cherchons sans cesse le bon équilibre entre les compétences humaines et l’assistance technologique». Pour illustrer ce changement, il prend l’exemple d’un patrouilleur mobile: «Avant, il ou elle recevait un appel de la centrale et devait se rendre immédiatement sur place. L’agent.e était équipé.e d’un classeur avec les différents protocoles de sécurité de sa zone, avec les codes d’accès. Aujourd’hui, c’est une IA qui analyse les images vidéo. Si l’alarme nécessite une intervention humaine, l’agent.e reçoit sur son téléphone le protocole et les codes d’accès. Le travail est donc devenu plus intéressant (l’agent.e ne se déplace plus pour rien) et plus confortable (les infos pratiques s’affichent instantanément sur son écran).»
Cette transformation des tâches exige un mindset curieux et ouvert au changement, prévient le DRH. «Certains.es agents.es ont eu peur de perdre leur job ou d’être remplacés.es par des drones. C’est une réaction normale. Mon rôle est de les rassurer, de leur montrer les avantages de la technologie et de m’assurer que nos programmes de formation soient adaptés à ces nouveaux besoins.»
Les jeunes bousculent les codes
Avec une moyenne d’âge de 32 ans, le personnel de Protectas en Suisse est relativement jeune. «De nombreux étudiants choisissent nos métiers durant leurs parcours académiques. Nous proposons des horaires flexibles et des missions à temps partiel qui conviennent bien à ces jeunes.» Ces nouvelles générations ont aussi un autre rapport au travail: «Ils s’intéressent à nos valeurs et veulent comprendre le sens de notre activité. Les possibilités de développement de carrière ou de mobilité interne sont importantes pour eux. Après trois ou quatre ans, ils commencent à s’ennuyer et veulent évoluer ou apprendre de nouvelles compétences. Et ils demandent plus de participation.»
L’organisation du travail a évolué vers un modèle en râteau, avec une direction générale et une série de fonctions organisées de façon matricielle. «Ces jeunes ne courent plus derrière un salaire. Ils veulent contribuer aux décisions, donner leur avis et être alignés avec l’éthique de notre activité. Nous avons dû adapter notre fonctionnement à ces nouvelles attentes.» Les nouvelles générations ont aussi un autre rapport à l’apprentissage. Ils apprécient la réalité augmentée, les jeux et les stages en immersion.
La diversité des métiers augmente
Depuis vingt ans, la diversité des métiers augmente (agent.e de sécurité, réceptionniste, veille de risque, spécialiste en santé/sécurité, médiation urbaine). L’élargissement des prestations s’explique notamment par l’évolution de la Directive CFST qui impose aux entreprises des devoirs de sécurité et de protection de la santé des collaborateurs•trices.
La situation géopolitique actuelle et le sentiment d’insécurité participent aussi à cette augmentation de la demande. «La gestion RH de ces différents types de métiers est centrée sur l’humain», relève Jean Schacht, qui dirige une équipe RH de 40 personnes. «Notre rôle est de comprendre les besoins humains, de rassurer, d’accompagner. Les enjeux de santé mentale ne sont pas un tabou. Nous construisons une histoire ensemble, et pas uniquement dans le délivrable de la prestation.»
Recrutement et concordat romand
Le recrutement est un de ses objectifs stratégiques. «Nous captons beaucoup de personnes en réinsertion professionnelle et travaillons étroitement avec les Offices régionaux de placement (ORP). Nous sommes très actifs sur les réseaux sociaux grâce à nos ambassadeurs et nous allons sur les Forums de carrière.»
Spécificité de la maison: Protectas organise des séances d’information qui remplacent les premiers entretiens individuels. «Ces sessions fonctionnent très bien. Cela nous permet d’engager des petits groupes de 5 à 10 personnes, ce qui facilite la cohésion et l’intégration dans l’organisation». À noter que les cantons romands sont soumis à un concordat strict sur les conditions à remplir pour devenir une société de sécurité, des règles qui ne s’appliquent pas outre-Sarine.
Agilité et «people focused»
DRH depuis 2019, comment sa fonction a-t-elle évolué? «Il faut être agile pour tenir ce job. Avant, les RH étaient souvent noyés sous des cascades de paperasses. Mais ce n’est plus sur la fiche de salaire que nous faisons la différence. Aujourd’hui, nous devons être «people focused», se préoccuper du bien-être de nos collaborateurs•trices et de tout ce qui contribue à notre proposition de valeur. Nous avons par exemple basculé dans un modèle organisationnel beaucoup plus participatif et je consulte énormément via des petites enquêtes internes.
Né à Genève en 1981, Jean Schacht gravite dans le milieu des organisations internationales. Son père travaille aux Nations-Unies et sa mère est aide-soignante. Après le Collège de Saussure, il effectue son école de recrue dans les troupes sanitaires au Tessin. En parallèle, il décroche un premier emploi à temps partiel comme agent de sécurité chez… Protectas. Il monte en grade à l’armée et effectue plusieurs brevets fédéraux dans la conduite d’équipe.
De nature curieuse et ouvert aux changements, il est engagé chez Protectas en 2006 comme cadre opérationnel et chargé de formation. Il multiplie ensuite lesformations de spécialisation dans les domaines de la sécurité, de la formation d’adultes et des ressources humaines. En 2011, il est nommé responsable de la formation en Romandie, puis en 2014, responsable de Protectas Academy en Suisse. Il conclut: «Je déteste l’immobilisme. J’aime bien rebrasser les cartes de temps en temps. Ce qui était juste hier, ne le sera pas forcément demain.»
Bio express
1981 Naissance à Genève
2006 Engagé chez Protectas
2014 Responsable de Protectas Academy en Suisse
2019 DRH de Protectas Suisse