Portrait

Le simplificateur

CEO d’Hotela à Montreux, une caisse de compensation active dans le secteur hôtelier, Michael Bolt revient sur les grands changements qui bouleversent l’hôtellerie suisse et comment il a su redynamiser le service-client dans les assurances sociales.

Il est descendu trois étages jusqu’au portail pour nous accueillir. On lui fait remarquer que cette attention est plutôt rare de la part d’un directeur général. «Ce n’est que normal dans le secteur hôtelier», sourit-il, en nous tenant la porte.

Voici donc Michael Bolt. Silhouette fine, costume impeccable, il est le CEO d’Hotela à Montreux, une société qui gère les assurances sociales d’environ 3600 entreprises actives dans l’hôtellerie, les soins aux personnes âgées et les agences de voyage. L’occasion pour HR Today de se plonger dans l’univers complexe et parfois décourageant des assurances sociales. Avec en prime, une analyse édifiante de l’évolution récente de l’hôtellerie en Suisse.

Basé à Montreux, où le tourisme suisse a pris son envol à la fin du XIXème siècle, l’institution Hotela gère les assurances sociales de quatre grandes associations faîtières d’employeurs: hotelleriesuisse (hôtellerie); la fédération suisse des agences de voyages; senesuisse (établissements médico-sociaux non-subventionnés) et swiss snowsports (écoles suisses de ski).

«Nous sommes donc au plein milieu du partenariat social», pointe Michael Bolt. «Tous nos bénéfices sont réinjectés dans les rentes des membres ou redonnés aux associations fondatrices.» En tout, ils gèrent les assurances sociales d’une masse salariale totale de 3,8 milliards de francs.

Les activités d’Hotela sont divisées en cinq unités: une caisse de compensation AVS (au même titre que les caisses cantonales), une caisse d’allocations familiales, un fonds de prévoyance LPP, une compagnie d’assurances (accident + complémentaires) et une caisse maladie (indemnités journalières).

La guerre des étoiles

Voilà pour la structure et les chiffres. Sur le terrain, Hotelleriesuisse est en concurrence avec GastroSuisse, l’autre grande association faîtière du secteur hôtelier, qui offre également à ses membres des prestations en assurances sociales (via GastroSocial).

«Durant les belles années du tourisme suisse, nos membres augmentaient automatiquement. Mais depuis le passage du nouveau millénaire, le secteur traverse une période turbulente. Le franc fort et les compagnies d’aviation low cost ont contribué à ses difficultés», analyse Michael Bolt.

En 2010, la concurrence avec Gastrosuisse se cristallise dans une «guerre des étoiles» entre les deux associations, où le monopole d’hotelleriesuissse dans la distribution des étoiles a été remis en cause par GastroSuisse, qui gagnera finalement le duel au Tribunal fédéral. Mais les difficultés que traversent les deux institutions ne sont pas que conjoncturelles.

Michael Bolt: «Dans les bonnes années, nous avions pris le mauvais pli de considérer nos clients comme acquis». Durant les années 2000, le secteur hôtelier suisse doit compter avec l’arrivée de plusieurs grands groupes (Accor, Boas, Compass et SV group notamment). «Ces groupes ont amené avec eux des structures financières et administratives très performantes afin de réduire les frais de gestion de chaque établissement. Du coup, ils se sont mis à regarder de plus près les prestations que nous leurs offrions», explique Michael Bolt.

Il poursuit: «Les attentes auprès des caisses de compensation comme la nôtre ont changé. Nos clients n’acceptent plus de remplir des dizaines de formulaires chaque mois, ils sont devenus plus regardant sur les taux d’intérêts et le niveau des primes. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à faire intervenir un courtier en assurances pour faire marcher la concurrence.» Il a donc fallu réagir.

Nommé directeur juste après la crise de 2008/2009, Michael Bolt décide de revoir le modèle d’affaires. «Nous sommes partis des besoins de nos clients, dont 60 pour cent sont des petits patrons qui s’occupent de l’administration du personnel le soir après les nettoyages. Il fallait donc leur simplifier la vie au maximum.»

En partenariat avec deux éditeurs informatiques (Elca et Ti Informatique), Hotela développe un «portail client» accessible via Internet. En passant par un accès sécurisé, le client peut ainsi intégrer directement ses données dans le système. Le grand avantage étant qu’une seule saisie suffit pour toutes les assurances sociales.

«Auparavant, quand un employeur annonçait un nouveau collaborateur, il devait remplir un formulaire pour chaque assurance. Avec notre système, il le fait qu’une fois et toutes les annonces sont ensuite faites automatiquement. L’aspect théorique et complexe de l’assurance sociale tombe», détaille Michael Bolt.

Réduire le travail de saisie

«Cela réduit grandement le travail de saisie chez nos clients. Dans le cas d’un grand groupe avec plusieurs centaines de collaborateurs, cela représente une économie d’un équivalent plein temps», poursuit Michael Bolt.

L’autre enjeu majeur d’une caisse de compensation est la gestion de leurs avoirs LPP afin de garantir les rentes des membres. «Nous avons une fortune sous gestion de 1,6 milliard de francs. Notre Fonds de prévoyance totalise à lui seul 1,5 milliard de francs».

Depuis le krach des marchés financiers en 2008, le sujet est devenu sensible. Là-aussi, Hotela a décidé de simplifier. Il confie: «Il est illusoire de vouloir battre l’indice des marchés. Notre stratégie de placement repose sur une gestion principalement passive des classes actions, obligations et immobilier. La gestion active concerne avant tout les classes alternatives, que nous renforçons pour faire face à la remontée des taux d’intérêt et diversifier le risque du porte- feuille.»

Ce goût de la simplicité et du service rendu, Michael Bolt le porte en lui depuis le départ. Son père a toujours travaillé de ses deux mains, technicien en climatisation dans le secteur du bâtiment. Sa mère est femme au foyer. L’aîné d’une fratrie de trois, Michael Bolt est bon élève. Avec le soutien de ses parents, il opte pour le droit à l’université de Lausanne.

Après une thèse sur le droit des groupes de sociétés, il surprend le landerneau juridique lausannois en renonçant au stage pour rejoindre la SBS (Société des Banques Suisses devenues aujourd’hui UBS), avec l’idée de découvrir le monde. Il passera six mois à New York, «en face du World Trade Center», pour se familiariser avec les différentes activités de la banque d’investissement aux Etats-Unis.

Il revient ensuite à Zurich et intègre l’équipe des marchés des capitaux, dirigée à l’époque par Marcel Ospel. «C’était le début des produits dérivés. J’étais au service de documentation et nous devions rédiger des contrats. J’avais de la peine à comprendre et à expliquer nos contrats aux clients. J’en ai tiré la conclusion que ma place était ailleurs», se souvient-il.

Au service de ‹Monsieur tout le monde›

Il revient donc sur ses pas, commence un stage d’avocat chez Carrard, Paschoud et Heim à Lausanne. Son brevet en poche, il rejoint une étude d’avocats d’affaires à Berne. «C’était très orienté gros sous», avoue-t-il, le sourire en coin. Puis on lui propose de rejoindre le service de protection juridique du TCS à Genève. Il dit oui et accepte de voir ses perspectives de gains futurs fortement diminuer.

«Je ne le regrette pas. C’était un excellent choix. Nous devions trouver des solutions simples pour ‹Monsieur tout le monde›. C’est un défi que j’adore», sourit-il. Au TCS, il finira par diriger le service de protection juridique. C’est là que le président de la fondation Hotela vient le cueillir. En lui proposant la même mission: redynamiser une affaire pour simplifier la vie de ses clients.

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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