Vous préférez donc un régime unique pour tous les étrangers, frontaliers inclus?
Oui. Je ne vois pas comment on pourrait créer des distinctions. Nous devons tenir compte du principe de non-discrimination. Prenez l’exemple des salaires payés en euros, vous ne pouvez pas rémunérer une partie de vos salariés en euros et l’autre en francs suisses. Ma position est la suivante: si on applique l’initiative du 9 février, il y aura des contingents. Ils peuvent être fixés par la Confédération, par les Cantons, de manière autonome ou sous surveillance, ils peuvent être petits, moyens ou larges... Il faudra bien, d’une manière ou d’une autre, qu’ils correspondent aux besoins de l’économie locale. De toute façon, une fois de plus, ces contingents sont contraires à la libre circulation. Vous me demandez si j’aime ce système? Non, je ne l’aime pas, mais j’ai pris acte de la décision du peuple suisse. J’ai fait des propositions et je continuerai à en faire, contrairement à mes collègues alémaniques. Je crois aux accords bilatéraux et je sais que la Suisse ne peut pas s’isoler.
Vous semblez pourtant assez confiant?
La vraie question est celle de notre attachement aux accords de libre circulation et non pas les questions liées à l’étranger fauteur de tous les troubles et de tous les crimes. Nous oublions parfois que ce sont des entreprises suisses qui engagent des étrangers. Quand on aura mesuré l’apport réel des étrangers à notre économie, en termes de connaissance, de savoir-faire et de diversité, on deviendra plus raisonnable. Cela dit, il faut reconnaître que la forte immigration, à la suite de l’introduction de la libre circulation, a été un choc. Personne ne l’avait prévu. Mais si la Suisse devait vivre une crise économique, et nous en vivons les prémices ces temps, les étrangers viendront moins.
Parlons de la crise du secteur bancaire genevois. La situation est-elle vraiment si grave?
La situation est terriblement inquiétante, oui. C’est la queue du phénomène de régularisation des relations bancaires suisses avec l’OCDE. Nous sommes en train de changer de modèle, sans aucun doute. Cela dit, la place financière suisse a encore de nombreux atouts, notamment son savoir-faire et sa connaissance d’un certain nombre de dossiers complexes qu’elle est capable de monter et de bien gérer. Je crois beaucoup à ce talent propre. De toute façon, il faut y croire. Nous ne pouvons plus vivre avec les recettes du passé.
La FER vient de publier un long article sur la problématique des charges sociales des personnes qui travaillent dans deux pays. Ce dossier inquiète beaucoup les patrons, notamment dans le secteur intérimaire. Pouvez-vous les rassurer ?
Non, absolument pas. La problématique concerne toutes les personnes qui travaillent à plus de 25% à l’étranger. Ces dernières années, nous avons publié des informations à ce sujet à de nombreuses reprises. Personne n’en a pris garde. Mais depuis l’introduction du régime de couverture d’assurance maladie obligatoire, dans le régime ordinaire pour les frontaliers, les Français ont découvert qu’un certain nombre de gens travaillaient des deux côtés de la frontière. Particulièrement dans le domaine temporaire. La France a réagi et exige désormais que les entreprises suisses paient rétroactivement les charges sociales françaises. Sauf que, comme vous le savez, il y a une sacrée différence entre les charges sociales françaises et suisses. De plus, elle souhaite que cela soit fait de manière rétroactive. La FER s’est énormément engagée auprès des autorités fédérales pour leur expliquer la situation. Je ne vous cache pas qu’on a parfois le sentiment de ne pas être bien compris. Cela dit, je ne veux pas critiquer la Confédération car nous entretenons de très bons rapports avec elle dans l’ensemble.
La balle est donc dans le camp de la Confédération?
Oui. C’est elle qui a négocié cet accord avec la France et c’est donc à elle d’imaginer une solution pour son application. Cette solution devra être relativement souple, en tout cas en ce qui concerne le passé. Pour le futur, nous verrons. Cela risque par contre de pénaliser l’emploi frontalier, en particulier l’emploi temporaire frontalier.
Blaise Matthey
Directeur général de la Fédération des Entreprises Romandes (FER) à Genève depuis 2007, Blaise Matthey est docteur en droit, avocat au barreau et diplômé en management de l’INSEAD de Paris/ Fontainebleau. Figure de l’économie genevoise, il a effectué toute sa carrière dans les associations patronales. Il siège également dans de nombreuses associations et fondations genevoises.