Le management par objectifs

"Les RH doivent garantir la cohérence du système et accompagner les managers"

Le consultant RH Steeves Emmenegger a mis en place de très nombreux dispositifs de managment par objectifs (mbo) en Suisse. Il analyse ici la posture des RH, qui doivent être les garants de la performance et de la stabilité du système. Il met en garde également contre les dérives les plus courantes. Ne jamais oublier le bon sens e se méfier des manipulations. 

Il est sans doute le consultant RH de Suisse romande le plus médiatisé. Chroniqueur régulier du cahier «Emploi & Carrière» du quotidien Le Temps, conférencier de talent, partenaire associé de la société de conseils RH Conciliat SA et proche du CRQP, Steeves Emmenegger (prononcez Steeve) a fait du management par objectifs (mbo) un axe prioritaire. Interviewé par l’émission TTC (Toutes taxes comprises) de la Télévision suisse romande, il est même allé jusqu’à proposer de fixer des objectifs aux Conseillers fédéraux. Qui seraient ainsi payés en parts variables; le Parlement étant responsable de décider de l’atteinte ou non des objectifs. Provocation mise à part, Steeves Emmenegger a conseillé de nombreuses sociétés suisses dans la mise en place d’un dispositif de mbo. Il explique ici le rôle et les enjeux majeurs pour la fonction ressources humaines. 

Le mbo s’est généralisé dans les entreprises suisses depuis une vingtaine d’années, comment ce phénomène a-t-il modifié le rôle des RH? 

Steeves Emmenegger: Les RH ont un rôle fondamental puisque c’est à elles de faire vivre le système. Aujourd’hui, la plupart des organisations devraient fonctionner sur la confiance. Chacun tient à son libre arbitre et veut donc tracer lui-même sa voie vers la réussite. C’est aux RH de veiller à cette liberté tout en veillant à organiser le tout. La fonction RH doit donc garantir une certaine cohérence. Puis, il faut mettre en place des outils. Ils accompagnent aussi le management et valident les objectifs fixés. Les RH doivent également s’assurer que l’évaluation se fait correctement. Ils sont enfin une voie de recours en cas de pépin. 

Quelles sont ces difficultés? 

J’en vois deux majeures. La première est assez générale. A priori, le système du mbo est quelque chose de très statique, alors qu’une entreprise est confrontée à des évolutions de marché. Un exemple: un gestionnaire de crédits hypothécaires reçoit un objectif annuel de 6 pour cent de croissance. Un objectif discuté et fixé en fonction des prévisions du marché. Une année plus tard, la croissance du marché hypothécaire a été exceptionnelle, avec un bond en avant de 10 pour cent. Le gestionnaire a atteint son objectif de 6 pour cent. Est-ce pourtant une réussite? L’inverse est aussi vrai. Si le marché dégringole, peut- on toujours évaluer un objectif de la même manière? Il faut donc toujours tenir compte du bon sens. En général, on s’assied autour d’une table à la mi-parcours et on évalue la situation. 

Les imprévus peuvent aussi venir de l’interne: un conflit avec un collaborateur, un nouveau système informatique à apprivoiser …

Bien sûr. Et c’est le rôle du chef de recadrer les objectifs. Le mbo permet d’objectiver la relation managériale mais n’empêche pas d’exercer le rôle de dirigeant. La manière d’appréhender la problématique doit être complètement claire. 

Mais les managers le font-ils vraiment? Ils ont d’autres préoccupations, notamment des résultats financiers à produire … 

Oui, mais si vous êtes manager, c’est votre rôle de prendre du temps. Si vous n’y parvenez pas, vous n’êtes pas un bon manager. 

Quelle est l’autre dérive du système? 

Elle se produit surtout dans les grandes organisations. Cela s’appelle forcer la courbe de Gauss. Pour mémoire, la courbe de Gauss est une loi mathématique représentée par une courbe en forme de cloche. Appliqué au management, le milieu de la cloche représente le 70 pour cent des collaborateurs qui sont dans la moyenne. L’extrémité droite de la courbe représente les 15 pour cent de hauts potentiels, et à gauche vous avez les 15 pour cent de personnes à faible rendement. Forcer la courbe de Gauss cela veut dire que le manager va devoir sortir chaque année les 15 pour cent de hauts potentiels, qui seront promus vers d’autres fonctions; mais aussi les 15 pour cent plus faibles, qui seront mutés dans un autre département, voire même licenciés. Cette pratique est malsaine et même illégale, car dans la réalité les équipes sont différentes et les 15 pour cent considérés comme faibles dans un département pourraient être considérés comme étant dans la moyenne dans un autre. 

Mais c’est une pratique courante? 

Oui. C’est une manière de mettre la pression sur les cadres. Si vous ne parvenez pas à sortir vos 15 pour cent de mauvais collaborateurs chaque année, on vous fait comprendre que vous êtes un mauvais manager. 

Ces pratiques seraient une dérive du système, mais n’est-ce pas le dispositif du mbo qui veut ça: mettre les collaborateurs en concurrence? 

Je ne suis pas d’accord. Le système initial partait du constat suivant: nous avons un budget à réaliser pour l’année prochaine, ce budget sera coupé en grosses tranches et distribué aux managers, qui vont le couper en tranches plus fines, qui vont les confier à leurs managers intermédiaires, qui vont les couper en tranches encore plus fines, qui vont les donner à leurs employés sur le terrain. Et l’addition de toutes ces tranches représente le gâteau final. Voilà la vision de départ. Mais entre temps, on s’est rendu compte que cette déclinaison n’est pas très saine, puisqu’on assiste parfois à des intérêts divergents. 

Par exemple? 

Si vous êtes dans une fonction commerciale avec un chiffre d’affaires de vente à atteindre, vous allez vous préoccupez de vendre. Si vous êtes dans une logique de production, vous avez des enjeux de qualité qui sont à des horizons temporels différents. Assurer la qualité, cela augmente les coûts et cela améliore la fiabilité sur le long terme. Mais à court terme vous êtes plus chers. Donc ces objectifs, à priori contradictoires, complexifient la donne. C’est pour cela que l’on essaie aujourd’hui de donner des objectifs collectifs, pour que les gens puissent réussir ensemble. A côté de cela, on maintient les objectifs individuels, liés aux postes. Il faut fonctionner avec cette double logique. 

Reste qu’une tension persiste entre les objectifs permanents des collaborateurs, liés à leur fonction, et les objectifs stratégiques, liés à un projet à terminer, un produit à développer ou un chiffre de ventes à atteindre... 

Aucun système de gestion ne supprime les impératifs du bon sens. Vous évoquez le cas du collaborateur qui oublie sa fonction pour réussir des missions plus ponctuelles. Et bien, à la fin de l’année, on lui dira ce qui a bien fonctionné tout en lui signalant les dysfonctionnements liés à son poste. L’année prochaine, l’objectif sera de mettre tout ça à niveau. Le système permet bien de régler ce genre de tensions. 

Sur le lien entre les objectifs à atteindre et la rémunération, qui se fait surtout dans les postes supérieurs, assiste-t-on à une remise en question? 

Plus la fonction influence le résultat de l’entreprise, plus le salaire sera lié aux résultats. Et l’inverse est aussi vrai. Il faut qu’il y ait un impact objectif entre la fonction et les résultats de l’entreprise. Les problèmes auxquels nous avons été confrontés sont des problèmes d’horizons temps. On a mis en place des systèmes de rémunération qui privilégiaient des résultats à court terme. Alors qu’on cherche aujourd’hui à récompenser la performance à long terme. La part variable sur les objectifs n’est pas remise en question. Mais on essaie de s’assurer que le résultat soit bon à long terme. Dans le système bancaire, on a surpondéré la partie variable par rapport à la partie fixe. Des gestionnaires gagnaient 100 000 francs de fixe pour 300 000 francs de variables. Et cela a perverti le système, car on est plus dans une logique de bonus qui vient améliorer un salaire mais dans une logique de bonus avec lesquels ont vit. Et quand en janvier, vous annoncez une perte de 30 pour cent sur le variable, cela représente un vrai problème. Ce sont des choses qui doivent évoluer. 

Revenons aux RH et à l’accompagnement. Certains managers y consacrent beaucoup de temps, d’autres sont plus en retrait. Une affaire de culture d’entreprise? 

Plus l’entreprise est importante, plus les systèmes sont intégrés avec des objectifs fixés, validés par l’échelon supérieur et les RH, et enfin liés à la rémunération. Il y a peu de marge de manœuvre. Dans les entreprises qui n’ont pas cette rigueur ou cette organisation, on a plus de flexibilité et on laisse plus de place au fonctionnement de chacun. Puis vous avez différentes manières de manager. Certains managers donnent des objectifs très larges, laissent aller les équipes et recadrent de temps en temps. Ce sont des managers qui ont une aversion au risque relativement faible. Certains sont plus craintifs. Ils auront tendance à bétonner le système pour diminuer le niveau d’incertitudes. 

De la SBS au consulting RH

Steeves Emmenegger, 47 ans, a démarré sa carrière dans le retail banking auprès de la Société de Banque Suisse (qui a fusionné avec l’UBS en 1998). Après un passage dans la vente (textile) en Suisse alémanique, il prend la responsabilité d’un cabinet de sélection de cadres bancaires et commerciaux à Genève et Lausanne. Il retourne ensuite à l’Université et obtient un postgrade en gestion des ressources humaines à Genève. Sa première responsabilité RH sera au groupe Zschokke (aujourd’hui intégrée dans le groupe Implenia). Promu rapidement responsable RH de Suisse romande puis de l’ensemble du groupe, il participe à la restructuration, liée à la crise du bâtiment. En 1995, il prend la direction de PRO (Entreprise Sociale et Privée à Genève), qui emploie des personnes au bénéfice d’une rente invalidité. Il se lance dans une série de certifications (ISO 9002 et ISO 14001) axées sur le développement durable. Il reprend ensuite la DRH de l’établissement bancaire privé Mirabaud. C’est durant cette période qu’il va présider le CRQP (Centre romand pour les questions de personnel) et l’association HR Genève. En 2004, il ouvre son cabinet de conseils RH. Il se spécialise dans le conseil en gestion du capital humain, le recrutement de cadres dirigeants et l’assessment. Il vient de créer la société d’assessment, SCAN Swiss Competencies Assessment Network Sarl.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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